Odezenne tout en relief

Précurseurs d’un genre singulier, Odezenne raconte la vie et ses reliefs à travers des textes lumineux et poétiques posés sur des sonorités synthétiques. Shoot d’émotions et fulgurances, leurs mots flirtent de zéro à 1 200 mètres entre spleen et ivresse inouïe. Les questions se font d’ailleurs plus nombreuses que les réponses. Pourtant Alix, Jacques et Mattia ont ce quelque chose d’apaisant, cette capacité à nous englober dans une atmosphère contemplative, quelque part bien au-dessus du chaos ambiant. Rencontre avec Jacques Cornary, l’un des chanteurs, en marge de leur tournée qui passe par L’Autre Canal à Nancy (le 4 mars) et à la Laiterie à Strasbourg (11 mars).

Odezenne
Odezenne est en concert à L’Autre Canal à Nancy (le 4 mars) et à la Laiterie à Strasbourg (11 mars). © Edouard Nardon et Clément Pascal

Peut-on dire de ce nouvel album qu’il est né du confinement ?
Lorsqu’on travaille sur nos disques, on est toujours un peu confinés. On est dans une pièce, on fait de la musique, on ne sort pas. Mais c’est vrai qu’au premier confinement, lorsque le pays s’est arrêté, ça a été dur. On avait fini notre tournée fin décembre 2019 et le confinement est tombé en mars 2020, on s’est retrouvé à recomposer très vite comparés à ce qu’on s’était dit. À la base, on avait prévu de faire une pause de quelques mois mais le confinement nous a mis un petit coup de boost. On n’avait pas en tête de faire un album, on voulait simplement sortir des singles, Hardcore, Caprice… et voir ce que ça allait donner. Au bout d’un moment, on a eu suffisamment de chansons pour se dire que ce serait dommage de ne pas mettre, sur un disque, ces quelques titres qui représentent une photographie de cette période de nos vies.

Que vouliez-vous évoquer en intitulant votre album 1 200 mètres en tout ?
C’est une hauteur. Entre 0 et 1 200 mètres, il y a les hauts et les bas de la vie. De notre point de vue, quand tu es à 1 200 mètres, tu es dans une joie exceptionnelle et tout va bien. À  0, t’as la tête sur le sol et le moral dans les chaussures, ce n’est pas cool. C’est ce que vivent la plupart des gens. La vie est une continuité de joies, de peines, de choses cools, d’autres moins, de bonnes nouvelles, de mauvaises, notre album représente un peu tout ça. Ce sont les reliefs de la vie.

Sans les bas, pas de hauts.
Exactement, d’où l’importance du relief.

De quoi s’est nourrit cet album ?
De ce qu’on a pu vivre les uns et les autres pendant les deux dernières années. Il y a eu des choses assez dures et d’autres assez extraordinaires. Des morts, des naissances. Un équilibre.

Pendant le confinement, vous avez fait appel à votre public pour concevoir le clip du titre Hardcore. Comment est née cette idée ?
On avait déjà cette idée de clip participatif pour un morceau qui n’est finalement jamais sorti. Pendant le confinement, on y a repensé et on en a parlé avec Romain Winkler avec qui on travaille souvent, ça semblait coller parfaitement. On a fait un appel à candidatures, on s’attendait à recevoir 100 rushs max. On en a reçu plus de 5 000. C’était incroyable. Après, le talent de montage de Romain a servi à réaliser ce super clip. On s’est divisé la tâche pour trier les 5 000 rushs, puis on a commencé le montage. Au fur et à mesure, Romain nous disait : « Il me manque une image comme ça pour l’intégrer ici. » Et là, t’en avais un d’entre nous qui se souvenait avoir vu passer quelque chose qui correspondait et, du coup, on retournait le chercher dans les rushs. Un bordel sans nom. Mais à la fin, la qualité est là, ça en valait la peine.

