Beaucoup de sujets sont évoqués autour de cette errance, comme celui de l’enfance face à la pornographie numérique, avec cette fameuse scène où l’on passe allègrement de Pornhub à la chaîne Gulli.
Oui, parce que dans ces flottements de bascule je me pose la question de savoir ce que veut dire de confronter à un enfant une certaine forme de brutalité qui ne s’adresse qu’aux adultes. C’est pourtant notre monde, raconté ici par un être très jeune, ce qui permet de grossir le trait. Cela pose notre rapport au réel face à notre univers d’adultes où la violence, dont celle du rapport social, est beaucoup plus sournoise. J’ai eu envie que cette scène puisse paraitre outrancière parce que de toutes les façons, avec ce roman, je n’avais pas envie d’écrire quelque chose d’inoffensif, c’est peut-être là mon plaisir de pervers polymorphe qui perdure en moi ! Je veux dire par là que je n’ai pas voulu que ce soit gênant pour être gênant mais qu’au contraire cela ouvre le débat et nous mette en face de nos contradictions, d’un certain progrès, d’un certain état des lieux.
Justement pourquoi ce titre, cette béance qui offre une multitude de sens ?
Dans un premier temps pour moi, le trou c’était surtout la taule. Et puis c’est devenu ce non-lieu, ce désœuvrement total dans cette famille indifférente. C’est vrai aussi qu’à cet âge-là pour un garçon, c’est une période de la sexualité très particulière, floue, inquiétante et magique. Ce titre est comme une polysémie autour d’un mot avec aussi ce rapport à la mort qu’a ce garçon qui veut à tout prix être baptisé pour ne pas rester dans les limbes.
Le rapport qu’il a à Dieu aussi, je veux dire de façon organique et intuitive notamment par sa relation à la nature.
Je pense qu’on est tous sensibles par essence à la question religieuse. Et les seules choses qui ne soient pas mortifères pour cet enfant ce sont la forêt, les odeurs d’humus, les animaux, charnellement présents. C’est cette puissance de vie qui lui laisse une fenêtre pour tenter de sortir de la bêtise humaine dans laquelle il est malheureusement obligé d’évoluer chaque jour pendant cinq saisons.
« Je me crois en enfer, donc j’y suis, » écrivait Rimbaud. Le roman débute et se termine en été, ce jeune garçon traverse ce temps en activant tous les leviers de survie.
C’est drôle parce qu’en écrivant j’ai beaucoup pensé à Rimbaud, à son côté panthéiste et aussi à sa précocité. Justement, dans Le trou quelle distance peut mettre l’enfant avec sa vie ? Il parle à ses nounours qui lui parlent en retour, c’est là finalement la seule vie sociale qu’il ait. Et il y a ces cahiers qu’il découvre dans sa chambre, écrits par le locataire d’avant et dont il va continuer à écrire la suite. Si comme moi on aime la psychologie des profondeurs, on se dit qu’un enfant peut être amené à développer une organisation du monde en développant un certain animisme, un spirit avec tout ce qui est possible. La fascination de pouvoir créer un univers est intense. Et là, j’ai aussi envie de parler des adultes quand vient la question de la création. Est-ce une forme de refoulement, celle de la violence par exemple ? Pour ma part, je préfère la contempler sous forme écrite ou cinématographique. Est-ce une sublimation des affects et de ce rapport trouble à cette notion de réel ? Création et schizophrénie sont pour moi assez peu séparés.
Le trou, c’est aussi un pied de nez à Sarkozy qui voulait déceler et stigmatiser une délinquance possible dès l’âge de trois ans !
L’horreur ! J’aurais pu d’ailleurs développer une autre dimension, celle d’un héritage presque marxiste, mais si j’avais dû le faire j’aurais plutôt insisté sur le fait de savoir de quel côté de la barrière commence notre vie et de quelle façon rétablir l’égalité des chances. Ce qui aurait pu être dramatique avec Sarkozy, c’était la certitude de rester dans les limbes !
Qu’insuffle en priorité votre roman ?
La conjuration du désastre.
— LE TROU,
Paul Morris, Médiapop éditions
Par Nathalie Bach
Photo Renaud Monfourny
Entretien extrait de Novo N°59