Rone, de la scène au cinéma

Rien ne prédestinait Rone à ce parcours et pourtant. Lui évoque la chance. Parler de talent serait plus juste. Après des études de cinéma, ses compositions hypnotisantes lui valent d’être repéré sur MySpace par le label InFiné. Un album, quelques concerts et la musique le happe. Le succès est immédiat, Spanish Breakfast lui ouvre les portes de temples electro aux quatre coins du monde, du Sonar à Barcelone, au Berghain à Berlin en passant par l’Ageha à Tokyo. Curieux et inspiré, l’artiste sort le titre Bye Bye Macadam, vu 43 millions de fois sur YouTube, s’offre le Coachella festival, l’Olympia à guichets fermés et réalise dans l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle complètement vide Quitter la ville, le premier clip à 360°. Les années passent, Rone multiplie les projets et mêle les disciplines. En 2020, l’artiste touche-à-tout dévoile un spectacle mis en scène avec le collectif (LA)Horde et interprété par vingt danseurs du Ballet National de Marseille. Après deux albums, le compositeur revient à ses premiers amours : le cinéma. Il est récompensé du César de la meilleure BO originale de film pour La nuit venue.  Sa dernière collaboration l’amène à signer la bande-son des Olympiades de Jacques Audiard. Rencontre en marge de son dernier concert à la Laiterie. 

Rone par Grégory Massat
"Longtemps, j’ai été le rat de laboratoire, seul dans mon studio à faire du son et là je prends beaucoup de plaisir à travailler avec les gens", assure Rone @ Photo Jésus S. Baptista

En mars, vous avez sorti l’album Rone & Friends, peut-on dire que c’est un album né du confinement ?
Exactement. À cette période, j’aurais dû être en tournée pour le spectacle Room with a View avec les danseurs du Ballet National de Marseille. Elle est malheureusement tombée à l’eau. Je me suis retrouvé désœuvré comme tout le monde, confiné chez moi et il y a eu cette idée de faire chanter des gens que j’aime sur mes morceaux. Je compose de la musique instrumentale et  j’avais l’envie d’un album de chansons. Au moment de la pandémie, j’ai voulu créer du lien à distance. C’est un album qui n’aurait jamais vu le jour si il n’y avait pas eu le confinement.

Sur cet album, vous avez invité de nombreux artistes comme Dominique A, Yaël Naim et Odezenne. Comment trouve-t-on la voix qui s’associera à la composition ?
Avant Rone & Friends, j’avais réalisé l’album Room with a View. À sa sortie, Casper Clausen, le chanteur d’Efterklang, me dit qu’il adore le morceau Human sur lequel il avait envie de chanter. C’était une proposition spontanée par mail. Je lui ai envoyé l’instru pour le fun et il m’a renvoyé une version que j’ai trouvé très belle. Ce morceau est devenu Closer sur l’album Rone & Friends. En parallèle, je redécouvrais la maquette d’un morceau que j’avais commencé avec Alain Damasio, un vieux pote. Habituellement, il m’envoie des textes plutôt engagés politiquement mais là, il y avait ce petit écrit érotique en hommage à Gainsbourg, qui m’a donné envie d’en faire quelque chose. Avec la combinaison de ces deux morceaux, quelque chose prenait forme. Quelque temps avant le confinement, j’avais également fait La nuit venue avec Camélia Jordana, donc j’avais déjà trois chansons en ma possession. Petit à petit, j’ai eu envie de créer quelque chose avec Yaël Naim. Elle a choisi de poser sa voix sur Solastalgia que l’on a rebaptisé Breathe In. J’ai collaboré essentiellement avec des gens que je connaissais. Puis il y avait ceux avec qui je rêvais de travailler comme Dominique A. C’est un album un peu bizarre, un ovni, je réutilise des choses, j’en invente de nouvelles et tout s’est fait à distance.

L’album Room with a View est le fruit d’un spectacle créé à l’occasion d’une carte blanche offerte par le Théâtre du Châtelet. Pouvez-vous nous en parler ?
La directrice de l’époque Ruth Mackenzie m’avait donné carte blanche en me disant que tout était possible. Je n’avais jamais mis les pieds dans ce théâtre, un lieu magnifique avec une scène immense qui m’a marqué. J’ai eu envie de faire quelque chose de très visuel, d’assez narratif. J’ai eu envie de travailler avec des danseurs et j’ai pensé au collectif (La)Horde que j’appréciais pour la dimension politique de ses spectacles. On s’est retrouvé en résidence pendant dix jours, j’ai posé quelques thèmes sur la table avec l’envie qu’on aborde l’urgence climatique. J’ai insisté pour qu’il n’y ait aucun dialogue. Je ne voulais pas que ce soit du théâtre, mais qu’on arrive à dire les choses avec uniquement notre musique et la danse. Entre temps, ils ont pris la direction du Ballet National de Marseille, ce qui a complètement changé le projet puisqu’ils ont engagés 18 danseurs venus du monde entier. On a fait sept représentations sur les douze prévues en raison de la pandémie. Les trois premières dates étaient complètes et dans un format normal, puis on a eu la jauge à 1000 personnes et les masques. Il y avait un effet miroir car nos personnages portent des masques à gaz suite à l’effondrement climatique. Tout d’un coup l’actualité nous rattrapait, notre spectacle devenait de la science-fiction d’anticipation.  

