Le retour prodigieux
de Lilly Wood & The Prick

Après six ans d’absence, Most Anything signe le retour attendu de Lilly Wood & The Prick à travers 14 titres dans lesquels le duo livre « presque tout ». Si la pause s’était avérée nécessaire afin de notamment digérer le succès fulgurant d’un remix inattendu, le temps n’a pas effacé les amitiés, ni les souvenirs. Les retrouvailles se sont faites comme si c’était hier, preuve que la symbiose musicale ne s’oublie pas. Fidèles à eux-mêmes, Benjamin et Nili offrent un nouvel album engagé surfant entre folk, pop, rock et electro. Rencontre en marge de leur concert à la Laiterie. 

Lilly Wood & The Prick - Grégory Massat
Lilly Wood & The Prick est de retour après six ans d'absence. © Grégory Massat

Six ans après Shadows, Most Anything est l’album des retrouvailles ?
Benjamin : L’album des bonnes retrouvailles. C’était bien de faire un break pour se ressourcer, retrouver de l’inspiration, avoir envie de refaire des choses ensemble et puis c’est revenu naturellement.
Nili : Ce ne sont pas que des retrouvailles entre nous. Sur cet album, on a travaillé avec notre producteur historique Pierre Guimard qui avait déjà œuvré sur les deux premiers albums et on a retrouvé tous nos musiciens.

Appréhendiez-vous ce retour sur scène après six ans d’absence ?
Benjamin : Bien sûr. Je pense que beaucoup de gens ne nous voyant plus sur le devant de la scène ne sont pas forcément au courant que nous sommes de retour. Il y a un gros travail de remise en avant à réaliser.
Nili : Il y a quand même un paquet de gens qui viennent nous voir en concert et ce sont aussi des retrouvailles avec eux. Tout est un peu terrifiant dans ce métier. Même quand tu sors un album à deux ans d’intervalle du précédent. Donc, au bout de six, ça exacerbe d’autant plus toutes les peurs.

On imagine que quel que soit le moment où l’on sort un nouvel album, on a toujours peur qu’il soit moins bien accueilli que le précédent.
Nili : C’est peut-être prétentieux de dire ça mais musicalement on a beaucoup travaillé et je n’ai pas trop de doute sur le succès de cet album.
Benjamin : Il a été bien accueilli, la presse était unanime. C’est comme pour tout, un album peut prendre une ampleur, le second moins et vice et versa. C’est ça une carrière, c’est de continuer, de s’inscrire dans le temps et de suivre le rythme. Mais notre fanbase est là, on voit sur nos concerts que ce sont des gens qui nous connaissent depuis le début. 

Que vous apportez-vous l’un à l’autre ?
Nili : On est hyper complémentaires. Je pense qu’on a chacun les qualités dont l’autre peut manquer et du coup ça équilibre notre relation musicale et humaine ainsi que la dynamique du groupe.

À travers les 14 titres de ce nouvel album, vous restez fidèles à vos convictions féministes et humanistes.
Nili : On a toujours eu des textes engagés. J’ai l’impression que l’époque change et qu’on est plus à l’écoute de ce genre de thématiques, mais pour nous il a toujours été important de faire un espèce de commentaire de la société dans laquelle on évolue et de laquelle on fait partie. 

Lilly Wood & The Prick
Le duo a sorti Most Anything, son quatrième album. © Grégory Massat

Vous avez connu un succès planétaire à travers le remix de Prayer in C par Robin Schulz. Comment aborde-t-on une renommée si soudaine mais aussi la réappropriation d’un de ses morceaux ?
Benjamin : La chance qu’on a eu, c’est qu’on avait déjà un peu de carrière à ce moment-là. Prayer in C était un titre de notre premier album et on en était déjà au troisième lorsque Robin Schulz a fait son remix. Du coup, ça n’a pas interféré. Après, on ne se rend pas forcément compte tout de suite de ce qu’il se passe, on voit bien que ça réagit, qu’on est sollicités pour ce morceau qui ne représente pas forcément notre musique mais je pense, qu’avec le temps, il fait partie de notre histoire. Il faut le vivre et l’accepter. Finalement, il est plutôt très bien réalisé.

