Hervé à en perdre haleine

Il existe des personnes dont l’énergie est si intense qu’elle semble se répandre tout autour d’elles. Jack Kerouac écrivait : « Les seuls qui m’intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe, qui veulent tout à la fois ». Sans filtres et sans filet, Hervé fait partie de ceux-là, ceux « qui ne baillent jamais, qui sont incapables de dire des banalités, mais qui flambent, qui flambent, jalonnant la nuit comme des cierges d’église ». Quelle est cette urgence qui l’anime ? Hervé bouillonne et déborde d’un condensé d’émotions qu’il exprime à travers des textes mêlant sensibilité exacerbée et folie douce, rythmes electro acérés et poésie. Rencontre en marge de son dernier concert à la Laiterie.

"Quand on me dit : « On ne peut pas faire ça. » Ma première obsession va être de le faire."

En juin 2020, vous sortez votre premier album intitulé Hyper. Un mot qui trouve son sens dans les excès. Les émotions exacerbées vous caractérisent ?
Le terme excès peut paraître péjoratif, je résonnerai plutôt en termes d’intensité. C’est l’adjectif qui me caractérise le mieux. Je cherchais un mot pour définir l’énergie avec laquelle j’avais fait ce disque, avec laquelle je vis ma musique. Pour un premier jet, c’était le mot qui m’allait le mieux.

Vous avez vécu l’aventure de ce premier album au rythme du Covid. Était-ce un défi pour vous réinventer, de trouver des alternatives pour le défendre ?
Ça a été une grosse période d’adaptation. J’ai bricolé cet album dans ma chambre, puis j’ai travaillé le son avec Julien Delfaud. À la base, je viens de la production, j’avais mon groupe Postaal, je faisais pas mal de clips, je montais des courts-métrages. Je ne m’attendais pas sur mon premier projet solo à faire des pochettes et des clips à l’aide de mon téléphone, à le défendre sans live, moi qui venait de là. Finalement, c’était la période qui m’allait bien, dans le sens où il a fallu que je me débrouille et devoir me débrouiller a tendance à me stimuler. Quand on me dit : « On ne peut pas faire ça. » Ma première obsession va être de le faire. Malgré le confinement, j’ai essayé de proposer la meilleure musique possible, les meilleurs visuels possibles et les sessions live. Je voulais qu’on soit prêts à jouer.

À commencer par le clip de Si bien du mal tourné à l’aide de votre smartphone depuis la cuisine finistérienne de votre père, poêle à crêpes à la main.
Si bien du mal a été le premier clip du confinement. Je l’ai tourné avec le smartphone scotché au mur de la cuisine, puis je l’ai scotché à la voiture de mon père pour le titre Maelstrom.

"J'étais prêt à défendre mon disque coûte que coûte."

C’était fou comme période et en même temps j’étais prêt à défendre mon disque coûte que coûte. J’ai eu très peur de poster au début, peur d’être hors sujet. J’aurais beaucoup souffert de me tromper. Finalement, je suis heureux d’être allé jusqu’au bout de cette idée. Si bien du mal a donné la pêche à tout un public, il y a même eu un challenge derrière. Maelstrom a pris aussi. Puis ces titres ouvraient la porte à l’album. J’aurais pu attendre septembre pour le sortir, mais l’idée était de le défendre et de passer l’année en musique, même si je ne savais pas si j’allais pouvoir le tourner.

Le titre Si bien du mal a ensuite été utilisé par une célèbre marque de café pour sa campagne publicitaire. Avec du recul, quelles répercussions a eu cette pub sur votre carrière ?
J’ai découvert Justice avec la pub Numericable. C’était le titre Dance et ça a explosé. J’avais déjà fait des musiques de pubs avec mon groupe Postaal, j’ai toujours aimé ça. Puis la pub est cool, le titre marche fort, il est ensuite entré en radio… Le clip avait déjà fait du bruit avant, les gens ont bien compris que je n’avais pas composé une musique pour une pub, que c’était juste une pub qui avait utilisé ma musique. Je n’avais aucune raison de refuser cette proposition. Avant la sortie du disque, Coeur Poids Plume avait déjà beaucoup tourné en radio, il avait fait 1 million de vues, j’avais commencé à faire des premières parties, à planter certaines graines. Quand j’ai réussi à sortir l’album, c’est l’album qui a tout changé.

Dans cet album, vous parlez du quotidien, de tes états d’âme. L’écriture comme un exutoire ?
C’est un exercice qui me plaît beaucoup, c’est jouissif, dans le sens où j’aime jouer avec les mots. J’aime vraiment écrire, c’est quelque chose que je n’ai jamais réellement travaillé, je n’ai jamais beaucoup lu de livres, c’est assez instinctif.

