Au cinéma, au théâtre et quand elle chante aussi, Irène Jacob semble guidée par des équinoxes secrètes rendant vraisemblablement tous les possibles au grand jour, ceux dont se sont si bien servi Krzysztof Kieslowski, Antonioni, Rivette et tant d’autres. On se souvient bien d’elle, ici à Strasbourg. Tout juste après le tournage d’Au revoir les enfants de Louis Malle, elle était venue y jouer Fenêtre sur la 80e rue, une adaptation des romans et nouvelles de Carson Mac Cullers. « Je jouais Mick ! Eh bien dites donc, c’est loin ! » C’est en 1988, avant le prix d’interprétation féminine pour La Double Vie de Véronique, les nominations prestigieuses, les décorations.
Depuis, elle est revenue au Théâtre national de Strasbourg avec Les Variations Darwin. C’était juste après la naissance de son deuxième fils. Elle parle souvent de ses enfants, presque toujours avant ou juste après avoir évoqué la disparition de son père, le physicien Maurice Jacob. « On a plusieurs vies. Le thème du retour amène toujours beaucoup de réflexions, autour de la mémoire et du temps. » Mais dans Retour à Reims, qu’elle joue au TNS en cette rentrée, la comédienne raconte et commente le passé d’un autre, celui du sociologue et philosophe Didier Eribon, dans un texte manifeste adapté et mis en scène par Thomas Ostermeier. « Ce qu’il me fallait trouver, c’était comment faire assister le public à la fabrication d’une pensée en direct, sans pathos et sans asséner quoi que ce soit. Ce spectacle est avant tout une question. »
Le dispositif inventé au plateau est en effet particulier : un studio d’enregistrement, son propriétaire, le directeur artistique et une comédienne derrière son micro. Une vidéo retrace ce Retour à Reims, ni vraiment cathartique, ni consolant, simplement celui d’un homme homosexuel happé par la honte, familiale, sociale, et qui propose, dans un intime joint à la politique, de détricoter à travers le mouvement des Gilets Jaunes le revers d’une gauche devenue comme fascisée par son propre dévoiement.