Sur la couverture de votre album, vous apparaissez l’air désabusés, maquillés d’un rouge à lèvres débordant largement. Que vouliez-vous transmettre avec cette image ?
Nili : Le côté un peu mascarade de ce qu’on fait, de notre métier. Le côté un peu bêtes de foire. Nous voulions incarner aussi la surenchère permanente de ce que les gens peuvent être prêts à faire pour attirer l’attention. Tout ça est fait avec beaucoup d’autodérision encore une fois.
Benjamin : C’est la double facette du clown triste. La position des têtes, des yeux de l’un et l’autre peuvent donner l’illusion d’un seul personnage. Il y a un côté esthétique qui est fort avec ce rouge à lèvres et nos visages assez frontaux. 

Lilly Wood & The Prick
"Le concert, c'est le climax de tout", assure Nili Hadida, la chanteuse du groupe. © Grégory Massat

On peut y voir aussi une dénonciation de la société de l’image, de l’injonction à la beauté, comme dans le clip de You want my money où on vous voit jauger vos rides ou vos petits bourrelets face aux publicités qui passent à la télévision.
Nili : Je trouve que c’est vachement dur d’évoluer dans cette société en tant que femme. Même si elles sont parfois indirectes, il y a beaucoup d’injonctions à ce à quoi il faut ressembler, à la taille qu’il faut faire, à comment il faut s’habiller et à ce qu’il faut projeter comme image. Et d’un autre côté, on nous dit qu’il faut être bien dans sa peau et que c’est à l’intérieur que ça se passe. Mais c’est des conneries, depuis qu’on est toutes petites, on nous placarde des images de canons de beauté impossibles à atteindre pour la plupart d’entre nous. Je trouve que c’est assez pervers de dire aux femmes qu’elles doivent se sentir bien dans leur peau et de ne leur montrer en même temps que des nanas auxquelles elles ne ressembleront jamais. Ce n’est pas très inclusif. On avait envie d’aborder ce sujet aussi dans le clip : l’objectification de la femme. Jusqu’à il y a peu de temps, pour vendre un yaourt ou une crème c’était une nana à poil. Par contre, pour incarner un banquier dans une pub, c’était un mec blanc en costard. Ça m’agace un petit peu, mais les choses sont en train de changer.

Comment avez-vous construit cet album ?
Benjamin : On est parti écrire deux fois quinze jours en Vendée. On a besoin tous les deux d’être en terrain neutre pour écrire. De ne pas être pollué par les autres, la vie ou notre chez-soi. Ça fonctionne plutôt bien parce que finalement pendant 15 jours en huis clos, chacun prend ses habitudes, sait ce qu’il doit faire, il n’y a pas d’horaires. On l’a déjà fait pour d’autres albums. Il y a eu le Covid ensuite, mais il n’ a pas forcément impacté notre création ou notre inspiration, car on avait déjà commencé à écrire l’album avant. La pandémie nous a juste forcé à prendre le temps de revoir, de revisiter nos morceaux et de ne pas tout de suite mettre le point à la ligne. 

Vous avez toujours chanté en anglais. Pourquoi ce choix ?
Nili : C’est ma langue paternelle, je pense en anglais. L’anglais est ma langue au même titre que le français. Et je pense que Ben et moi avons été bercé par une musique très anglo-saxonne. C’est ce qui nous a réuni quand on avait 20 ans et qu’on s’est rencontré. On écoutait des groupes de rock, nos influences communes nous ont donné envie de créer un groupe ensemble. Je ne voudrais pas qu’on se mette à chanter en français pour des raisons qui ne seraient pas les bonnes, pour passer en radio. Je trouve ça bien de faire ce qu’on sait faire, de rester dans une vérité artistique et de servir un projet. Aussi, je n’ai pas vraiment l’impression de chanter très bien en français. J’ai l’impression de ne pas avoir le même timbre.
Benjamin : Tu chantes bien en français aussi mais tu n’as effectivement pas le même timbre. Après c’est normal, c’est naturel , c’est la langue qui change, tu ne sors pas les mots de la même façon. De 16 à 20 ans, on écoutait que des groupes anglais parce qu’en France on ne trouvait rien qui nous plaisait.

Quel était votre ressenti à l’idée de pouvoir enfin retourner sur scène ?
Nili : On attendait que ça. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on entreprend quand on écrit de la musique, quand on fait un album, c’est de pouvoir le jouer sur scène, de pouvoir le partager en live avec les gens et de vivre quelque chose de fort. Le concert, c’est le climax de tout.
Benjamin : On avait pas été sur scène depuis très longtemps, du coup il y avait un gros manque.  On a peut-être été un peu lassés à la fin de notre dernière tournée, d’être sur la route en permanence. Même si c’est super, c’est fatiguant, c’est astreignant.  Mais aujourd’hui, c’est comme repartir de zéro.

