Lou Doillon, l’affranchie

Il y a un petit côté ensorceleur dans le sourire de Lou Doillon, dans son regard et ses expressions aussi, qui s’accorde parfaitement avec son franc parler à toute épreuve. Alors quand on la rencontre avant son concert au Nancy Jazz Pulsations, on a qu’une envie : l’écouter. Encore.

Lou Doillon. © Arno Paul / Suzi Grandemange
Lou Doillon. Photo : Arno Paul, assisté de Suzie Grandemange.

« Tout ce que je fais, c’est construire des châteaux de sable devant la mer. À la prochaine vague, ça partira, et il y aura un autre château à construire… J’aime cette idée de passer à autre chose, et de tout recommencer à chaque fois. Au fond, c’est la seule manière de vivre sainement ces métiers qui sont profondément aléatoires. » On parle souvent de ce « moment de grâce » qui surgit parfois lors d’un concert, celui où l’artiste est tellement en phase avec son public que le temps s’arrête. La communion totale. Ce truc difficile à atteindre, difficile à décrire, qui te prend par le cœur ou par les tripes et qui te laisse un peu orphelin une fois les amplis éteints. Que tu vas garder longtemps dans ta tête et te collera le sourire aux lèvres à chaque fois que tu y penseras… Et tu y penseras souvent. Eh bien ce moment-là, ce truc-là, il existe aussi lors des interviews. De temps en temps. Parfois. Rarement. Lou Doillon.

Un échange intense et spontané. Drôle, franc, comme si l’on se connaissait déjà, elle qui pourtant suffoque dans le milieu depuis ses premiers pas, elle qui enchaîne les interviews comme un gamin les fraises Tagada. Pourtant ce soir-là, elle (se) raconte, sans maquillage sur le visage, sans filtre sur les mots. Avec, comme sur son troisième album, Soliloquy, une liberté de ton prodigieusement bienvenue. « On est dans une époque de “coloriage”. C’est dur ce que je vais dire, mais aujourd’hui, on remplit tout. Quand je vais au cinoche, entre les effets spéciaux, les plans de coupe, la musique… Je ne comprends même plus ce que je vois. Les pubs, les téléphones, les réseaux, la radio, tout est rempli. Saturé. Et le rempli, moi, ça ne m’intéresse pas beaucoup. J’aime les courbes, les aspérités, les rugosités, les corps auxquels on s’accroche… 

“ Mon rôle c’est d’aimer, pas de vouloir être aimée ”

Si l’on compte jusqu’à dix, pour que dix ait du sens il faut qu’il y ait un zéro – et je trouve que l’on est dans une époque où tout est à onze tout le temps. Moi, j’avais envie de déconstruire. La musique que je fais ressemble aux dessins que je fais. Un trait noir qui délimite le vide du plein. Parce que c’est important le silence, tout autant que le son. Les dix secondes de blanc dans I see you, je les ai toujours assumées, même si ça rendait l’histoire compliquée pour la radio. Je crois que la radicalité se joue là. »

Parce qu’au final, cette nana, on l’a vue grandir. Essayer, tomber, recommencer, tenter des choses, puis d’autres choses, cinéma, théâtre, dessin, photo, tantôt modèle ou égérie, membre d’une famille dont l’ombre prend de la place. Alors aujourd’hui, sur scène, à l’aube de la quarantaine (#canenousrajeunitpasnonplus), elle se lâche complètement, se projette dans l’instant. En profite, tant qu’elle peut… Lucidité d’une artiste qui connaît le revers moins clinquant de la médaille dorée.

« La chanson, c’est sûrement ce qu’il y a toujours eu de plus fort en moi, plus que la comédie, plus que tout le reste, mais je suis très contente de ne pas en avoir fait jeune. À l’époque, ça aurait été pour de mauvaises raisons – pour qu’on m’aime, ou pour m’aimer moi-même… Aujourd’hui, c’est parce que j’ai besoin de dire les choses que je monte sur scène. Mon rôle c’est d’aimer, pas de vouloir être aimée. Il y a très peu de gens que je rencontre qui n’ont pas d’a priori sur moi. Vu que j’ai été bien élevée, j’ai cultivé cet aspect “petite chose fragile”, et c’était très bien, car la majorité de ma vie ressemble justement à ça. Sauf adolescente, quand je criais “allez tous vous faire foutre !” Et aujourd’hui, justement, j’ai compris que je ne pouvais pas passer ma vie à être la fille de mes parents, la mère de mon fils, la copine de mes mecs… Le quotidien nous le fait oublier, mais un jour on réalise que la vie, ça ne va se passer qu’une fois… À quel moment s’est-on vraiment appartenu ? C’est justement le cœur même de Soliloquy. I’m sick of my name, tout le monde me demande si ça un rapport direct avec mes parents – bon, je pense que si j’avais un problème avec ça, je n’en ferais pas une chanson, hein, c’est beaucoup plus universel ! Je trouve simplement que l’on est tous coincé entre les projections de la société, celles de nos parents, du monde autour… Est-ce possible de se libérer d’où l’on vient, je ne sais pas, mais en tout cas je pense que c’est une belle mission à remplir quand on a passé 30 ans, d’essayer de trouver qui on est tout seul. Est-ce que j’ai trouvé ? Je pense. En tout cas j’ai retrouvé la petite vénére que j’étais à treize ans, et ça, ça me fait plaisir. »


Par Aurélie Vautrin
Photo Arno Paul