Malik Djoudi, en profondeur

Tempéraments, deuxième et dernier album de Malik Djoudi, c’est une épiphanie discrète, une épiphanie intérieure, quelque chose qui provient des abysses de l’intime et qui touche droit, net, et juste, emporté par une production musicale qui tire encore en profondeur, remplie de basses et de sons à la fois fiévreux et lumineux. Un album fascinant et indispensable.

Malik Djoudi © Christophe Urbain

Pour être tout à fait honnête, ça ne nous était pas arrivé depuis longtemps : cette timidité-là, voire même cette gaucherie face à Malik Djoudi. Alors bien sûr, on ne niera pas que la journaliste derrière ces lignes est plutôt réservée, et que, toute auditrice qu’elle est, est une fervente amatrice de la musique de Malik Djoudi. Deux éléments qui, fatalement, engendrent au moins un peu d’admiration et donc de gêne. On ne niera pas non plus que, pour échapper aux tics des interviews promo, elle tente souvent par des détours plus ou moins assumés de raconter à la fois l’artiste et l’humain. De toucher du doigt le point de convergence. Cette prétention-là d’accéder à une forme de vérité n’est pas forcément accessible avec toutes et tous. Surtout quand on fait face à un artiste peut-être aussi réservé que nous – et ce même si sa musique ne nous le laissait pas présager tant il trifouille ses tripes, souvenirs et sentiments.

L’échange fût ainsi teinté d’étrangeté : comment communiquer quand on tente de creuser les intentions d’un musicien pour qui la musique revêt un aspect si sacré ? On a cherché à trouver les mots justes, on ne pense pas avoir atteint ce but. Et puis, on a fini par se dire que la musique pouvait très bien se passer d’explications. Alors on a gardé de cette interview la substantifique moelle en l’habillant de ces sons qui racontent bien plus du musicien que le musicien lui-même. Il y eut UN, et notamment Cinéma ou Peur de rien, il y a désormais Tempéraments, avec À tes côtés, en duo avec Étienne Daho, Tempérament ou Au jour le jour. Fantastique.

On sent en vous écoutant une nécessite de dire. Quelle urgence y avait-il à faire de la musique ?
C’est en moi. C’est là depuis que je suis tout petit, de chanter. J’entends des mélodies et des arrangements. J’ai cette nécessité d’écrire des chansons, ça m’habite. J’aime bien parler de moi-même aussi, même si je ne dis pas tout.

Je parlais avec Chaton de l’état de la pop française aujourd’hui : on a la sensation que la jeune génération de chanteuses et de chanteurs se livrent tout entier. Est-ce plus évident aujourd’hui de parler de soi ou de porter une parole plus incarnée ?
Il y a eu des époques où personne ne le faisait, les gens n’avaient pas envie de ça. Cela arrive peut-être au moment où les gens en ont ras-le-bol de tout. Je crois qu’on a envie de retourner à la simplicité, à la sincérité et à l’intégrité. Moi, je ne me vois pas faire autre chose. Je n’ai pas envie de rigoler avec la musique, j’ai envie d’aller en profondeur. Pour moi, la musique, c’est assez sacré.

Une profondeur dans le texte mais aussi dans les productions… Votre méthode ?
Je pars souvent d’un instrument, soit d’un synthé ou d’une guitare. Parfois, les mélodies m’arrivent dans la tête comme ça. Il faut vraiment que ça m’hérisse le poil, que je sente que le son et les accords sonnent bien. Je tâtonne… des heures. J’adore ça : rechercher et sentir que tu tiens un truc, puis partir dedans. C’est un parcours, un dialogue que j’entretiens avec la musique. Je compare toujours ça à la peinture : tu vas chercher des couleurs, les mélanger, les superposer, les enlever…

Quelle est l’importance de la couleur bleue, celle de la nuit ?
On peut presque parler de synesthésie. Sur le premier album, c’est marrant, le bleu était déjà là. Je me rends compte que le bleu représente assez ma musique, peut-être parce que c’est l’une des couleurs qu’on peut le plus nuancer. C’est un peu une histoire de mettre la tête à la surface ou d’aller très en profondeur, dans l’inconscient. Le bleu clair peut ramener le soleil et le bleu foncé peut ramener du sombre. Tout ça me raconte : le contraste.

La musique semble être instinctive chez vous…
La musique, je la vois comme quelque chose de spontané et d’instantané. J’ai des idées qui me viennent comme ça, sans vraiment y réfléchir, une mélodie qui m’arrive, une phrase, un rythme… J’ai la chance d’avoir cette capacité à pouvoir me faire un arrangement dans la tête sans connaître la musique. Peut-être que de penser les choses en termes de note ou de gamme m’aiderait ? Ce qui est dingue quand on fonctionne comme ça c’est que parfois, ça ne vient pas. Je n’y arrive pas. Ce qui va venir débloquer c’est un événement, l’amour, la rupture : et c’est là que je réalise que c’est encore une fois très lié à l’intériorité, à la profondeur.

Cette collaboration avec Étienne Daho est amusante : vous avez beaucoup de points communs, cette manière de faire de la pop sans avoir l’air d’y toucher, quelque chose d’un peu new wave dans l’esprit, d’un peu britannique aussi… Sur À tes côtés, le parallèle est total.
Étienne Daho est un très bon ami. Il me donne beaucoup de conseils et beaucoup de confiance. Vu la carrière qu’il a, vu la curiosité et la culture musicale… De me porter, d’avoir confiance en moi et parler de moi c’est un cadeau énorme. C’est quand même Étienne Daho ! J’aime beaucoup ce qu’il écoute, il a une grosse culture anglo-saxonne. Ça me donne des ailes d’avoir sa confiance…


Propos recueillis le 29 mars 2019 à La Laiterie à Strasbourg


Par Cécile Becker
Photo Christophe Urbain