Lilly Wood & The Prick
Pour ce retour sur le devant de la scène, Lilly Wood & The Prick verse dans une pop éclectique. © Grégory Massat

Vous êtes soucieux de votre univers visuel, on le voit dans vos clips. Comment se présente votre scénographie sur cette tournée ?
Benjamin : On essaye de date en date de la développer au mieux. On trouve des idées en amont, on fait un premier jet et à chaque fois on améliore la chose jusqu’à atteindre ce qui nous convient avec les moyens qu’on a.
Nili : Sur cette tournée, on est parti sur quelque chose de très épuré, car on avait envie de se focaliser davantage sur la musique que sur le reste. Dans le passé, on a souvent eu des décors. Maintenant l’idée est que nos corps et notre musique suffisent. Sur scène, on a tendu un fond blanc et on a vraiment bossé les jeux de lumières, de couleurs et les ombres.
Benjamin : On est six sur scène, il y a toujours quelque chose à regarder. On a plus misé sur la musique que sur une esthétique qui sert parfois à cacher une carence.

Dans cet album, vous variez entre titres dansants et morceaux plus lents et mélancoliques. Pour vous c’est important de mixer les tempos, les rythmes ?
Nili : L’album porte bien son nom parce qu’il part dans tous les sens et c’est assumé. On ne s’est mis aucune barrière.
Benjamin : On est fidèles à nous-mêmes, on a juste un peu plus poussé les frontières, en assumant totalement d’être pop. La pop peut-être calme, dansante, un peu plus électronique, un peu plus folk, rock, légère ou profonde. Ce qui résume bien la pop, c’est d’être éclectique.
Nili : Le premier album était déjà comme ça. Je crois qu’on a toujours eu du mal à faire des choix, à se cantonner à un seul style. Même sur scène, certains de nos morceaux sont hyper rock.  C’est très français de vouloir se cantonner à un genre. Ou à un seul métier.

Justement, qu’auriez-vous fait comme métier si ça n’avait pas marché dans la musique ?
Nili : Je pense que je serais vraiment complètement au chômage (rires). Honnêtement, je ne sais rien faire.
Benjamin : J’ai fait des études de cinéma, un peu de réalisation et je continue à en faire. Donc je pense que je persévérerais pour réussir là-dedans.

Si vous pouviez créer votre propre festival, qui programmeriez-vous et dans quel lieu ?
Nili : On a le droit de programmer des artistes morts ?

Vous pouvez tout faire.
Nili : Otis Redding, Jeff Buckley, Amy Winehouse, en ce moment elle m’occupe l’esprit, Aretha Franklin, les Beatles, Elvis. Et pour les vivants, Turnstyle. Très éclectique le festival (rires). Un petit Fred Chopin aussi pour ouvrir le premier soir.
Benjamin : Et pour le lieu, il faut qu’il fasse bon. Au bord de l’eau. Sur une île déserte.
Nili : Les îles désertes n’existent plus. Peut-être dans le Luberon, dans une grotte, dans une gorge (rires).
Benjamin : Ou un truc un peu privé sur un très beau voilier.
Nili : Sur un voilier, ce n’est plus un festival.
Benjamin : Alors sur les plages de Normandie. 

Si vous deviez donner un titre à ce que vous vivez en ce moment en tant qu’artiste ?
Nili : Après moi le déluge.
Benjamin : On est pas sortis de l’auberge.

Avez-vous un livre de chevet ?
Nili : Un livre que tout le monde devrait lire c’est Une chambre à soi de Virginia Woolf, c’est elle qui a écrit un des premiers monologues intérieurs au début du XXe siècle et c’est une pionnière du féminisme.
Benjamin : Je ne pense pas lire assez de choses pour avoir un livre de chevet mais je dirais que quelques poèmes de Verlaine, ça fait toujours du bien. 

Vous avez déjà été en concert à la Laiterie il y a quelques années, quel est votre souvenir de cet endroit ?
Nili : Je me souviens d’avoir dit sur scène Dijon à la place de Strasbourg, au moins trois fois d’affilée. On revenait de Dijon et surtout, juste avant, de Los Angeles, on était au bout du rouleau mais ça n’excuse rien. Et d’ailleurs je tiens à m’excuser, si quelques personnes se souviennent. La honte, vraiment.


Propos recueillis le 16 octobre dans le cadre du concert de Lilly Wood & The Prick à la Laiterie.


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat