Visas, visages

Le focus Espaces d’exil du Maillon zoome sur un thème plus que jamais d’actualité. Questions à Barbara Engelhardt, directrice d’un théâtre qui s’engage. 

© Alexandre Schlub

Le monde semble craquer de partout depuis ces dernières années. La société dans laquelle nous avons, malgré tout, la chance d’évoluer devrait-elle davantage faire preuve « d’hospitalité » envers ceux qui en ont le plus besoin ? Le monde culturel a-t-il un devoir d’exemplarité ?
Je parlerais plutôt d’un objectif largement partagé : que la culture rende possible l’expérience d’une société ouverte et plurielle. C’est à cet endroit que le théâtre peut exceller. En ce qui concerne le Maillon, l’hospitalité est un mot clé dans la façon dont nous concevons notre rapport aux publics et aux artistes, quelles que soient leurs origines sociales et culturelles. Se montrer attentif à un monde où les disparités et les fractures sont évidentes, c’est ce que nous pratiquons à plusieurs niveaux : à travers une programmation internationale, des réflexions thématiques menées sous différents formats, un partage de ressources et une attention particulière portée aux artistes issus de pays en crise : l’Ukraine, la Moldavie, le Brésil, l’Iran, l’Afghanistan… 

Via Espaces d’exil, vous illustrerez des possibilités d’aide aux personnes en danger dans leur région en donnant la parole aux artistes afghans accueillis l’été dernier avec sept autres structures culturelles strasbourgeoises…
Le « focus » est un format thématique récurrent au Maillon, qui nous permet cette fois-ci d’aborder la question de l’exil par plusieurs approches : des spectacles, des conférences ou encore des projections. À côté de cela, c’est pour nous le moment d’une collaboration artistique avec un groupe d’artistes afghanes et afghans que huit structures culturelles ont accompagnés depuis leur arrivée en France en août 2021. Il s’agit de leur donner une visibilité en tant qu’artistes – jusqu’ici, nous nous étions avant tout préoccupés de les soutenir dans les démarches administratives et l’apprentissage du français. Il m’a semblé important de leur proposer l’occasion de s’exprimer artistiquement, une étape essentielle pour construire leur vie en exil tout en renouant avec des pratiques artistiques de leur  culture d’origine. Je suis en train de discuter des projets des uns et des autres et espère pouvoir, avec le plus de partenaires possible, les réaliser d’ici fin janvier, sous forme d’étapes de travail, performances, expositions, etc. 

Le Maillon présentera deux spectacles de metteurs en scène iraniens. Dans En transit d’Amir Reza Koohestani, d’après le roman (presque) éponyme d’Anna Seghers, l’exilé fait l’expérience d’un entre-deux : la vie suspendue entre deux espaces et deux temporalités, comme dans un sas d’attente. Dans Les Forteresses, Gurshad Shaheman fait aussi dialoguer passé et présent à travers les récits de ses proches en exil…
Se retrouver « hors-sol » en tant qu’exilé, se sentir en suspens entre deux temps, perdre un espace avant de se réfugier dans un autre, être démuni de droits le temps d’une prise de décision administrative… peuvent créer un moment de flottement. Tout ça devient palpable dans les deux spectacles. En transit met en scène la rencontre entre une fiction – celle du roman de 1942 – et une réalité récemment vécue par Koohestani, pour interroger l’impuissance de l’exilé face au pouvoir de l’administration. Shaheman, lui, fait brillamment s’entrelacer les récits de sa mère et de ses tantes, dont les vies tissent des fils qui lient l’histoire de l’Iran et celle de l’Europe. Dans les deux cas, il y a une dimension biographique, ce qui donne une tendresse particulière aux spectacles. Dans les deux cas, ce télescopage des espaces et des temps raconte aussi le fait que l’histoire de l’exil ne s’arrête pas et soulèvera toujours la question de l’hospitalité dans nos sociétés. 


Focus Espaces d’exil au Maillon (spectacles, projection, conférence, présentation d’étapes de travail) 

25 janvier → 4 février
maillon.eu

Quelques dates :
— En transit d’Amir Reza Koohestani (coproduction) → 25 + 26 + 27 janvier
Conférence sur l’hospitalité avec Michel Agier→ 26 janvier

— Les Forteresses de Gurshad Shaheman → 2 + 3 + 4 février 


Par Emmanuel Dosda