Si l’on compte jusqu’à dix, pour que dix ait du sens il faut qu’il y ait un zéro – et je trouve que l’on est dans une époque où tout est à onze tout le temps. Moi, j’avais envie de déconstruire. La musique que je fais ressemble aux dessins que je fais. Un trait noir qui délimite le vide du plein. Parce que c’est important le silence, tout autant que le son. Les dix secondes de blanc dans I see you, je les ai toujours assumées, même si ça rendait l’histoire compliquée pour la radio. Je crois que la radicalité se joue là. »
Parce qu’au final, cette nana, on l’a vue grandir. Essayer, tomber, recommencer, tenter des choses, puis d’autres choses, cinéma, théâtre, dessin, photo, tantôt modèle ou égérie, membre d’une famille dont l’ombre prend de la place. Alors aujourd’hui, sur scène, à l’aube de la quarantaine (#canenousrajeunitpasnonplus), elle se lâche complètement, se projette dans l’instant. En profite, tant qu’elle peut… Lucidité d’une artiste qui connaît le revers moins clinquant de la médaille dorée.
« La chanson, c’est sûrement ce qu’il y a toujours eu de plus fort en moi, plus que la comédie, plus que tout le reste, mais je suis très contente de ne pas en avoir fait jeune. À l’époque, ça aurait été pour de mauvaises raisons – pour qu’on m’aime, ou pour m’aimer moi-même… Aujourd’hui, c’est parce que j’ai besoin de dire les choses que je monte sur scène. Mon rôle c’est d’aimer, pas de vouloir être aimée. Il y a très peu de gens que je rencontre qui n’ont pas d’a priori sur moi. Vu que j’ai été bien élevée, j’ai cultivé cet aspect “petite chose fragile”, et c’était très bien, car la majorité de ma vie ressemble justement à ça. Sauf adolescente, quand je criais “allez tous vous faire foutre !” Et aujourd’hui, justement, j’ai compris que je ne pouvais pas passer ma vie à être la fille de mes parents, la mère de mon fils, la copine de mes mecs… Le quotidien nous le fait oublier, mais un jour on réalise que la vie, ça ne va se passer qu’une fois… À quel moment s’est-on vraiment appartenu ? C’est justement le cœur même de Soliloquy. I’m sick of my name, tout le monde me demande si ça un rapport direct avec mes parents – bon, je pense que si j’avais un problème avec ça, je n’en ferais pas une chanson, hein, c’est beaucoup plus universel ! Je trouve simplement que l’on est tous coincé entre les projections de la société, celles de nos parents, du monde autour… Est-ce possible de se libérer d’où l’on vient, je ne sais pas, mais en tout cas je pense que c’est une belle mission à remplir quand on a passé 30 ans, d’essayer de trouver qui on est tout seul. Est-ce que j’ai trouvé ? Je pense. En tout cas j’ai retrouvé la petite vénére que j’étais à treize ans, et ça, ça me fait plaisir. »
Par Aurélie Vautrin
Photo Arno Paul