Qu’est-ce qui vous a mené vers le cinéma et la création de bandes originales ?
C’était un vieux rêve. Après le bac, j’ai fait quatre ans d’études de cinéma à la fac, c’était hyper théorique, je n’avais pas de caméra entre les mains, ça m’a surtout façonné une culture ciné. J’étais passionné. Depuis l’adolescence, je faisais également du son, mais sans aucune ambition. Sauf qu’un jour, un label m’a proposé de sortir un disque. Après ce premier disque, il y a eu un concert et là tout d’un coup j’ai réalisé que j’adorais vraiment ça.  Puis il y a eu un deuxième concert, un troisième… Et je me suis fait totalement happer par la musique, j’ai complètement lâché le cinéma. Mais j’ai toujours fait plein de clips, conservant l’envie de faire des musiques de films, sauf qu’on me proposait des scénarios qui ne me parlaient pas. Il fallait vraiment que j’attende le bon projet. Et ça a été le cas avec La Nuit Venue de Frédéric Farrucci. C’était un pari puisque c’était son premier long-métrage. Le scénario était génial, c’est un film très atmosphérique qui laissait beaucoup de place à la musique. Pour moi, c’était histoire de me faire la main. Donc recevoir le César de la meilleure bande originale, c’était complètement fou. Cette récompense m’a ouvert plein de portes comme le fait de pouvoir faire la musique du dernier Jacques Audiard. 

Rone Grégory Massat
Rone a reçu le César de la meilleure bande originale pour La Nuit Venue de Frédéric Farrucci. @ Jésus S. Baptista

Quelles difficultés rencontre-t-on à devoir composer selon des images, selon une histoire à raconter ?
Quand tu composes un album, tu es seul maître à bord. J’ai un label qui me laisse complètement libre mais parfois c’est un peu vertigineux. Tu commences un album avec une grosse page blanche devant toi. Travailler au service d’un réalisateur et d’un film suggère un cadre. Tu peux avoir l’impression de perdre en liberté car tu es au service d’une œuvre collective mais, en vérité, je réalise que ça révèle des choses en moi que je ne serais pas allé chercher tout seul spontanément. Par exemple, dans le film d’Audiard, il y a plein de scènes très sensuelles qui m’obligent à aller sur des terrains sur lesquels je ne vais pas habituellement. Les musiques de film, je les fais seul dans mon studio devant un grand écran. Le film passe en boucle et je compose, je tâtonne jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose. C’est assez jouissif. C’est la même sensation que lorsque tu fais un bon concert et qu’il y a de l’électricité entre le public et toi. 

Y a-t-il un réalisateur avec lequel vous rêveriez de collaborer ?
Il y a quelques années, lorsqu’on me posait la question, je disais Jacques Audiard parce que j’avais adoré Un prophète et De battre mon cœur s’est arrêté. C’est un de mes réalisateurs préférés. Chez Audiard, la musique fait partie de l’écriture de son film au même titre que le scénario, le montage, le jeu d’acteurs. Dans ces deux films, c’est Alexandre Desplat qui avait composé la musique que je trouvais sublime. Je parle souvent aussi de Michel Gondry car il a réalisé la pochette de mon album Mirapolis, j’aurais voulu qu’on aille plus loin, on avait parlé de réaliser un clip ensemble et puis il a été happé par les États-Unis. C’est quelqu’un que j’aimerais retrouver au cinéma.

Si vous deviez donner un titre à votre carrière ?
Je suis un peu surpris par tout ce qui m’arrive. En même temps, je réalise que je ne me laisse pas tant porter que ça, il y a du travail derrière. J’ai envie de dire un truc débile, le titre d’un nanar des années 70 intitulé : Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir. J’aime bien l’idée de ne pas être là où on m’attend, de faire du cinéma, puis un spectacle avec des danseurs…

C’est important pour vous de mêler les disciplines ?
C’est clair. Longtemps, j’ai été le rat de laboratoire, seul dans mon studio à faire du son et là je prends beaucoup de plaisir à travailler avec les gens. Collaborer avec les danseurs, c’était dingue. J’ai pu voir aussi humainement le côté troupe, ce sont des spectacles où on est quarante. Je retrouve cette sensation sur les musiques de films, quand je crée les BO, je suis seul mais là, j’étais toute la semaine à Paris pour la promo des Olympiades, avec les acteurs… Il y a une énergie collective qui me plaît beaucoup. Je me dis qu’il va falloir que je bloque une période dans mon agenda pour me retrouver afin de chercher des choses un peu plus intimes. C’est un équilibre, je n’ai pas envie d’être tout le temps tout seul et je n’ai pas envie d’être tout le temps en meute. Je passe de l’un à l’autre.

Un lieu vous inspire-t-il particulièrement pour composer ?
Lorsque je dois commencer un nouvel album, je pars et je m’isole de mon label, de mes potes, de ma famille.  Il n’y a pas un lieu en particulier, au contraire, j’ai eu besoin de chercher à chaque fois des lieux différents. Pour Room with a View, le Centre des Monuments Nationaux m’avait proposé d’aller dans la maison de George Sand à Nohant-Vic. L’endroit m’attirait car c’est là que Chopin a composé 70% de sa musique. En fait c’était Shining, Nohant est au milieu de la France, c’est la campagne. Je n’ai pas le permis, je suis allé là-bas avec de quoi manger et j’étais dans ce lieu fantomatique. Il y a la tombe de George Sand dans le jardin, le piano de Chopin dans le salon, on a l’impression qu’il vit encore dans les lieux. La prochaine fois, j’irais ailleurs. Il me faut toujours un territoire vierge pour l’investir et me l’approprier. Quand j’habitais à Paris, j’allais composer dans des chambres d’hôtel en Bretagne. Mon seul critère était d’avoir une vue face à la mer. Je m’installais face à la fenêtre avec la ligne d’horizon et c’était hyper inspirant. Maintenant que j’habite en Bretagne, je fais l’inverse et je vais beaucoup à Paris (rires).


Propos recueillis le 7 novembre dans le cadre du concert de Rone à la Laiterie. 


Par Emma Schneider
Photos Jésus S. Baptista