Le TNS prend ses quartiers

Tout l’été – une première pour le théâtre strasbourgeois –, le TNS propose un programme de 10 projets artistiques « qui couvrent aussi bien le champ de la lecture, de l’écriture, de la pratique, de l’itinérance et de la découverte de l’univers théâtral ». Dans la lignée de l’opération L’été culturel et apprenant voulue par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale et faisant écho à L’Autre Saison qui sortait déjà le TNS de ses murs, La traversée de l’été s’invite dans les quartiers de la ville mais aussi dans les EHPAD et collèges, favorise la rencontre entre les artistes et les jeunes et ouvre les portes du théâtre et de certaines répétitions. Reportage aux côtés des “Brigades contemporaines” à Hautepierre.

La traversée de l'été du TNS. Des lectures dans les quartiers de Strasbourg.
Dans le cadre de La Traversée de l'été du TNS, Les brigades contemporaines (anciens élèves de l'école du TNS) proposent des lectures en ville, dans ses quartiers périphériques mais aussi en EHPAD et dans les établissements scolaires. Document remis.

Pas de parc Sindbad sur le GPS. Inconnu au bataillon. Il nous aura fallu passer par le centre socio-culturel Le Galet – d’ailleurs organisateur des animations de rue programmées tout l’été à Hautepierre – pour trouver notre chemin. Un signe criant de notre méconnaissance de la géographie de Hautepierre, mais aussi d’une culture qui, lorsqu’elle se fait hors les murs et en périphérie, est peu habituelle donc moins visible. Moins habituée elle-même aussi d’ailleurs, puisque l’équipe du TNS aura rencontré les mêmes difficultés à rejoindre le point de rendez-vous. « On est encore en rodage, c’est la première semaine, s’excuserait presque Hélène Bensoussan, responsable des manifestations au TNS. On crée encore du lien avec les animateurs qui nous accueillent, on repère les lieux, on fait connaissance avec les enfants. »
Sortir le théâtre des salles nécessite forcément des ajustements qui trahissent le confort qu’offrent les formats classiques d’échanges avec le public et de représentations. Ici, au cœur d’un quartier de la maille Catherine, pas de plateau, pas de technique – mis à part un micro qui servira à inviter les enfants à assister à la lecture –, pas de sièges, pas de frontalité, tout à inventer ; le théâtre dans son plus simple appareil.

Aller à l’essentiel

Sous les chapiteaux, une trentaine d’enfants encadrés par les animatrices et animateurs du Galet s’affairent à bricoler et colorier, certains tapent le ballon. L’ambiance est estivale : détente, musique, soleil qui continue de brûler la pelouse déjà desséchée, et premiers effluves d’un barbecue qui chatouillent d’ailleurs les narines de Jisca Kalvanda, l’une des élèves sortantes de l’école TNS (Groupe 45 – Section Jeu), à peine débarquée de la camionnette du TNS.
Jisca est l’une des 9 brigadières, anciens élèves de l’école du TNS donc, qui se sont portés volontaires pour sillonner tout l’été espace public, EHPAD et établissements scolaires et lire des textes courts (entre 5 et 30 minutes) d’auteurs contemporains dont certains ont été commandés à des autrices et auteurs par le TNS durant le confinement. Selon les situations, ils forment des petits groupes (généralement en binôme) de comédiennes et comédiens – cet après-midi-là Jisca Kalvanda et Amine Boudelaa – et lisent des textes pré-sélectionnés par Frédéric Vossier, conseiller artistique et pédagogique du TNS.

Sans attendre, il et elle cherchent l’espace où s’installer : « Il faut que les enfants soient dos aux animations, pour ne pas être tentés de rejoindre le reste du groupe. Ça, c’est une des choses qu’on a comprises au fur et à mesure des lectures, par exemple », explique Amine. Comment installer les enfants ? Cercle ? Arc de cercle ? Arc de cercle. Les choix à peine faits, l’enceinte commence à crisser et, au micro, un animateur lance : « Les enfants ! Les enfants ! Ceux qui veulent assister à l’atelier lecture, venez ! Un atelier lecture d’un conte de fées. » Presque… on sera plutôt du côté de Gertrude Stein, cette fois. Jisca, plutôt à l’aise, saute dans le bain et fait de grands signes aux enfants : « Ben ouais, il faut leur donner envie de venir aux enfants ! » Ils s’installent : un peu moins d’une dizaine. Jisca et Amine font connaissance : là les prénoms, là l’âge, là des questions sur la lecture, ici d’autres questions sur l’école et les vacances.

