Thyeste : le règne du monstrueux

Le metteur en scène et comédien Thomas Jolly, artiste associé au Théâtre national de Strasbourg et fondateur de la compagnie La Piccola Familia, monte Thyeste, pièce sur les travers monstrueux du pouvoir.

Thyeste, Thomas Jolly
Thyeste, mise en scène de Thomas Jolly jusqu'au 15 décembre 2018 © Jean-Louis Fernandez

Philosophe, dramaturge et homme politique romain – il fut précepteur de Néron puis son conseiller lorsque ce dernier devint empereur –, Sénèque est connu comme « LE » auteur de tragédies latines. Parmi les neuf pièces de lui qui nous sont parvenues, Thyeste est la plus noire, ainsi que celle réputée irreprésentable par sa mise en jeu du cannibalisme et de l’infanticide.

Dans celle-ci, la rivalité entre deux frères jumeaux croît jusqu’au désastre : Atrée – interprété par Thomas Jolly lui-même – se dispute avec Thyeste le trône de Mycènes. Floué par son frère qui accède suite à diverses roueries au trône, Atrée prendra finalement le pouvoir par l’entremise de Zeus. Après avoir imposé l’exil à Thyeste, Atrée se rétracte et lui promet pardon et partage du règne. Un serment qui s’avère une ruse pour lui permettre de déployer sa vengeance : non content de tuer les enfants de Thyeste, Atrée les lui sert à manger et à boire lors d’un banquet.

Metteur en scène rompu à l’œuvre de William Shakespeare – pour avoir notamment monté Henry VI et Richard III –, Thomas Jolly change ici de cap. Pour autant, s’il passe de l’ère élisabéthaine au premier siècle après Jésus-Christ, le jeune metteur en scène et artiste associé au Théâtre national de Strasbourg ne cède en rien sur ce qui le passionne. Outre que ce soit Shakespeare qui l’ait mené à Sénèque – le premier ayant été largement influencé par le second –, Thyeste réunit tout ce qui fonde le travail de Jolly : une croyance fondamentale dans le texte et une vigilance quant à le monter pour ce qu’il est ; un travail au plus proche des acteurs, considérant ces derniers comme des créateurs et non de seuls interprètes ; un goût pour le spectaculaire, sans crainte de l’excès.

Cet équilibre savant, sur le fil, s’incarne autant dans le choix de la traduction que dans le rapport d’échelle qui se joue entre la scénographie et les interprètes. En optant pour la version de Florence Dupont, latiniste reconnue pour sa double attention à la poésie et à la clarté, Thomas Jolly conçoit une tragédie empreinte de vivacité, fondée sur la puissance du souffle et des mots. Quant au décor, constitué de deux membres d’une immense statue sombre déboulonnée, il signale par sa démesure massive l’insoutenable horreur du geste d’Atrée. La main comme le visage mi-grimaçant mi-hurlant renversés au sol incarnent un pouvoir disloqué, contaminé par la monstruosité.

Incapables d’être à la hauteur des symboles et des institutions qu’ils ont érigés, les hommes, minuscules, sont les artisans et les témoins de leur propre chute.


THÉÂTRE
Thyeste, du 5 au 15 décembre 2018 au Théâtre national de Strasbourg

Par Caroline Châtelet