Vous avez dû être touchés de voir cet engouement de la part de votre public.
L’engouement oui, et puis même en terme de satisfaction, on a réalisé ce clip, composé de la musique et de la vidéo, auquel énormément de gens ont participé. Le résultat offre une belle photographie de ce qui se passait à la période du confinement, c’est un beau témoignage. Personnellement, ça m’a fait du bien de voir ces gens qui vivaient la même chose que moi. Le combo entre la vidéo et la musique est redoutable. Je pense que si on avait fait le même clip sur une autre chanson, ça n’aurait pas aussi bien marché. C’est une petite capsule temporelle.

Odezenne
Les Bordelais viennent de sortir "1 200 mètres en tout", leur troisième album. © Edouard Nardon et Clément Pascal

Dans Une danse de mauvais goût, vous abordez le deuil et la perte aux côtés de Mansfield TYA. Cette collaboration vous est apparue évidente ?
Oui, Julia est une amie depuis presque 10 ans. C’est quelqu’un dont on aime beaucoup le travail aux côtés de Carla qui fait la musique. Julia écrit exceptionnellement bien, elle chante bien, elle retransmet les choses. Comme on s’entend bien et qu’on est fan de ce qu’elle fait, cette collaboration a eu lieu assez spontanément. Apparemment, elle partage le même avis à notre égard, donc c’était naturel que ça se fasse. 

Qu’en est-il de la collaboration avec l’acteur Pio Marmaï dans le clip San Pellegrino ?
On a proposé à Pio de tourner dans le clip, on lui a envoyé le morceau, le scénario et il a tout de suite accepté. Pour la réalisation du clip, on a utilisé l’appartement qu’Alix vient d’acheter. Il a fait toute la déco et Pio devait tout casser. S’en est suivi une grosse fête. C’était cool. Ce qui était vachement intéressant, c’était de travailler avec un vrai acteur. Lorsque je tourne moi-même dans nos clips, je ne suis pas acteur, j’écris des chansons, des poèmes. Si on me dit : « Fais une mine de mécontentement », je n’y arrive pas spontanément. Avec Pio, on avait un vrai acteur en face de nous, tu lui demandes s’il peut te faire ça ou ça et avec une facilité déconcertante, il le fait mieux que ce que tu attendais. C’est génial. 

Assorti d’un très beau clip, le morceau Vu d’ici rend hommage à Marie-Priska Caillet, la sœur d’Alix disparue il y a peu. C’était un choix symbolique que de placer ce titre à la fin de l’album ?
Il était évident de mettre ce titre à la fin, comme il était évident de mettre Mr. Fétis au début qui présente le décor de cet album. Après tu voyages et, à la fin, on retrouve cette conclusion qui dit que de toute façon : « Vu d’ici, tout va bien. »

Après 10 ans passés dans votre home-studio La Concorde, vous ouvrez prochainement un nouveau lieu de résidence artistique. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Ce lieu est comme un rêve. Ça fait deux ans qu’on est en train de le monter. La salle de son est finie, il reste encore quelques détails à terminer dans les salles de vie. On avait dans l’idée de faire ce qu’on va chercher à Berlin, Londres, New York, un lieu pour faire du son, où tu as un studio et de quoi vivre sur place. Notre nouveau lieu de résidence artistique se situe en plein centre-ville de Bordeaux. On y trouve une salle pour faire du son toute la nuit sans que personne ne l’entende. Il y a une cuisine, un grand salon, trois chambres, de quoi dormir sur place. Donc tu peux t’enfermer là-dedans et faire de la musique. Ça nous permettra déjà d’en profiter nous-mêmes et aussi d’inviter des potes pendant une semaine pour faire du son. Vu qu’on a un label, ce lieu nous permettra peut-être aussi de signer un artiste qui viendrait au studio bénéficier de notre son et créer. 

Quel est ton album coup de cœur de l’année ?
Monument Ordinaire de Mansfield TYA, tout simplement. 

Si tu pouvais ramener quelque chose de Strasbourg, que choisirais-tu ?
La Laiterie et son public.


Odezenne sera en concert le 4 mars à L’Autre Canal à Nancy et le 11 mars à la Laiterie à Strasbourg.


Par Emma Schneider
Photos Edouard Nardon et Clément Pascal