Lou : rap,
politique et fête

Lou, rappeur strasbourgeois, auteur de Freestilz, est pudique mais franc-tireur. Se raconter, mais pas trop, pour parler universel. Foutre un coup de pied dans la fourmilière cisgenre hétéro et dans les c… de la masculinité toxique. Mais ne pas verser dans le rap conscient. Et danser. Portrait et playlist.

rappeur strasbourgeois Lou
Lou. Photos : Julie Iltis

Meinau. Plein soleil. La terrasse de Lou et de ses colocataires sent l’été : un soleil qui tape fort, des litres d’eau avalés et une playlist quadripolaire hésitant entre la pop, le hip-hop, le r’n’b et l’électronique (voir et écouter sa playlist en fin d’article). Il est comme ça Lou, de la musique du matin au soir jusqu’à plus soif, si tant est que sa soif de sonorités puisse être étanchée… Entre les notes et quelques clopes, Lou se raconte à tâtons : réfléchit, pèse ses mots, digresse et revient. En fait, il ressemble à ses freestyles : quelques mots de ce qu’il vit et de ce qu’il est disséminés ça et là mais beaucoup plus de place à l’expérience commune. Quand on parle de soi, l’autre s’y retrouve toujours un peu. L’intime est politique. Comme un mantra, durant l’entretien et sans avoir l’air d’y toucher, on y reviendra toujours à la chose politique, parce que ses textes parlent des marges et de tout ce qui sort d’une norme étouffante. « Mon existence est politique. Le fait d’être queer, c’est politique. Après, je n’aime pas l’étiquette “rap conscient”, ça ne me ressemble pas. Parler de ma vérité inclut des choses profondes et légères. J’aime faire la fête et ma priorité c’est de faire du bon son. »

La fin d’un monde

rappeur strasbourg Lou © Julie iltis
Lou. Photo : Julie Iltis

Lou, – à l’image d’une nouvelle génération d’artistes qui n’hésite plus à se livrer tout cru – : rappe la sensation amère, le monde qui ne regarde plus rien sinon le bout de son nez. Quelque chose d’une fête qui se termine avec tout ce que ça suppose de regrets : une gueule de bois générale (son titre C’est la fin du monde). Il raconte autant les désirs d’ivresse que les difficultés à se (re)construire quand l’individualisme et les extrêmes dégueulent à tous les coins de rue. Il y a des histoires de Mercure qui rétrograde (Retrograde) – il se dit carrément « astro-friendly » –, des envies de boom boom, des mecs pleurant sur l’autel de leurs privilèges (Jean-Cis Dude). Encore une fois, la politique n’est jamais bien loin et particulièrement sur ce dernier titre : « Il faut sortir du male gaze, ce regard hétéro cis patriarcal qui représente la norme. Sans avoir particulièrement envie d’écrire sur le patriarcat, je crois que si on veut en sortir, il faut en parler. »

Jean-Cis Dude, freestyle le plus partagé, raconte quelque chose d’une société qui oppose plus qu’elle n’inclue ; d’une intolérance qui « bombe le torse » face aux luttes dont finalement, elle ne comprend pas grand-chose. C’est aussi celui qui fait le plus réagir, notamment en live. « Il y a des gens qui ne savent pas ce que “cis” veut dire. Je comprends que certaines personnes ne soient pas déconstruites, notamment sur le langage, en revanche, on a besoin de récits queer racontés par les personnes concernées. Il y a des discours pour tout le monde mais il n’y en a pas assez sur et pour nous. Il faut prendre conscience qu’on n’est pas tous sur le même pied d’égalité, qu’il y a une souffrance légitime qui s’exprime. Et puis, si mes textes me permettent de faire le tri et de faire en sorte que les homophobes et terf [féministes radicales dont l’idéologie exclue les personnes trans, ndlr] ne m’écoutent pas, tant mieux. »

Alors tant qu’il y aura des étiquettes, et même si les étiquettes « le gratte » et « sont réductrices », elles s’affichent comme un « moyen de survie » au creux de la tempête.

En fait, Lou ne se prive de rien, surtout pas « d’encourager les bébés queer et les personnes sexisées et minorisées » et pas non plus d’être « vulgaire » dans son écriture. Si ses textes choquent, c’est que ça touche précisément là où ça fait mal et qu’on l’aura bien mérité, Jean-Mi, ben oui…

Le goût de la résistance

Ce qu’il défend c’est un système le moins oppressif possible et un langage libre qui néanmoins doit faire sens. Sa malice et son talent à manier les mots n’étant jamais bien loin. Son discours est affirmé. Rien à voir avec ce qu’il produisait avec son précédent groupe, La Bergerie. Depuis, Lou y va plus franchement : « En solo, mes textes sont moins cryptés, je me sens plus libre. Et puis, depuis, j’ai fait mon coming out, c’est aussi lié au fait d’être mieux dans mes baskets. » En creux, ce qu’il dit, bordel, c’est qu’on a toutes et tous besoin d’amour (sous toutes ses formes, et peut-être avant tout d’amour-propre). Mais juste un peu d’intime, jamais trop. Quand il en parle, d’amour en l’occurrence, il passe en anglais : « Tout ce qui me concerne personnellement reste compliqué. L’anglais, c’était créer un filtre pour que ce soit moins difficile de gérer la pudeur. »

Une pudeur qu’il compense volontiers par sa présence en live, et par son désir de créer sur scène un spectacle total. Faire le show et mêler le spectacle vivant à la musique (il a fait du théâtre de ses 4 à 18 ans) le porte, depuis longtemps, comme le rap, qu’il écoute depuis toujours. Une manière, sans doute, de sortir de lui-même. Il fait d’ailleurs le lien entre ses origines et son rapport à la musique : « J’ai grandi à Forbach dans un monde ouvrier – le 57 envahit toute la France ! –, c’était marrant quand même. » Comme si ce genre musical et à la fois ses origines sociales, lui avaient inculqué le goût de la dissidence et de la contre-culture, le goût de la politique qui se loge dans les interstices.

Entre-temps, il a été sur les bancs de la fac d’arts plastiques (« Je sais dessiner des arrosoirs, c’est déjà pas mal ») et a fait une formation pour devenir moniteur éducateur. Mais finalement, la musique l’a ramené ici, à Strasbourg, et la musique l’a rattrapé. C’était inévitable. Elle est de toute façon partout où il passe : écouter, concocter des playlists, produire, danser, lever le poing. Lou, c’est brut, c’est vrai, et y’a tout qui dépasse. Indispensable et fucking rafraîchissant.

Bonus : la playlist de Lou concoctée pour Zut


Freestilz disponible sur toutes les plateformes d’écoute dès le 19 juillet
Premier EP attendu en mars 2022
tippingpointproduction.com
La page Instagram de Lou


Par Cécile Becker
Photos : Julie Iltis