Dans le clip Le premier jour du reste de ma vie, vous jouez le rôle d’un homme de ménage. Vous avez enchaîné les petits boulots avant de percer dans la musique, c’était important de vous rappeler d’où vous venez ?
Ça ne me quittera jamais. J’ai rêvé que ma vie tourne autour de ça. Le but n’était pas forcément de gagner de l’argent, je m’en fous. Si demain je dois repartir sur les chantiers, je repars, il n’y a aucun problème là-dessus. Ça ne va pas me déranger, je ne vais pas me dire : « Ah c’était mieux quand je ne faisais que du son. » C’est comme ça, c’est la vie. Depuis 2015 et Postaal, je vis de la musique. C’est par passion que je fais de la musique, ce n’est pas pour autre chose. La célébrité ne m’intéresse pas, gagner plein de tunes, j’en ai rien à foutre. Ma vie c’est de faire du son, d’être sur scène, en studio, dans ma chambre, de faire des disques, d’écrire. Après, rencontrer des gens c’est magnifique, le partage en salle est fou. On a fait presque 90 dates depuis juin, ça fait près d’une date tous les deux jours.

"Ma vie c'est de faire du son, d'être sur scène, en studio, dans ma chambre, de faire des disques, d'écrire."

Dans le titre Fureur de vivre, vous abordez l’ennui. « Entre deux taffes je fume une blonde et je tue le temps. J’attends la fureur de vivre. » À ne trouver le bonheur que dans l’intensité, on finit par s’ennuyer ?
Je m’ennuie vite, ça c’est sûr. Je n’ai pas intitulé l’album Hyper pour rien. Très jeune, j’ai été diagnostiqué hypersensible et haut potentiel. J’ai des carnets de suivi et je m’ennuie très vite. Une fois que j’ai compris là où on allait aller, c’est un peu la panique pour moi. Je m’habitue maintenant à tourner, j’ai les mêmes équipes depuis le début, je tourne avec mon pote d’enfance que je connais depuis 20 ans, mon ingé son est là depuis mon premier concert. Il n’y a rien qui bouge autour de moi. Tant qu’ils veulent travailler avec moi, on travaillera ensemble. J’ai grandi en banlieue parisienne, l’été j’étais souvent dans les terres en Bretagne qui ne sont pas forcément les plus funky quand t’es gamin. L’ennui c’est un sentiment qui peut m’habiter assez régulièrement.

Certains trouvent l’inspiration dans l’ennui.
Moi je ne peux pas ne rien faire. J’ai une hygiène de vie très saine, tu ne me verras pas boire ou me droguer. Par contre, je ne m’arrête jamais. Parfois je tombe, je dors puis je me réveille. Mais je ne m’arrête pas. Je suis en train de penser à un clip, à un film, à un titre, j’ai toujours des pensées parallèles. Je ne pense pas être dans l’excès, je suis dans ma forme de normalité c’est tout.

Vous avez conçu l’album de A à Z. Gagner la Victoire de la Musique de la révélation masculine en février dernier, c’était la consécration de tout ce travail ?
Cette victoire a fait du bien à toute l’équipe. Je ne m’y attendais pas, c’était encore plus beau pour nous. C’est une embellie, ça vient donner beaucoup de force et récompenser beaucoup de travail. Stromae, Christine & The Queens…

Il y a plein d’auteurs qui sont également compositeurs et producteurs, c’est une sorte de liberté et d’autonomie mais en même temps c’est beaucoup de travail. Je m’en fous d’avoir le contrôle, mais malgré moi j’ai la main puisque je fais les productions. Je suis le chef de chantier et je fais aussi la maçonnerie. Je gère plusieurs postes en même temps.

Sur l’album, vous reprenez Alain Bashung et la presse vous compare souvent à lui. C’est un artiste qui vous a influencé ?
Bashung est l’artiste que j’ai le plus écouté. Il y a plein de clins d’œil, de familiarités que j’assume. Cette filiation existe, ce serait très étrange qu’on ne la ressente pas, tellement j’ai écouté cet artiste.

En arrière-plan de la pochette de votre album, on découvre des hachures jaunes et noires qui rappellent les piliers de l’Hacienda, le club mythique de Manchester. C’est un hommage ?
À fond. C’est une musique qui m’a beaucoup influencé pendant l’écriture de l’album. Elle m’influencera toute ma vie. Les premiers mélanges d’acid, de techno, de rock, de pop, cette espèce d’ébullition hyper riche qu’était ce club et qui m’a bouleversé.

Petit, vous rêviez de football. La réédition de votre album intitulée Hyper Prolongations, comme un clin d’œil à vos premiers amours ?
Complètement. Je cherchais un titre et celui-ci m’est venu. C’était une évidence. Comme le premier EP s’appelait Mélancolie FC. Je ferais toujours des clins d’œil au foot.

Si vous deviez qualifier ce qui vous arrive ?
Inoubliable.


Propos recueillis le 20 novembre en marge du concert de Hervé à la Laiterie.


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat