Irène Jacob, par-delà les mots

Après son passage au TNS pour la pièce Retour à Reims, l’actrice Irène Jacob publie un premier livre, Big Bang en librairie le 6 novembre.

Elle arrive dans un manteau à carreaux, discrètement maquillée, les mains vagabondes dans un incessant jeu de cheveux. Un thé au jasmin l’attend, mais elle prend d’abord la pose, très vite et très bien. La lumière, un mot qu’elle emploie souvent, elle la connaît depuis longtemps. « La photo, ça dépend du contexte, c’est un regard, c’est un instant. C’est bien sûr l’œil de l’autre, mais soi-même, que peut-on faire véritablement, à part être disponible ? De la même façon, on peut vous poser dix fois la même question, vous ne répondrez jamais de la même façon, selon la personne en face. »

Irène Jacob. Photo : Christophe Urbain

Au cinéma, au théâtre et quand elle chante aussi, Irène Jacob semble guidée par des équinoxes secrètes rendant vraisemblablement tous les possibles au grand jour, ceux dont se sont si bien servi Krzysztof Kieslowski, Antonioni, Rivette et tant d’autres. On se souvient bien d’elle, ici à Strasbourg. Tout juste après le tournage d’Au revoir les enfants de Louis Malle, elle était venue y jouer Fenêtre sur la 80e rue, une adaptation des romans et nouvelles de Carson Mac Cullers. « Je jouais Mick ! Eh bien dites donc, c’est loin ! » C’est en 1988, avant le prix d’interprétation féminine pour La Double Vie de Véronique, les nominations prestigieuses, les décorations.

Depuis, elle est revenue au Théâtre national de Strasbourg avec Les Variations Darwin. C’était juste après la naissance de son deuxième fils. Elle parle souvent de ses enfants, presque toujours avant ou juste après avoir évoqué la disparition de son père, le physicien Maurice Jacob. « On a plusieurs vies. Le thème du retour amène toujours beaucoup de réflexions, autour de la mémoire et du temps. »  Mais dans Retour à Reims, qu’elle joue au TNS en cette rentrée, la comédienne raconte et commente le passé d’un autre, celui du sociologue et philosophe Didier Eribon, dans un texte manifeste adapté et mis en scène par Thomas Ostermeier.  « Ce qu’il me fallait trouver, c’était comment faire assister le public à la fabrication d’une pensée en direct, sans pathos et sans asséner quoi que ce soit. Ce spectacle est avant tout une question. »
Le dispositif inventé au plateau est en effet particulier : un studio d’enregistrement, son propriétaire, le directeur artistique et une comédienne derrière son micro. Une vidéo retrace ce Retour à Reims, ni vraiment cathartique, ni consolant, simplement celui d’un homme homosexuel happé par la honte, familiale, sociale, et qui propose, dans un intime joint à la politique, de détricoter à travers le mouvement des Gilets Jaunes le revers d’une gauche devenue comme fascisée par son propre dévoiement.

« L’opinion a la sale gueule d’Éric Zemmour », est-il balancé en rap dans le spectacle. Irène Jacob rit de bon cœur : « Voilà aussi à quoi sert ce spectacle. À en sortir en se disant je ne sais pas, à essayer de comprendre, à ne pas laisser la violence du monde social l’emporter. Je pense souvent à cette chanson d’Anne Sylvestre, Les gens qui doutent. J’ai beaucoup d’admiration pour Didier Eribon, ce courage qu’il a eu de voir les choses telles qu’elles sont et d’essayer d’inventer de nouveaux outils de pensées pour tenter de comprendre son histoire, de partir de soi, et il est vraiment implacable avec lui-même. C’est la seule façon de comprendre l’histoire plus largement. C’est une des grandes forces de ce texte et je dois dire que j’en ai été extrêmement touchée. »

Faut-il voir un brin de malice chez Thomas Ostermeier d’avoir demandé à l’une des comédiennes les plus sages en apparence, d’être à la fois porteuse et messagère d’un discours hautement engagé ? « Tout cela est vrai, je viens d’une famille franco-suisse, bourgeoise, intellectuelle, de gauche. Ma famille était socialiste et j’ai vu avec le texte de Didier que le socialisme n’était pas forcément de gauche et pourquoi ces discours de gauche ne touchaient visiblement plus. Ça m’a beaucoup parlé. Alors bien sûr, on me demande si je suis une comédienne engagée. Mais jouer dans ce genre de spectacle est un engagement en soi ! »

Justement, n’est-elle pas à un moment de sa vie où elle aurait envie de faire voler en éclats quelques certitudes que l’on aurait à son sujet ? Ses dents perlent dans un sourire nouveau. « Attendez, je vais vous montrer quelque chose ! » Dans son téléphone, une photo d’elle, sublime, se détache en noir et blanc sur la couverture d’un livre, le sien. Il s’appelle Big Bang.


Irène Jacob, Big Bang, Albin Michel À paraître le 6 novembre


Propos recueillis par Nathalie Bach
Photos Christophe Urbain