Émilie Capliez et Matthieu Cruciani, le tandem de la CDE

Zut magazine - Comédie de l'Est avec Émilie Capliez et Matthieu Cruciani. Photo : Pascal Bastien
Émilie Capliez et Matthieu Cruciani. Photo : Pascal Bastien

Rapport sur moi est présenté comme la signature de votre compagnie The Party. Un titre introspectif qui marque aussi votre prise de fonctions, un heureux hasard ?
Matthieu Cruciani : En fait nous signons chacun un spectacle pour cette occasion. Émilie avec une première étape de travail de sa création Little Nemo qu’elle présentera la saison prochaine…
Émilie Capliez : Et Rapport sur moi que Matthieu a mis en scène et qui a été la première création de notre compagnie lorsque nous étions à Saint-Etienne.
M.C. : Oui, ça nous paraissait amusant de boucler la boucle de cette façon avec un format qui mêle littérature et musique. Après, le mouvement de Rapport sur moi n’est pas tant une démarche égocentrique qu’une démarche d’émancipation. Ce que l’auteur, Grégoire Bouillier, répète beaucoup, c’est de permettre aux gens de prendre la vie à leur niveau personnel avec un regard de réalité et de liberté sur soi. Son écriture apporte au spectacle sa part de légèreté, d’humour, de profondeur et de joie. Nous sommes d’ailleurs très heureux puisqu’il sera présent lors de cette carte blanche.

Comment a-t-il réagi lors de la création ?
M.C. : Bien, et de mieux en mieux ! C’est devenu pour lui un spectacle formidable. Il était à l’époque très surpris qu’on s’en empare. Ça fait partie de mes marottes mais je crois que lorsqu’on décide de mettre un auteur en scène il faut lui être un peu infidèle. Il faut le tordre, en faire théâtre, en faire plateau. Par exemple dans la pièce est intégré Some Kind of Monster, le documentaire sur Metallica et ça ne se passe plus dans un appartement mais dans un local de répétitions. D’entrée je délocalise le côté romanesque pour en faire quelque chose qui ne nous appartient plus, Grégoire l’a très bien pris !

Dans ce récit totalement autobiographique, Grégoire Bouillier n’a changé aucun nom. Faut-il tout dire dans un roman ?
M.C. : Il faut pouvoir dire et quitte à dire autant essayer de tout dire. Ça a posé de gros soucis de famille à Grégoire, sa mère a tenté de lui faire un procès et l’avocat a eu cette phrase géniale qui a mis fin aux poursuites : « Vous avez de la chance que tout soit vrai. »

Une vie incroyable commençant d’ailleurs par une partie de jambes en l’air à trois qui aurait donné naissance à l’auteur.
M.C. : Ah, voilà ! Du coup chez lui ce sont toujours un peu des odyssées, à savoir comment on rentre chez soi. Rentrer à Ithaque c’est concret, on rentre à la maison. Chez Grégoire, rentrer chez soi c’est se ré-emparer de sa vie. En fait, c’est l’histoire d’un homme qui, la quarantaine passée, établit un rapport sur sa vie en essayant de s’en saisir avec des mots, en en cherchant le sens comme nous le faisons tous à longueur de temps, c’est aussi simple que ça. Nous avons vraiment centré les choses autour de toutes ses rencontres, des figures féminines qu’incarne Émilie tour à tour, avec la musique comme bande-son d’une vie.

Partir du roman pour en faire théâtre, comment avez-vous procédé ?
M.C. : Par tentatives.
E.C. : Par des passages dans le texte qui nous plaisaient particulièrement.
M.C. : En commençant par mettre les instruments de musique au centre, et comme dans ces albums-concepts des années 70 imaginer comment mettre ces passages en musique en gardant les tentatives à vue. Ce spectacle a été écrit comme on l’a répété, comme une politesse faite au spectateur de montrer les difficultés d’une création. Il faut qu’il y ait des contradictions sur un plateau pour qu’il soit vivant.
E.C. : C’est tout ce qu’on a pu étoffer autour de cette trame narrative, de tous ces moments de silence et de musique qui ne sont pas induits dans le texte et le mettent en valeur différemment.

Émilie, qui êtes-vous dans ce spectacle ?
E.C. : Je suis une chanteuse qui au fur et à mesure du récit incarne les différentes femmes de la vie de l’auteur, la mère, l’amante, enfin il y en a vraiment beaucoup ! Ce qui est assez amusant c’est que le manque de réalisme d’un personnage à l’autre rend les choses très fluides.

Il y a deux lectures assez immédiates où le burlesque compose directement avec la matière douloureuse.
E.C. : C’est un projet doux-amer où sous la drôlerie vivent les failles, quelque chose de solitaire et mélancolique. Ce sont des allers-retours qui sont très présents dans notre travail d’une façon générale.
M.C. : Nous aimons la pudeur, celle qui offre le plus important de nous sans embarrasser l’autre.

La littérature est-elle un endroit de sublimation, de catharsis ?
M.C. : C’est un endroit de saine mythomanie. Sauf que dans le cas de Rapport sur moi, la réalité de la vie de Grégoire dépasse toutes les fictions imaginables ! Mais oui, elle a une dimension de sublimation dans le sens où elle enrichit et multiplie les regards en nous, où elle permet de tourner et d’être un peu plus mobiles en face de cette chose un peu intangible qu’est la réalité.
E.C. : En tout cas, la rencontre avec Rapport sur moi nous a permis de braquer un univers qui nous touchait profondément tout en permettant de nous présenter.

Justement, aucune création n’est anodine. Pensez-vous que tout est politique ?
M.C. : Tout est littérature.
E.C. : Tout est poétique et politique.


— RAPPORT SUR MOI
pièce de théâtre du 5 au 9 mars
Comédie de l’Est | Colmar
— LITTLE NEMO
spectacle musical avec Françoiz Breut
(première étape de création),
06 et 09 mars | Comédie de l’Est | Colmar
— FRANÇOIZ BREUT
concert dans le cadre d’une journée The Party
09 mars | Comédie de l’Est | Colmar

www.comedie-est.com


Par Nathalie Bach
Portrait Pascal Bastien