Brigades contemporaines, traversée de l'été du tns, hautepierre.
Amine Boudelaa et Jisca Kalvanda des Brigades contemporaines au Parc Sindbad, maille Catherine. Photo : Zut Magazine.

Ils présentent leurs textes et se lancent avec Rose est une rose, poème surréaliste issu du « conte pour les enfants et les philosophes » Le Monde est rond, selon les mots même de Gertrude Stein. Une histoire de chien, d’amour, la langue prend des détours, les tournures de phrases sont tarabiscotées, les mots se tournent autour et reviennent. Parfois Amine, le premier à se lancer, bute et reprend. C’est à la fois naïf et chantant, mais aussi difficile à appréhender, il faut se concentrer. Point culminant : Jisca se saisit de sa bouteille de jus de mandarine et commence à chanter dans son micro imaginaire. Les enfants rient de bon cœur, visiblement surpris. La mayonnaise prend et le récit lui continue une poignée de minutes, pour laisser place à Willie est Willie. Même atmosphère. Pour ce second texte, aide est demandée à une enfant qui incarnera le hibou, elle ne se fait pas prier parce que oui, Soukaina « ne fai[t] que lire chez [elle] ». Une enfant, au moins, se sera laissée happer par les lectures.

Prendre d’autres chemins

Car c’est là toute la difficulté du format selon Christian Colin qui a travaillé en amont avec les élèves sur l’interprétation des textes. En plus d’un lieu à ciel ouvert, « ces projets sont plein de contraintes, constate-t-il. D’abord, ce n’est pas un spectacle mais une lecture. Il n’y a pas de mise en scène, et puis certains textes qui ont été choisis sont à la fois très simples mais compliqués. Il y a différents niveaux de lecture qu’il leur faut transmettre. C’est une belle expérience sur la voix. Ce qui est complexe aussi, c’est qu’il faut penser à d’autres chemins que le jeu pour toucher les gens qui les écoutent. »
Et ces chemins-là divergent très nettement du travail au plateau : Jiska lit, mais lève régulièrement les yeux du texte pour capter les regards des enfants, Amine cherche à les impliquer en les prenant à partie, les sourires, aussi, sont importants, nécessaires même. « Lire un texte dans ces conditions-là, c’est une première pour moi, dira-t-il. On se rend compte de l’importance de faire participer les enfants pour qu’ils se sentent concernés. Ça ne marche pas toujours et pas avec tout le monde mais si on peut déjà marquer un ou deux enfants, ce sera déjà très bien. » Bingo. Soukaina, qui a pu assister à deux représentations de théâtre avec sa classe l’année dernière, est convaincue. Si elle n’a pas tout à fait compris le texte, ce qu’elle aime, elle, c’est entendre et voir les choses s’incarner : « J’aime quand je vois des sentiments, entendre les caractères des personnages, c’est trop bien. » Elle reviendra, c’est sûr. Et peut-être même ramènera-t-elle sa BD préférée, découverte il y a quelques mois, pour la partager avec les comédiennes et comédiens. Elle leur a déjà raconté l’histoire pour les faire saliver.

Les réactions, sont immédiates et sans filtre (en dehors de celui de la timidité). « Je réalise aussi qu’on est très protégé au TNS, on joue dans de bonnes conditions, dans une salle, sur une scène, les gens qui viennent nous voir viennent parce qu’ils en ont envie, parce qu’ils sont intéressés. On ne croise pas le public. Là, c’est à nous de faire venir le public à nous, à nous de le guider. C’est chouette d’expérimenter ça et j’espère retrouver ce rapport-là dans mon chemin d’acteur », termine Amine.
Un théâtre sans théâtre, débarrassé de tous ses artifices et sans barrière pour revenir au sel de ce qui le construit : le langage et le partage. Rafraîchissant.


La Traversée de l’été du TNS, jusqu’au 12 septembre 2020 à Strasbourg.
Ateliers d’écriture, visites du théâtre, les brigades contemporaines, résidences d’artistes, répétitions ouvertes… Le programme de chaque semaine est à retrouver sur le site du Théâtre national de Strasbourg.
– Inscriptions en cours (v.seitz@tns.fr) pour l’atelier gratuit de pratique théâtrale qui se déroulera du 30 juillet au 15 août


Par Cécile Becker