KG : amour et déviances

Souterrains est une série de portraits de celles et ceux qui explorent le son, le triturent, côtoient les extrêmes, sans forcément chercher la lumière. Premier épisode : KG, chantre d’un grand n’importe quoi, bougrement bien branlé.

Rémy Bux, KG, Jesus Weint Blut. Photo Chrsitophe Urbain
Rémy Bux. Photo Chrsitophe Urbain

Nous n’avons pas choisi la facilité. Commencer par KG oder Rémy Bux équivaut à un démarrage en côte traversé par des virages en angle droit. L’homme, qui a un jour choisi de montrer son vrai visage et pour le coup, de manière frontale (sur l’album Passage secret sorti en 2014 sur le label Herzfeld, plus de 10 ans après un silence relatif) est complexe et déborde dans tous les sens, c’est d’ailleurs ce qui fait son charme. En témoigne la liste des groupes et projets qu’il a fondés, peut-être plus d’une cinquantaine, « parfois, ils ne duraient le temps que d’une chanson, c’est-à-dire une soirée. » On citera en vrac : Asile de Nuit, Chancre Mou, Séquence de cons, Boys in the Radiator – au sein duquel on retrouvait Renaud Sachet, fondateur du label Herzfeld –, Sun Plexus bien sûr, Einkaufen aussi, Flirt, Trio de traîtres, Crève – Sale Fils de Pute, Ich Bin. Ce dernier, pour le moins nébuleux, s’est employé à brouiller les pistes, « un groupe allemand qui chante en français, un groupe corse… », peu importe : « Un grand n’importe quoi. On a fait les débiles sans le faire sérieusement musicalement, sans y mettre de nous. » S’il renierait presque son existence (« On se fout complètement de ce projet, on a passé notre temps à le dénigrer. »), Ich Bin a en revanche très certainement participé à la construction du mythe Bux, à grands renforts d’un univers graphique léché et d’une pochette-poster au poil où Mulhouse est la Capitale de France, sinon du monde. Et puis, Mon chéri qui, à intervalles irréguliers, renaît de ses cendres bien foutraques (déguisements, tuyaux et liquides en tout genre), et bien sûr, KG, fondé aux alentours de 1993. Impossible de le suivre à la trace, Rémy Bux en a foutu partout.

Acné et climax

Pour esquisser les contours du personnage, il faut remonter à la source, en l’occurrence au temps où, pré-ado, il s’est flanqué d’une guitare électrique. Ses parents, bien que tous les deux musiciens, écoutent Abba, Jean-Michel Jarre et « des trucs discoïdes. » Comme tout boutonneux qui se respecte (ou ne se respecte pas, pour ça, référez-vous à la psychologie de comptoir), Rémy Bux a cherché à se construire « contre » et c’est évidemment « dans les marges » qu’il s’est trouvé. Il cherchait « des choses un peu plus barrées, plus violentes, à sortir de l’empâtement pop des années 90 », il est tombé en amour pour les musiques « déviantes », découvertes dans son cercle d’amis : Métal Urbain, Cocteau Twins, The Jesus and Mary Chain, ou encore Einstürzende Neubauten, « un choc. » À l’époque, il fait tout par provocation, notamment porter un manteau orné d’un délicat “Kriegsgefangener” – prisonnier de guerre durant la Seconde Guerre mondiale pour KG, on ne se refait pas – et peaufine son goût pour les extrêmes. Il cherche les « musiques qui bousculent » et finit, peu à peu, par prêter une oreille plus avertie à tout ce qui lui tombe entre les mains. Il cherche « les bruits purs », les « guitares qui font saigner les oreilles », mais surtout, les ruptures qui vont venir mettre sens dessus dessous la construction d’un morceau. Il s’évertue à fouiller le détail, l’émotion qui pète, la surprise et cette attention-là, forcément utile à son métier d’ingénieur du son, fait toute la différence.

Architecture du son et leggings

De son studio maison, situé dans la périphérie de Mulhouse, à Sausheim – à deux pas de l’église où son grand-père était organiste –, sans forcément titiller l’expérimentation, il accumule les essais, les sons et a déjà de quoi alimenter deux prochains albums. Il a toujours des idées bien précises en tête et aime se poser des contraintes. Là ce sera n’utiliser que des guitares électriques, plus loin, sonder la musique électronique. La constante, c’est l’envie de poncer les angles, pousser les extrêmes, « polir le morceau », aller au bout de ses idées en le faisant aussi sérieusement que les délires qui les accompagnent. Ce qu’il préfère, c’est ça, le processus de création. Alors oui, KG porte des leggings, est tout nu sous son perfecto en cuir et aime chanter devant un ventilateur, de préférence, sur le toit d’une voiture. Mais KG, c’est aussi une discographie longue comme le bras débutée avec un EP éponyme qui a notamment tapé dans l’œil du créateur du label new-yorkais Captured Tracks au point de rééditer plusieurs de ses singles sur une compilation sortie en 2017 dans le cadre d’une collection dédiée aux raretés shoegaze. Mais bizarrement, la mayonnaise n’a jamais pris. « Une série d’actes manqués », dira Rémy Bux, de rencontres qui ne se sont pas faites et de communication bricolée à la va-comme-je-te-pousse.

Au fond, ça lui conviendrait presque : « Il y a toujours le fantasme rockstar qui traîne quelque part, mais j’aurais perdu trop de libertés. Quand tu as le succès, tu ne peux plus l’arrêter, c’est une machine qui s’emballe et que tu es obligé de nourrir. Je n’ai pas la notoriété que j’espérerai mais j’ai une liberté totale. Si j’ai envie de faire un morceau où je pète dans mon micro, je le fais. Ça a quand même plus de prix que de faire le malin et de ne plus toucher terre. » Ce qui lui importe c’est d’être diffusé, la qualité musicale, et surtout, de sortir du banal. L’originalité, le décalage, les marges, toujours. Le reste n’est que littérature. « Autant que la blague aille le plus loin possible. »


KG,
Jesus Weint Blut, Herzfeld


Par Cécile Becker
Photo Christophe Urbain


Article extrait de Novo N°59