La scénographie de cette nouvelle création vient rompre avec l’habituel cube noir. Quel rôle donnez-vous à cet espace ?
Ce lieu blanc, immaculé, presque surexposé, c’est celui de la mémoire vierge. C’est un peu la catastrophe des débuts, qui va poser deux questions : comment apparaît la première image ? Qu’est-ce que c’est que de commencer ?
Dans cette mémoire vierge, quelle est la place de l’acteur ?
Le dispositif est analogue à celui d’un peintre. Comme le peintre va mettre sa toile sur le chevalet, disposer ses couleurs pour enfin se demander où et comment poser la première touche, je vais chercher à créer, chez le spectateur, les circonstances du surgissement de la toute première image. Les conditions sont réunies pour qu’il alimente et nourrisse cette mémoire vierge, afin qu’elle devienne une toile de projection. En parlant, en donnant des suppositions, je ne fais que de construire des images dans l’esprit du spectateur.
Alors, comment « commencer » ?
Cette question, c’est toute la tragédie de la pièce. On voudrait bien commencer les choses. Mais en réalité, on les commence avant même de les rendre visibles, à partir du moment où on y pense. Ça, ça nous échappe. Et à vouloir faire la meilleure ou la plus belle image, celle qu’on s’imagine, on se dirige inévitablement vers la catastrophe, vers l’échec. Alors, on efface, on gomme, on oublie, pour recommencer.
Est-ce qu’on pourrait parler d’expérience sensorielle ?
Dans nos autres productions, on amène ce travail par l’univers plastique, les sons, les lumières, etc. Dans Le Témoin, il y a quelque chose de plus brut. Par ce trajet menant l’acteur vers l’échec du surgissement de cette première image, on est dans une forme d’empathie, dans un univers sensible.
Et malgré tout, il y a une recherche d’esthétisme ?
Contrairement à nos autres créations dans lesquelles on investit beaucoup la scénographie, ici, le jeu est de travailler une forme de précarité. Mais dans un même temps, il y a une grosse densité de rapports plastiques qui n’apparaît pas dans un rapport esthétisant, dans une recherche du beau, mais d’une façon très active. Cet esthétisme, le spectateur se le crée lui-même, dans son imaginaire.