André Dahan,
dessiner la Meinau

Le stade de la Meinau est orphelin. Son concepteur, André Dahan s’est éteint le 25 juin 2020 à l’âge de 97 ans. Architecte en chef à la Communauté Urbaine de Strasbourg pendant 26 ans, il avait conçu la rénovation de l’enceinte strasbourgeoise qui s’est étalée de 1979 à 1984. 

Le stade de la Meinau aujourd'hui, conçu par l'architecte André Dahan. Photo : Christoph de Barry

Inauguré le 17 avril de cette même année, à la veille de la rencontre préparatoire au Championnat d’Europe des Nations entre la France et l’Allemagne de l’Ouest (1-0) devant 39 978 spectateurs, le stade de la Meinau fut immédiatement perçu comme un exemple de modernité. Il n’a d’ailleurs quasiment pas bougé depuis, pour le plus grand bonheur des supporters du Racing Club de Strasbourg, alors que se profile le projet de son agrandissement pour 2025.
Dans le cadre de la réalisation du hors-série de Zut « Un seul amour et pour toujours », André Dahan nous avait accordé un entretien au mois de février dernier, quelques jours avant de recevoir l’ordre national de la Légion d’honneur. Ses obsèques ont eu lieu le 3 juillet en l’église du Christ-Ressuscité de Strasbourg. Zut s’associe à la douleur de la famille d’André Dahan et lui adresse toutes ses condoléances.

Quelle était votre mission à la Ville de Strasbourg ?
Le maire Pierre Pflimlin faisait appel à des architectes privés pour des concours, puis il s’est rendu compte qu’il avait un service d’architecture à la Ville, avec comme chef François Sauer, dont j’étais l’adjoint direct. Il a alors décidé de nous confier des opérations : des équipements publics et stratégiques, comme le Palais de la Musique et des Congrès, le stade de la Meinau, les centres de secours d’Illkirch, Neudorf et Cronenbourg.

Vous êtes le concepteur du stade tel qu’on le connaît aujourd’hui, construit en 1984. Quels étaient les enjeux de cette reconstruction ?
Le stade était très ancien, les tribunes n’étaient pas confortables. On l’a complètement démoli pour construire le nouveau. D’abord, le maire Pflimlin ne voulait pas engager ses finances dans la reconstruction du stade, mais le ministre André Bord [alors président du Racing Club de Strasbourg, ndlr] voulait un stade de 50 000 places et a insisté. On avait proposé de le construire à Hautepierre, mais la volonté d’André Bord, c’était de garder le stade à la Meinau. On a procédé par étapes, et on a commencé par la tribune Ouest [pour que les matchs puissent continuer pendant la durée des travaux, ndlr]. Dans la conception, il y avait des tribunes pour spectateurs debout, des emplacements pour spectateurs assis et d’autres pour spectateurs handicapés physiques, au ras du terrain. C’était rare et c’était le premier stade international de France équipé pour des handicapés. Il fallait aussi que les spectateurs voient bien, partout dans le stade. Le principe de base que j’ai appliqué toute ma vie, c’est que mes réalisations servent l’utilisateur. La pelouse a été entièrement refaite avec un drainage et un engazonnement spécifiques, pour être piétinée.

Quelles furent les difficultés ou les complexités du chantier ?
Il n’y en avait pratiquement pas. J’étais presque indépendant, puisque j’étais à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage. Je demandais seulement les autorisations quand il s’agissait d’importants travaux. Il y a tout de même eu des difficultés techniques, liées à la nature des sols, où il y a de l’eau. Pour les fondations, on a été obligé de poser des pieux, et des palplanches [structures en bois utilisées pour renforcer les tunnels, notamment dans les mines, ndlr] pour éviter les débordements. En termes de structures, j’étais assisté par le bureau technique européen d’Illkirch-Graffenstaden, et les dessins ont été réalisés par une équipe municipale. On a essayé de se rapprocher de l’aspect général de l’ancien stade, de façon à ce que les Meinauviens le reconnaissent. On n’a pas beaucoup changé la voirie, à quelques modifications près pour faciliter l’accès et le stationnement.

Démarrage des travaux du nouveau stade de la Meinau en 1979, qui se poursuivent en plusieurs tranches jusqu'à son inauguration en 1984. DR

Comment le stade a-t-il été reçu ?
Les gens connaissaient bien l’ancien stade, le nouveau les a beaucoup impressionnés. Ça a changé l’esprit de la Meinau, tout le monde était fier de son stade. De plus, il a été retenu pour accueillir des matchs du championnat d’Europe [en 1984]. Il a été visité par des organismes allemands, européens, par des élus. C’était un exemple de modernité, car c’était la première fois qu’on réalisait un stade de ce genre, avec différentes catégories de spectateurs. (« Le Stade de France s’est inspiré de celui de la Meinau, ajoute Danielle Dahan, sa fille, présente lors de l’entretien. Les dirigeants sont venus et ont retenu notamment les circulations, l’accès aux tribunes et aux vestiaires »). Par la suite, à chaque modification du stade, on faisait appel à moi, pour savoir si c’était possible ou pas.

Et vous, est-ce une réalisation dont vous êtes particulièrement fier ?
En réalité, je suis satisfait de toutes mes opérations, et surtout de la confiance que nous a accordée le maire Pierre Pflimlin.

L’avez-vous fréquenté, en tant que spectateur ?
Bien sûr ! J’étais aux inaugurations, à chaque rencontre importante. Jeune, j’avais été joueur de football. Maintenant, je suis toujours les matchs à la télévision !

Vous avez réalisé beaucoup d’autres équipements importants à Strasbourg. Par exemple, la piscine de la Kibitzenau…
Ah, la Kibitzenau… [son regard s’illumine] C’était le premier grand bassin français avec un plongeoir de 3 mètres. Un très beau projet pour moi. Le maire Pierre Pflimlin avait été au Japon. Il avait visité des installations de ce genre et en voulait une à Strasbourg. La piscine s’inscrit dans une politique de la Ville en matière d’équipements sportifs. Pflimlin voulait équiper Strasbourg de toutes les installations modernes, avec des équipements dans tous les quartiers. Mais il y a eu aussi la salle des fêtes de Neudorf [actuellement centre socio-cuturel Marcel Marceau, ndlr], les centres de secours, dont personne ne parle alors que tout le monde s’intéresse à la Meinau.

Parmi tous ces projets, lequel vous tient le plus à cœur ?
J’ai accordé tout mon temps et mon savoir à ces réalisations, pour moi tout est important, y compris les installations sanitaires place d’Austerlitz [aujourd’hui disparues, ndlr] ou les jardinières place Broglie !


Propos recueillis par Sylvia Dubost