La Dame aux camélias, beauté absolue

Arthur Nauzyciel signe la mise en scène de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas, un spectacle où la perfection scénique rare exclue tout autre geste.

La Dame aux Camélias Arthur Nauzyciel © Philippe Chancel
La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas, mis en scène par Arthur Nauzyciel. Photo : Philippe Chancel

S’amuser à comparer les documents de communication (programmes de salle, sites Internet) d’un spectacle avec l’œuvre elle-même met au jour, parfois, quelques écarts. Ainsi, depuis sa création en septembre 2018 à Rennes, La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils dans la mise en scène d’Arthur Nauzyciel est annoncée comme traitant de la prostitution et de son institutionnalisation.
À travers l’histoire de Marguerite Gautier la demi-mondaine, de sa liaison avec le jeune bourgeois Armand Duval, se déplierait un récit dénonçant la suprématie de la marchandisation des corps dans une société bourgeoise corsetée.

Étrangement, au sortir du spectacle, ce n’est pas cela qui ressort – l’on mettra, alors, ce tropisme d’interprétation sur le compte d’un dossier de présentation du projet extrêmement documenté sur ces points. Ce qui domine, plutôt, est le sentiment d’avoir pendant près de trois heures regardé, appréhendé, la beauté. Une beauté absolue, pure, aussi entière que lointaine, la distance éprouvée avec le récit nous rappelant que le tragique destin de la jeune femme n’est pas de notre monde.

Cette histoire, Arthur Nauzyciel la porte au plateau en mêlant les deux versions de Dumas fils, celle du roman (datant de 1848) et celle de la pièce (écrite dès 1849, jouée à partir de 1852 seulement en raison de la censure). Réalisée avec l’autrice, plasticienne et vidéaste Valérie Mréjen, l’adaptation saisit par son respect de la langue, sa clarté dans le récit. Cette sensation de limpidité, d’évidente pertinence se retrouve dans les artifices scéniques et c’est dans une scénographie dominée par un rouge carmin du sol au plafond (nimbée, presque) que les personnages évoluent et que les étapes du parcours de Marguerite se succèdent.

De sa vie de courtisane évoluant dans un monde de plaisirs à sa rencontre bouleversante avec Armand ; de leur relation à Paris à leur retraite quelques temps à la campagne ; de leur séparation (à la demande du père d’Armand) à la mort dans l’isolement de la jeune femme, l’ensemble se déploie lentement dans une langueur suave. Interprété avec justesse par les comédiens – Marie-Sophie Ferdane incarnant une Marguerite déterminée, consciente de ses actes – le spectacle dégage une mélancolie rare.

En contrepoint, parfois, est projeté un film en noir et blanc. Réalisées par Pierre-Alain Giraud, ces séquences, empreintes elles aussi de douceur, dessinent d’autres lieux, d’autres temps, disant à leur manière l’évolution des sentiments au sein du couple. Mais que produisent cette beauté folle, cette unicité esthétique sensuelle et virtuose ? Loin d’élaborer une critique d’un monde bourgeois confit de moralisme, cette Dame aux camélias propose un univers enclos, sans échappatoire possible. Marguerite elle-même accepte les règles de ce monde, et ne remet pas en cause sa mise au ban en raison de son statut de femme dépravée.

La beauté, l’érotisme et la fatalité sociale s’étirant dans un même mouvement, tous acceptent la violence sociale et le retour à l’ordre. La perfection est totale, et ne laisse ici aucune place à une remise en cause des mécanismes de domination.


La Dame aux camélias, mise en scène d’Arthur Nauzyciel, théâtre du 28 mars au 4 avril 2019 au Théâtre national de Strasbourg


Par Caroline Châtelet