Vos spectacles semblent à chaque fois plus colossaux…
« C’est un problème que j’ai. En général, je l’explique en disant que j’adore la bouffe et que lorsque je vais dans un bon restaurant, je veux tout goûter. Je crois que je fonctionne aussi comme cela pour les œuvres que je monte. J’ai besoin d’une totalité, que le public soit usé par l’abondance de signes, de mots, de sens. Ayant un amour extrêmement contrarié vis-à-vis du théâtre – je le déteste autant que j’y suis attaché –, j’ai du mal à faire du théâtre qui ne produise pas une forme d’épuisement. L’idée que la fiction, que raconter une histoire soit le socle du théâtre, me pose problème. Lorsque je crée un spectacle court, j’ai une sorte de frustration, puisqu’à la fin, on finit par raconter une histoire. Monter un spectacle long racontant quatre, cinq histoires, permet de déjouer cela. Il n’y a pas un récit, mais plusieurs, pas un message, mais mille. Et puis le défi de la longueur me permet d’avoir cette sensation encore nécessaire de mes débuts, ce « on n’y arrivera jamais ». »
Votre rapport contrarié au théâtre a-t-il à voir avec votre utilisation du cinéma, qui vient « abîmer » le théâtre ?
« Une actrice m’a confié que travailler avec moi pouvait être dur : les acteurs ont besoin de gens qui aiment le théâtre, et en l’abîmant j’avais, parfois, tendance à abîmer la joie que les acteurs avaient à jouer, ou la pureté de leur geste. Le théâtre étant un art collectif, c’est difficile de débarquer tout seul avec sa sulfateuse … Mais je sais que je continuerai à faire du théâtre tant que j’aurai un problème avec cet art. Je n’en ai aucun avec le cinéma – c’est pour cela que je n’en fais pas – et je pense que si j’en faisais, je produirais des objets complètement lisses. Beaucoup de metteurs en scène n’ont pas de problèmes avec le théâtre et leurs productions sont souvent académiques et ennuyeuses. Par exemple, je déteste les metteurs en scène qui évoquent la communion avec le public. Le théâtre que j’aime, celui des metteurs en scène Frank Castorf, Claude Régy, etc., sont des théâtres d’expérience solitaire, des théâtres qui vont contre quelque chose, parfois le public ou, même, contre eux-mêmes. Ce peut être des théâtres de puissance collective et de partage, mais aussi introspectifs. Mes spectacles, même massifs, relèvent de la solitude et de l’introspection. »