Filature et étoiles filantes

Vendredi 23 avril, fin de journée. Nous sommes dans « le vaisseau amiral de la culture mulhousienne » à quelques instants de la rencontre et projection du film Spectrographies de la “star” de la photo SMITH et du concert de l’ovni Laurie Anderson (qui fut résidente à la NASA). Entretien avec Benoît André, directeur de La Filature, au milieu de ces Corps Célestes* qui traversent la dernière partie d’une saison particulière.

La mécanique du hasard
La Mécanique du hasard (mise en scène d'Olivier Letellier) à voir les 8 et 9 juin à La Filature. © Christophe Raynaud de Lage

Comment expliquer l’alignement d’étoiles de ce soir ?
Il s’agit de liens qui se créent, d’un concours de circonstances. J’essaie de créer des passerelles, tisser des liens entre les différentes “maisons” mulhousiennes (le festival Météo, le Noumatrouff, etc.) et un “fil rouge Philip Glass” s’est dessiné avec la création d’Alice par le Ballet de l’Opéra national du Rhin, le brunch musical avec l’Orchestre symphonique de Mulhouse et le concert d’Angélique Kidjo en partenariat avec l’OsM, dans le cadre du festival Vagamondes. J’avais dans l’idée de demander à Glass de jouer avec Laurie Anderson sur les textes d’Allen Ginsberg pour ses 85 ans. Ayant subi une opération du cœur, il n’a hélas pas eu la possibilité de se déplacer en avion : j’ai donc sollicité Laurie Anderson seule en lui demandant une faveur, faire un hommage à Glass en fin de concert (Anderson rendra en effet hommage à son « héros » qui résiste aux maux du monde « en faisant de la musique », NDLR). 

Qu’appréciez-vous chez SMITH, compagnon au long cours de La Filature (qui collaborera notamment à la programmation des Vagamondes portant sur la notion de genre, la saison prochaine), lui-même très admiratif de Laurie Anderson ?
C’est une personnalité avec un discours, une voix, une pensée qui va au-delà de la photographie. J’aime aussi l’idée de donner une visibilité à un artiste trans sur un territoire qui n’est pas celui d’une mégalopole ! SMITH questionne la notion de transformation : il porte un regard singulier sur le monde, le traduit dans son travail, le transporte ailleurs, en croisant styles et disciplines. Paul Preciado, avec lequel il collabore, fait partie de cette “galaxie” de penseurs qui m’intéressent beaucoup.

Benoit André La Filature
Benoît André, directeur de La Filature. © Sébastien North

Il n’y a pas de hasard… mais Olivier Letellier l’analyse dans le spectacle La Mécanique du hasard. Pourquoi l’avoir choisi comme artiste complice de La Filature ?
C’est un talent de metteur en scène et un citoyen qui me touche énormément dans sa vision du monde. Il sait s’adresser au jeune public – comme avec Oh Boy !, son spectacle fondateur – s’emparer de sujets difficiles et les porter à la scène de manière admirable, avec l’humanité qui le caractérise. La Filature est le « navire amiral de la culture » à Mulhouse mais n’a pas beaucoup de moyens de co-production (Benoît André travaille activement au développement du mécénat pour aller dans ce sens, NDLR). J’ai alors décidé de mettre les artistes associés au service du territoire pour toucher la population, très jeune, de la ville. Olivier Letellier a la souplesse de pouvoir reprendre un spectacle et de le jouer hors-les-murs : il a accepté de remonter L’homme de fer avec un comédien qui vient du TNS (Romain Gneouchef, NDLR). La mécanique du hasard est à la fois d’une grande simplicité et d’une immense profondeur, faisant passer des messages en filigrane, avec subtilité. 

Autre spectacle extra-terrestre, Kamuyot, duchorégraphe israélien Ohad Naharin avec le Ballet de l’OnR aura lieu dans trois gymnases. Le public mulhousien doit-il s’apprêter être en sueur ?
L’objectif n’est pas de donner des sueurs au public mais le sourire ! Ce spectacle est ma plus belle rencontre avec la danse contemporaine. La légende dit que Kamuyot a été conçu à un moment où des bombes sautaient dans des bus à Tel Aviv et les gamins ne pouvaient plus se rendre dans les théâtres : Ohad Naharin a conçu une pièce, sans lumières, pouvant être jouée n’importe où. Il suffit de simples bancs placés en quadri-frontal.

Un spectacle d’état d’urgence ?
C’est un peu ça. La pièce est d’une grande générosité, avec une quinzaine de danseurs au plateau, l’énergie débordante d’Ohad et des choix musicaux allant de la pop psychédélique japonaise qui bastonne aux sonates de Bach. J’ai ce projet en tête depuis Chaillot où j’étais secrétaire général car il s’agit d’une création reprise dans le cadre d’une production locale, avec le Ballet de l’OnR, plus souple qu’avec une distribution israélienne. Notre pari est de faire sourire les spectateurs et de mixer les publics.

Autre alignement d’étoiles : votre présentation de saison 22-23 a lieu le jour de mon anniversaire, le 14 juin…
On vous mobilisera alors [rires]. Que puis-je m’autoriser à dire sans trop en dévoiler ? Évoquons la nouvelle création d’Olivier Letellier, dans le cadre de Momix, qui se fera ici, une belle surprise avec Jazzdor concernant un pianiste célèbre, l’ensemble Intercontemporain qui fait actuellement sa mue et Caty Olive, notre artiste complice, à la création lumière. La saison prochaine, nous allons également renforcer nos activités dominicales – avec brunchs, séances de ciné, concerts de musique de chambre, ateliers jeune public – et faire avancer le projet de restaurant, qui devrait – enfin – voir le jour ! Nous aimerions que La Filature devienne un lieu ouvert, un peu comme le 104 : j’ai l’intime conviction qu’il faut démultiplier les raisons d’ouvrir les portes de cette maison, sans forcément pour y voir un spectacle.


* Corps Célestes est le thème de la cinquième édition de la Biennale de la Photographie de Mulhouse (4 juin-17 juillet). Désidération (du 11 juin au 7 juillet) de SMITH, artiste complice de La Filature, entre dans le cadre de la biennale.


Par Emmanuel Dosda
Photo Sébastien North


Notre sélection

Olivier Letellier (artiste complice de La Filature) :
L’Homme de Fer : du 3 au 7 mai dans le cadre de La Filature Nomade
La Mécanique du hasard : 8 et 9 juin

Nosfell (La Filature lui a consacré un portrait cette saison) :
Mémoire de formes de Nosfell & Cie DCA / Philippe Decouflé : 10 et 11 mai
Libre à la forêt de Nosfell : 2 juin  

Services de la Cie Quai N°7 – Juliette Steiner : 11 et 12 mai

Songs from Waskaganish de Marc Lainé & les musiciens de Moriarty : 20 et 21 mai

Présentation de saison 22-23 : 14 juin 

Kamuyot, du chorégraphe israélien Ohad Naharin avec le Ballet de l’OnR : 5 juillet au Gymnase Maurice Schoenacker ; 7 juillet au Gymnase de la Caserne Drouot ; 9 juillet au Complexe sportif de la Doller (Mulhouse).