En revenant sur des choses que vous avez écrites ou des morceaux que vous avez chantés, ne retrouvez-vous pas des bouts de cet idéal, des choses qui vous dépassent ?
Il y a bien quelqu’un qui parle en dehors de soi. Quand on croit faire une chanson qui a l’air de rien, qui semble sortie d’un rêve comme Requin : un type qui est dans un parc qui ne se sait pas exactement ce qu’il fout là, ça peut avoir l’air d’une pure fiction, de sortir d’une fumée. Trois ou quatre ans après, on s’aperçoit que ça avait une signification beaucoup plus puissante. Il ne s’agit pas d’éclats d’idéal dissimulés dans le parcours, il s’agit de voir le rapport profond qu’on a au langage, à la forme. Quoi qu’on fasse, on s’exprime, quoi qu’on fasse on exprime quelque chose de soi très fort même quand il n’y paraît pas. Certaines chansons sont plus proches de cet idéal que d’autres.
Lesquelles ?
C’est susceptible de changer avec les années, mais Ne sois plus mon frère, Hypernuit, Tout a changé, Le Colosse, Madeleine, Comment ça se danse, Çavaçavaçavaçava. Sur cet album-là : Altesse. Ce sont des chansons dont je suis sûr. Les Oiseaux sur La Perdue, je suis complètement convaincu de ça, La Tranchée aussi. Il y a des chansons dont je ne doute pas…
Comment fait-on lorsqu’on doute d’une chanson ?
Elle ne nous appartient pas. On peut en être l’auteur, contrarié ou déçu, mais notre propre réaction n’a pas de valeur. En faisant Hypernuit, pendant que j’écrivais les chansons, je ne savais pas du tout ce que j’étais en train de foutre. Je n’aurais jamais pu dire si ces chansons valaient le coup ou non. Je les faisais et j’avais pris la décision de dire qu’elles étaient bien et que j’en étais satisfait, parce que je travaille avec des musiciens que je ne vais pas alimenter en doutes. Il faut qu’ils me fassent confiance donc je surjouais la confiance alors que je n’avais aucun regard sur ce que je faisais, j’étais complètement largué. Aujourd’hui, c’est l’album dont je suis le plus fier. Hypernuit est un album solide, je ne suis pas tombé à côté. Il m’exprime beaucoup. Depuis cette expérience-là, l’avis que je peux avoir sur les chansons ne dit rien de leur valeur.
Aimez-vous votre voix ?
Je ne sais pas si j’aime bien ma voix, ce n’est pas une histoire de plastique. Entre ma voix et moi je ne fais pas de différences. Je ne peux pas apporter d’écoute objective de ma voix, il y a bien des voix que je préfère à la mienne : Ella Fitzgerald, Oum Kalthoum, Jewel Brown, je ne vous cite que des femmes-là. Euh… Lou Reed, Bourvil, c’est bizarre, mais c’est vrai !
Votre mot préféré ?
“Clavicule”, j’aime bien “aquarium” aussi.
Comme un motif dans un tableau, l’eau est omniprésente. Vous laissez-vous guider par cet élément ?
L’élément liquide, indéniablement, j’en suis esclave. Ça s’explique de manière, disons, traumatique. J’ai grandi sur une presqu’île entourée d’eau. L’océan a toujours été le lieu de toutes les spéculations, c’est un lieu de dangers, de périls, c’est aussi un lieu nourricier, nourrissant. C’est un lieu qui résume le monde dans lequel je vis. C’est inexplicable, c’est comme si on demandait à quelqu’un né dans le désert à quel point ça aurait cartographié son paysage mental. La ville constituerait toujours un obstacle pour quelqu’un qui aurait grandi dans le désert.