Pourquoi avoir fait le choix de reprendre La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès ?
Cette pièce est rare, inoxydable, magnifique, facile d’accès et Jean-Christophe Folly avait très envie de la jouer. Je l’ai rencontré il y a un an et demi lors de la représentation de Richard Avedon – James Baldwin : entretiens imaginaires à Colmar, un des tous derniers spectacles avant le confinement. Un acteur que j’admire et qui choisit ses projets, une espèce d’homme libre et qui m’a dit que La nuit juste avant les forêts était la pièce qui lui avait donné envie de faire du théâtre. Le confinement est intervenu, j’ai eu le temps de me replonger dans Koltès avant de lui proposer d’en faire ma prochaine création. J’avais envie d’un projet simple avec peu de monde en plateau. Une envie de qualitatif et de travailler en précision et en connivence avec lui. Et il s’agit d’un texte qui allie une magnifique charge poétique avec une acuité politique très précise et très contemporaine.
Ce texte a été écrit en 1977, en quoi résonne-t-il encore aujourd’hui ?
Souvent, quand tu vas voir un mec qui monte un Molière ou un Racine, on va te dire « en fait, Pyrrhus, c’est Trump au Pentagone » et tu as le droit de plisser les yeux en étant dubitatif. Là, l’histoire de ce type qui a choisi d’arrêter de bosser, qui se cherche un récit un peu alternatif, fait un pas de côté en marge de la société pour se ressaisir de son existence, d’étranger pas tout à fait accepté et paupérisé et a du mal à entrer en contact avec quelqu’un dans la rue, on n’est pas sur des thématiques à obsolescence programmée. Malheureusement, on est toujours dans le même marigot avec l’impression qu’on se rend compte des limites de notre contrat social en France tous les cinq ans. En vrai, la situation n’évolue pas et c’est sans doute de pire en pire. Ce qui est peut-être daté, mais pas forcément tant que ça, c’est que Koltès était engagé politiquement notamment auprès du Parti communiste. Je trouve que pour ma génération de quarantenaire, on était dans un tel désert d’utopie où, à part le néo-libéralisme, rien ne nous était proposé, c’est important de revenir au pays des rêves et des utopies. Sans doute que ce n’est pas tellement daté de refaire tinter des idées de progrès humains, sociaux, anthologiques et de croire en l’humanité. Ensuite, le langage de Koltès ne prend pas une ride, c’est une pièce qui est inoxydable car ces urgences sont toujours d’actualité. Ici, c’est vraiment la magie élémentaire du théâtre. Il y a un texte, un plateau et un acteur. À un moment de crise pour le spectacle vivant, ça ne me semblait pas être un signe débile à envoyer qu’un directeur de structure monte un projet avec un seul acteur, économiquement raisonné, sans repartir sur une fresque confiscatoire pour pouvoir partager l’argent qu’il reste avec les compagnies et nos jeunes auteurs associés.