Vaillant, électro-organique

Mirage Orange, nouvel album d’Olivier Stula (Vaillant), mêle improvisation, liberté des sens et expérimentations, pour un résultat chimérique. Lyrique et singulier, ce charmeur de machine nous livre sa conception de la musique, bleue comme une orange.

Vaillant Olivier Stula artiste Herzfeld © Sarah Dinckel
Vaillant (Olivier Stula). Photo : Sarah Dinckel

À la fin des années 70 et au tout début des années 80, nombreux étaient les groupes postpunk qui s’aventuraient à petits pas sur le terrain de l’électronique. Alors que le clavier semblait si suspect pour les punks, les artistes de la nouvelle génération lorgnaient du côté des pionniers, allemands pour la plupart – Kraftwerk, Neu! ou Conrad Schnitzler en tête –, pour intégrer ces étranges sonorités ; ils s’appuyaient sur les expérimentations de David Bowie et de celles de son producteur et mentor, Brian Eno – magnifique Another Green Land en 1975.
Après les vagues électroniques successives, dont celle foisonnante des années 2000, on en oublie presque ce travail de laborantin du son qui a conduit Throbbing Gristle, Section 25 ou Deutsch Amerikanische Freundschaft, et tant d’autres, sur la voie d’une lumière nouvelle : froide mais irradiante.

Olivia Stula, lui, n’a rien oublié. En marge de sa participation au groupe A Second of June, il retourne à ses amours premières. Sans nostalgie aucune, il marche sur les traces de ceux qui l’ont construit musicalement, avec un premier album solo sous le nom de Vaillant – un grand disque d’aujourd’hui. Étrangement, il retrace pour nous près de cinquante ans de musique électronique, de Cluster à Aphex Twin, non pas en historien de la musique, mais bien en amoureux d’un art aux possibilités infinies, de manière gourmande et parfois romantique. Si bien qu’il nous semble parfois difficile de situer les sources de quelque chose qui finalement – et c’est tant mieux –, n’appartient qu’à lui.

Ta démarche, purement électronique, avec des process d’enregistrement à la source, se démarque, quasi-pionnière.
Cette envie d’enregistrer un disque essentiellement électronique me vient de loin. J’avais fait ma petite communion pour recevoir un lecteur CD, sur lequel j’ai écouté en boucle mes premiers disques, Depeche Mode, Kraftwerk, les Pixies, The Cure et Joy Division. À partir de là, j’ai commencé à apprendre la guitare basse, mon premier instrument. C’est avec ce retour aux sources des musiques électroniques analogiques, marqué par le groupe Air et les débuts du label WARP, que je m’y suis vraiment intéressé – je jouais dans des groupes et je m’achetais des vieux synthés. Étudiant, je faisais de la musique électronique dans ma chambre, mais comme je ne disposais ni des capacités techniques ni des moyens d’arriver à un enregistrement, c’est resté en suspens. Dans les années 2000, je me suis penché sur les précurseurs de la musique électronique, comme Raymond Scott et Delia Derbyshire. Par la suite, j’ai repris ma basse électronique et j’ai monté le groupe A Second Of June avec Grégory Peltier.

« Ce qui m’intéresse c’est avant tout de faire danser la musique »

Ce glissement est aussi audible entre les différents albums du groupe. Avec le dernier, Pastel Palace, la guitare cède le pas à une orchestration électronique.
Depuis nos débuts, on avait toujours un synthé qui traînait, quand on enregistrait. Plus on avançait, plus on s’en est pris de passion, avec des structures plus formatées, plus pop. Il y a aussi qu’après le départ de notre batteur on a choisi de continuer par la force des choses avec une boîte à rythme. Par cohérence esthétique, on est allés vers une musique plus électronique.

Et Vaillant dans tout ça ?
Quand on a pris une dimension plus maîtrisée avec A Second Of June, j’ai eu besoin d’un espace de liberté. Au début, c’était vraiment récréatif, spontané. En 2014-2015, il y a eu quelques sorties sous le nom de Vaillant, mais toujours avec des guitares qui traînaient. C’était entre de la musique indé, électronique et de l’ordre de l’essai. L’envie de faire un disque a germé, j’ai enregistré les choses comme elles venaient pendant deux ans, avec pour nécessité d’appréhender la musique comme un espace de liberté totale où le geste et l’idée instinctive précèdent la composition. À la manière des groupes allemands des années 70, comme Can qui ne compose rien au préalable, j’improvise. Je me retrouve assez souvent avec des plages de 15-20 minutes, qui demandent un travail d’écoute attentive, d’édition, d’arrangement, puis de ré-édition. Une véritable pâte à modeler, qui peut aller très vite dans l’assemblage, ou prendre des mois. En parallèle, j’ai appris à être indépendant dans la technique, à enregistrer, mixer, composer.

Bien que Mirage Orange soit dans cet entre-deux, cette tension, il y a toujours une constante audible mélodique.
Malgré ce fantasme de réussir à faire danser les gens, ce qui m’intéresse c’est avant tout de faire danser la musique. J’ai rapidement senti qu’il fallait que j’aille vers cet aspect fourmillant, organique… Paradoxalement, la musique électronique est considérée comme mécanique, déshumanisée – un aspect qui me plaît comme auditeur, mais moins en tant que musicien. Je cherche à mettre le plus de vie possible dans des structures très répétitives, je travaille sur la notion de boucles jamais identiques. Pourtant, ce n’est pas une musique qui s’accompagne par le geste. Il y a des parties jouées sur un clavier, mais les deux tiers du disque sont programmés. Dans le programme, la séquence est modifiée en cours de route. Le son bouge.

Il y a une extrême variété de possibilités, d’expérimentations d’un morceau à un autre, mais avec une coloration, une cohérence pour l’ensemble.
C’est ça qui est complexe. Je pensais que le disque était fini un an avant qu’il ne le soit réellement. Il m’a fallu un an pour accentuer la cohérence et mettre de côté ce qui n’y avait pas sa place.

La dimension contemplative est également très présente.
Pouvoir projeter des images, créer une sorte de paysage mental, c’est de l’ordre du sensible, de l’humain. Je voulais amener de la lumière. C’est ce qu’il y a de plus magique pour moi, c’est présent, c’est de nulle part. Le titre, par exemple, a été choisi pour les sonorités avant tout, pour les mots qui sont dans les mots. Des groupes comme Cluster, essentiels à la musique électronique dans les années 70, ont été un déclencheur. Notamment avec ZuckerZeit et Sowiesoso, on y trouve une forme de sérénité, un aspect cinématographique, une musique répétitive mais jouée.

Pourtant, c’est aussi de l’ordre de la rupture, de quelque chose d’instable, qui perturbe.
Une boucle peut être rassurante, car on se sent en terrain connu, mais on peut s’y sentir enfermé. Mirage Orange, morceau titre, est tout en répétition… C’est le plus chaleureux et le plus déstabilisant, de par sa polyrythmie et la dissonance dans les arrangements. C’est un hommage à Trish Keenan. Broadcast, mon groupe de coeur, qui m’accompagne depuis plus de vingt ans.


— VAILLANT, Mirage Orange, Herzfeld


Par Aude Ziegelmeyer et Emmanuel Abela