De l'importance d'accueillir
des compagnies en résidence #1

Les résidences d’artistes représentent un espace-temps clef de soutien au processus de création. Dans une dynamique d’échanges et de co-construction, elles font le lien avec les populations, notamment les plus fragiles, mais aussi les jeunes en milieu scolaire jouant un rôle central dans la vie artistique et culturelle du territoire.

Eric Wolff, directeur du Relais Culturel de Haguenau accueille la Compagnie Les Attentifs. ©Henri Vogt

Rencontre avec Eric Wolff,
directeur du Relais Culturel de Haguenau qui accueille actuellement en résidence la Compagnie Les Attentifs.

Quelle est la politique de votre structure vis-à-vis des résidences d’artistes ?
Au Relais Culturel de Haguenau, mon prédécesseur comme moi-même avons toujours mis en place des résidences d’artistes tout au long de l’année à travers deux types de résidences : des résidences courtes qui durent de trois à une dizaine de jours maximum sur un projet ponctuel et une résidence longue de trois ans. Cette dernière est soutenue conjointement par la Région et la DRAC avec un cahier des charges précis à respecter par la compagnie que nous accueillons et un soutien important de notre part sur trois projets de création, de co-production. La compagnie en résidence est accueillie dans notre lieu, elle s’investit dans l’activité et la vie culturelle de la structure mais aussi de la Ville puisqu’elle participe à la Nuit des Musées, aux Journées Européennes du Patrimoine, au Festival l’Humour des Notes ou à Partir en Livre.

Quel est l’intérêt pour la structure culturelle de s’engager dans une résidence ?
Pour nous c’est important, la résidence nous lie à des artistes et c’est notre mission principale.
L’intérêt avec ce type de propositions est de pouvoir aller au plus près des spectateurs à travers un certain nombre d’initiatives culturelles, mais aussi à travers le processus de création. Avec les compagnies, nous mettons en place tout un travail de relations publiques, des ateliers, des rencontres, des masterclass, des rendez-vous à l’école, au lycée, au collège. C’est un moyen de médiation culturelle extrêmement important qui nous permet d’initier le plus grand nombre de spectateurs au processus de création et de les amener à réaliser qu’un spectacle ne se réduit pas qu’à un moment de distraction d’une heure et demie… Là, au contraire, l’intérêt est de participer à sa conception et d’entretenir ce lien entre les spectateurs et le théâtre, d’avoir un relais supplémentaire. Ce n’est pas de la com’, c’est humain et ça permet de créer plein de petits rendez-vous, de liens avec une multitude de publics différents. Un lieu culturel comme le nôtre devrait avoir systématiquement une compagnie en résidence, que ce soit une compagnie tout public, de cirque, de danse ou de musique.

Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler avec la Compagnie Les Attentifs ?
Je connaissais le metteur en scène Guillaume Clayssen. J’avais beaucoup apprécié son travail sur une précédente production et la façon dont il en parlait aussi. C’était quelque chose qui m’avait touché. Je pense que tout se passe par des rencontres. On a échangé, on s’est vu à plusieurs reprises, ça a duré un petit bout de temps avant qu’on se dise oui. Et à partir de là, on a établi la façon dont on allait travailler pendant trois ans ensemble et on a signé pour une résidence longue.

La compagnie Les Attentifs présente "In/Somnia" créé dans le cadre de leur résidence à Haguenau, mardi le 9 novembre ©Rui Henriques

In/Somnia est le premier projet issu de cette résidence ?
Non, il y a eu un premier projet, puis un deuxième intitulé Et me voici soudain roi d’un pays quelconque autour de Fernando Pessoa. Ce spectacle va également reprendre chez nous cette année puisqu’il a été créé pendant le confinement. La chance qu’on a eue pour In/somnia, c’est d’avoir réussi à obtenir un cofinancement pour une double résidence, à la fois une résidence de compagnie et une résidence d’artiste, plus particulièrement celle de l’écrivain, Thierry Simon. Auteur de théâtre contemporain, il a travaillé avec Guillaume Clayssen à la création de ce spectacle.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la pièce In/somnia ? Quels thèmes aborde-t-elle ?
Elle aborde les rêves. Guillaume Clayssen s’est inspiré d’une histoire racontée par un psychanalyste juif allemand. Il a analysé les rêves de ses patients au moment de l’accession d’Hitler au pouvoir et il a pu noter le fait qu’un certain nombre d’entre eux rêvaient différemment, que l’ascension d’Hitler changeait le contenu de leurs rêves. Des cauchemars, de l’anxiété, un tas de choses s’y développaient. Quant à Thierry Simon, il avait été interpellé par une histoire qui avait eu lieu au moment de l’Empire britannique. On avait demandé à l’ensemble des fonctionnaires des colonies britanniques de prendre note des rêves des agents qui travaillaient avec eux. À quoi pouvaient rêver les gens qui étaient colonisés. Rêvaient-ils à l’Indépendance ?

À partir de ces deux points de départ, Guillaume et Thierry ont commencé à travailler sur ce que produisent les rêves : « Si nous devions être dans un pays où les rêves étaient à nouveau possibles ou pas, à quoi pourrions-nous rêver et comment pourrions-nous à partir de ces rêves-là imaginer une autre société ? » Avec In/somnia, ils sont allés vers une vraie histoire, plus romancée, plus théâtrale racontant l’histoire d’un groupe de jeunes qui se retrouve sur une île et qui a une nuit pour réfléchir à rêver différemment leur vie et la société.

Par les temps qui courent, ces deux histoires posent des questions très pertinentes. Que signifie rêver ? Quand Guillaume Clayssen m’a parlé de l’histoire du psychanalyste allemand, on était dans l’ère Trump, donc on peut faire un parallèle aussi avec le populisme, avec tout ce que ça peut engendrer comme rêves, positifs ou négatifs. Comment la pression de la société altère les rêves ? C’est un sujet passionnant car il nous questionne par rapport à ce qu’il se passait à ce moment-là, mais aussi par rapport à ce qu’il se passe actuellement. Nous ne sommes pas mieux aujourd’hui.

Lorsque vous accueillez une compagnie en résidence, avez-vous votre mot à dire en ce qui concerne la création ?
Non pas forcément, la liberté artistique est pleine et entière, par contre on discute beaucoup du parcours. De quoi ont-ils envie de parler, quels sont les auteurs sur lesquels ils vont travailler ? Ce sont des choses que je leur demande afin de voir comment on peut les accompagner au mieux, développer nos réseaux et permettre à un certain nombre de publics d’adhérer à cette proposition-là. La compagnie doit répondre à un cahier des charges relativement lourd et contraignant et en s’engageant dans une résidence, les équipes artistiques ne s’engagent pas seulement sur leurs créations mais aussi sur beaucoup d’autres interventions. Donc tout le monde ne postule pas, en règle générale ce sont quand même des compagnies solides, qui ont de la bouteille et qui sont dans une vraie démarche au long cours. On les accueille en résidence et on les accompagne parce qu’on est persuadés que les textes qu’ils vont choisir entrent en adéquation avec ce qu’on a envie de raconter. Puis une fois qu’ils sont sur le plateau, de savoir si ils le montent à l’endroit à l’envers, en clown ou en musique, là c’est la part de l’artiste.


In/Somnia, le mardi 9 novembre 2021
Et me voici soudain roi d’un pays quelconque, le mardi 15 mars 2021
au Relais Culturel de Haguenau, 11 rue Meyer à Haguenau
03 88 73 30 54


Par Emma Schneider
Portrait Eric Wolff, Henri Vogt