Rapport sur moi est présenté comme la signature de votre compagnie The Party. Un titre introspectif qui marque aussi votre prise de fonctions, un heureux hasard ?
Matthieu Cruciani : En fait nous signons chacun un spectacle pour cette occasion. Émilie avec une première étape de travail de sa création Little Nemo qu’elle présentera la saison prochaine…
Émilie Capliez : Et Rapport sur moi que Matthieu a mis en scène et qui a été la première création de notre compagnie lorsque nous étions à Saint-Etienne.
M.C. : Oui, ça nous paraissait amusant de boucler la boucle de cette façon avec un format qui mêle littérature et musique. Après, le mouvement de Rapport sur moi n’est pas tant une démarche égocentrique qu’une démarche d’émancipation. Ce que l’auteur, Grégoire Bouillier, répète beaucoup, c’est de permettre aux gens de prendre la vie à leur niveau personnel avec un regard de réalité et de liberté sur soi. Son écriture apporte au spectacle sa part de légèreté, d’humour, de profondeur et de joie. Nous sommes d’ailleurs très heureux puisqu’il sera présent lors de cette carte blanche.
Comment a-t-il réagi lors de la création ?
M.C. : Bien, et de mieux en mieux ! C’est devenu pour lui un spectacle formidable. Il était à l’époque très surpris qu’on s’en empare. Ça fait partie de mes marottes mais je crois que lorsqu’on décide de mettre un auteur en scène il faut lui être un peu infidèle. Il faut le tordre, en faire théâtre, en faire plateau. Par exemple dans la pièce est intégré Some Kind of Monster, le documentaire sur Metallica et ça ne se passe plus dans un appartement mais dans un local de répétitions. D’entrée je délocalise le côté romanesque pour en faire quelque chose qui ne nous appartient plus, Grégoire l’a très bien pris !
Dans ce récit totalement autobiographique, Grégoire Bouillier n’a changé aucun nom. Faut-il tout dire dans un roman ?
M.C. : Il faut pouvoir dire et quitte à dire autant essayer de tout dire. Ça a posé de gros soucis de famille à Grégoire, sa mère a tenté de lui faire un procès et l’avocat a eu cette phrase géniale qui a mis fin aux poursuites : « Vous avez de la chance que tout soit vrai. »
Une vie incroyable commençant d’ailleurs par une partie de jambes en l’air à trois qui aurait donné naissance à l’auteur.
M.C. : Ah, voilà ! Du coup chez lui ce sont toujours un peu des odyssées, à savoir comment on rentre chez soi. Rentrer à Ithaque c’est concret, on rentre à la maison. Chez Grégoire, rentrer chez soi c’est se ré-emparer de sa vie. En fait, c’est l’histoire d’un homme qui, la quarantaine passée, établit un rapport sur sa vie en essayant de s’en saisir avec des mots, en en cherchant le sens comme nous le faisons tous à longueur de temps, c’est aussi simple que ça. Nous avons vraiment centré les choses autour de toutes ses rencontres, des figures féminines qu’incarne Émilie tour à tour, avec la musique comme bande-son d’une vie.
Partir du roman pour en faire théâtre, comment avez-vous procédé ?
M.C. : Par tentatives.
E.C. : Par des passages dans le texte qui nous plaisaient particulièrement.
M.C. : En commençant par mettre les instruments de musique au centre, et comme dans ces albums-concepts des années 70 imaginer comment mettre ces passages en musique en gardant les tentatives à vue. Ce spectacle a été écrit comme on l’a répété, comme une politesse faite au spectateur de montrer les difficultés d’une création. Il faut qu’il y ait des contradictions sur un plateau pour qu’il soit vivant.
E.C. : C’est tout ce qu’on a pu étoffer autour de cette trame narrative, de tous ces moments de silence et de musique qui ne sont pas induits dans le texte et le mettent en valeur différemment.
Émilie, qui êtes-vous dans ce spectacle ?
E.C. : Je suis une chanteuse qui au fur et à mesure du récit incarne les différentes femmes de la vie de l’auteur, la mère, l’amante, enfin il y en a vraiment beaucoup ! Ce qui est assez amusant c’est que le manque de réalisme d’un personnage à l’autre rend les choses très fluides.