Paul Morris, effroyable chagrin

Chronique d’une absolue solitude, Le trou de Paul Morris éclaire d’une écriture au calme glaçant les ravages d’une enfance sans enfance. En pleine face.

Paul Morris, Le trou, Médiapop éditions
Paul Morris. Photo Renaud Monfourny

« Peur » et « honte » sont les mots qui reviennent le plus.
Je ne m’étais moi-même pas aperçu de cette récurrence, c’est totalement inconscient. Sans doute ai-je voulu réduire au minimum le vocabulaire de cet enfant à son état affectif.

Au-delà du caractère romanesque, on peut y voir une forme de supplique, même si elle est informulée.
Alors, c’est aussi inconscient de ma part [rires], parce que l’enfant en question est complètement restreint à lui-même, sans guère d’altérité.

En ce sens, Le trou peut se lire comme l’étiologie d’un éventuel sociopathe ?
Bien sûr, une de mes volontés était de montrer à quel point le fait de grandir dans un environnement délétère ouvrait une faille. Un être humain est une sorte de baudruche plastique qui se bâtit sans repères d’ordre rationnel et de normes et ici, cette construction n’est relayée par personne.

L’enfant, dont on comprend à demi-mots qu’il vit dans une « famille d’accueil » ne porte ni nom ni prénom, un désert de plus?
Pour le coup c’était très conscient de ma part !

Alors, dans ce « je » anonyme, il y a beaucoup de vous ?
Sans revendiquer quoi que ce soit d’autobiographique, c’est-à-dire avec la distance qui s’impose et l’expérience qui a nourri ce texte on peut dire que oui. Mais à l’intérieur de cela, il s’agissait pour moi, à partir de l’enfance, de soulever d’autres questions en faisant parler ce garçon, quelque part avec le langage le plus pauvre possible. Ce qui m’intéressait était de n’être dans aucune victimisation et que cette froideur qui peut paraître complètement aberrante voire surréaliste soit un quotidien dans lequel l’enfant évolue avec innocence. J’aurais d’ailleurs pu surenchérir dans la cruauté, faire basculer tout ça dans une tentative perverse plus prononcée. J’ai préféré rester sur le fil.

Beaucoup de sujets sont évoqués autour de cette errance, comme celui de l’enfance face à la pornographie numérique, avec cette fameuse scène où l’on passe allègrement de Pornhub à la chaîne Gulli.
Oui, parce que dans ces flottements de bascule je me pose la question de savoir ce que veut dire de confronter à un enfant une certaine forme de brutalité qui ne s’adresse qu’aux adultes. C’est pourtant notre monde, raconté ici par un être très jeune, ce qui permet de grossir le trait. Cela pose notre rapport au réel face à notre univers d’adultes où la violence, dont celle du rapport social, est beaucoup plus sournoise. J’ai eu envie que cette scène puisse paraitre outrancière parce que de toutes les façons, avec ce roman, je n’avais pas envie d’écrire quelque chose d’inoffensif, c’est peut-être là mon plaisir de pervers polymorphe qui perdure en moi ! Je veux dire par là que je n’ai pas voulu que ce soit gênant pour être gênant mais qu’au contraire cela ouvre le débat et nous mette en face de nos contradictions, d’un certain progrès, d’un certain état des lieux.

Justement pourquoi ce titre, cette béance qui offre une multitude de sens ?
Dans un premier temps pour moi, le trou c’était surtout la taule. Et puis c’est devenu ce non-lieu, ce désœuvrement total dans cette famille indifférente. C’est vrai aussi qu’à cet âge-là pour un garçon, c’est une période de la sexualité très particulière, floue, inquiétante et magique. Ce titre est comme une polysémie autour d’un mot avec aussi ce rapport à la mort qu’a ce garçon qui veut à tout prix être baptisé pour ne pas rester dans les limbes.

Le rapport qu’il a à Dieu aussi, je veux dire de façon organique et intuitive notamment par sa relation à la nature.
Je pense qu’on est tous sensibles par essence à la question religieuse. Et les seules choses qui ne soient pas mortifères pour cet enfant ce sont la forêt, les odeurs d’humus, les animaux, charnellement présents. C’est cette puissance de vie qui lui laisse une fenêtre pour tenter de sortir de la bêtise humaine dans laquelle il est malheureusement obligé d’évoluer chaque jour pendant cinq saisons.

« Je me crois en enfer, donc j’y suis, » écrivait Rimbaud. Le roman débute et se termine en été, ce jeune garçon traverse ce temps en activant tous les leviers de survie.
C’est drôle parce qu’en écrivant j’ai beaucoup pensé à Rimbaud, à son côté panthéiste et aussi à sa précocité. Justement, dans Le trou quelle distance peut mettre l’enfant avec sa vie ? Il parle à ses nounours qui lui parlent en retour, c’est là finalement la seule vie sociale qu’il ait. Et il y a ces cahiers qu’il découvre dans sa chambre, écrits par le locataire d’avant et dont il va continuer à écrire la suite. Si comme moi on aime la psychologie des profondeurs, on se dit qu’un enfant peut être amené à développer une organisation du monde en développant un certain animisme, un spirit avec tout ce qui est possible. La fascination de pouvoir créer un univers est intense. Et là, j’ai aussi envie de parler des adultes quand vient la question de la création. Est-ce une forme de refoulement, celle de la violence par exemple ? Pour ma part, je préfère la contempler sous forme écrite ou cinématographique. Est-ce une sublimation des affects et de ce rapport trouble à cette notion de réel ? Création et schizophrénie sont pour moi assez peu séparés.

Le trou, c’est aussi un pied de nez à Sarkozy qui voulait déceler et stigmatiser une délinquance possible dès l’âge de trois ans !
L’horreur ! J’aurais pu d’ailleurs développer une autre dimension, celle d’un héritage presque marxiste, mais si j’avais dû le faire j’aurais plutôt insisté sur le fait de savoir de quel côté de la barrière commence notre vie et de quelle façon rétablir l’égalité des chances. Ce qui aurait pu être dramatique avec Sarkozy, c’était la certitude de rester dans les limbes !

Qu’insuffle en priorité votre roman ?
La conjuration du désastre.


— LE TROU,
Paul Morris, Médiapop éditions


Par Nathalie Bach
Photo Renaud Monfourny


Entretien extrait de Novo N°59