Une bulle de zénitude

Weiterswiller, 500 habitants et son monastère bouddhiste zen. Le lieu a de quoi surprendre, à l’orée de cette magnifique forêt des Vosges du Nord, à quelques kilomètres de La Petite Pierre…

Passé la porte du dragon de la vieille montagne (Ryumon-Ji, le nom du monastère), on oublie l’Alsace pour se transporter en Asie. Le bonshō, la lourde cloche qui rythme les méditations, est au repos. Tout comme les résidents, qui sortent lentement de la sieste et du silence. Un chat s’étire paresseusement. Seules les dizaines de paires de chaussures alignées à l’entrée du lieu de vie laissent penser que le lieu est habité. En contrebas, la maison du Dâna, qui mêle les codes de l’architecture locale et ceux du bouddhisme, est un havre de paix, au milieu d’un magnifique jardin zen. Il se visite, seul ou accompagné, pour découvrir un pan de cette culture ou par simple curiosité. Parterres de mousse, bassins aux carpes rouges, petits sentiers semés de cailloux… Le climat d’Alsace du Nord sied bien à toute cette verdure.

L’art de la méditation

Kankyo Tannier, nonne bouddhiste, nous reçoit avec chaleur et une belle énergie. Arrivée à Weiterswiller à l’âge de 26 ans, pour une simple retraite, elle n’est jamais repartie. 20 ans de vie monastique, rythmée par les grands principes du bouddhisme, ont changé sa façon de voir la vie.

Kankyo Tannier est tombée amoureuse du monastère zen il y a plus de 20 ans.

Elle le raconte dans son troisième livre « Danser au milieu du chaos », où elle décrit, avec humour et humilité, la découverte de la vie en communauté et une vie simple centrée sur la méditation, l’enseignement et des règles strictes de silence et d’horaires très réguliers. « Pour beaucoup de gens, la vie quotidienne est perçue comme une succession d’activités contraignantes et ennuyeuses. Ils cherchent dans la voie spirituelle une autre expérience », explique l’Abbé Wang-Genh qui dirige ce lieu. « Depuis plusieurs années, et encore plus depuis la crise sanitaire, on sent un fort intérêt pour ces pratiques qui permettent de se retrouver. » Les méditations en ligne, retransmises depuis la chapelle bouddhiste ont rassemblé jusqu’à cent connexions par séance pendant le confinement.

Olivier Reigen Wang-Genh a fondé ce lieu en 1999, grâce aux dons de nombreux pratiquants d’Alsace et d’Allemagne. Ils sont aujourd’hui 700 à 800 fidèles à fréquenter et entretenir les lieux. On vient ici pour des retraites, plus ou moins longues, ou pour pratiquer le zazen, qui permet de clarifier et d’apaiser l’esprit, de comprendre sa vraie nature. « La tradition de méditation, c’est un trésor pour aujourd’hui », résume Maître Wang-Genh, ordonné moine en 1977. D’abord responsable du Centre de Bouddhisme zen de Strasbourg, il a créé des dizaines de dojos en France et en Allemagne, avant de fonder ce monastère franco-allemand, dans un ancien relais équestre. C’est l’un des cinq centres zen de cette envergure en Europe et son développement se poursuit encore avec un projet d’un nouveau dojo dont les travaux ont débuté.

Le joli jardin zen se visite en liberté.

Une pratique 2.0

Ancré dans la tradition, le monastère a pourtant fait le choix de s’ouvrir sur le monde dès 2007. Véritable tour de Babel, il accueille des pratiquants de toute l’Europe. « Un burn out, un arrêt dans sa vie professionnelle, la fin de ses études… nos visiteurs cherchent du sens, ils sont lassés du modèle actuel de la société. Ils sont à la recherche d’une vie plus simple » explique Kankyo Tannier, devenue nonne bouddhiste après seulement 2 ans de pratique. « En Europe, le bouddhisme se féminise, mais au Japon, c’est resté exclusivement masculin. À l’époque où je voyageais beaucoup, à la rencontre des grands maîtres bouddhistes, j’étais souvent la seule femme. »
Très motivée par l’enseignement du bouddhisme, Kankyo partage ses connaissances de multiples manières. D’abord avec l’écriture de livres, où elle raconte son apprentissage de la tolérance, sa pratique d’une spiritualité au quotidien, ses défis personnels, son regard sur l’humanité ou ses pensées sur l’évolution du changement climatique. Son premier livre, traduit dans de nombreuses langues, traçait un chemin de vie spirituel moderne et plein d’humour :

« Mon propos est toujours basé sur des expériences concrètes. »

Le bonshō japonais appelle à la prière et rythme les méditations des pratiquants venus de toute l'Europe.

Son dernier projet, la ferme Kibo, ouverte en 2020 à 300 mètres du monastère, lui offre un nouveau terrain de jeu. « Dans cet ancien ranch, nous construisons tout de nos mains et nous pratiquons la permaculture. C’est à la fois un lieu de retraite et de séminaire bouddhiste, une ferme pédagogique et un refuge pour des animaux âgés ou recueillis. » Sa petite troupe de 15 chevaux islandais à la retraite et les activités de la ferme rythment sa journée et lui ont permis de créer un nouveau lien avec son environnement.

Un retour au naturel indispensable pour cette nonne 2.0, qui passe aussi de longues heures à animer les réseaux sociaux de ces structures, à enregistrer des podcasts de méditation et de relaxation, à prodiguer des cours en ligne d’enseignement du bouddhisme ou de développement personnel, à animer des conférences ou à écrire des chroniques pour le Huffington Post ou Psychologie Magazine. « Cette ouverture au monde a suscité beaucoup de débats au sein de notre communauté, mais il faut aller où les gens sont, il faut accompagner le mouvement de la société ! » Et puis, cette activité numérique lui permet aussi d’être en accord avec sa prise de conscience climatique et de faire voyager ses idées, sans bouger de la forêt de Weiterswiller.


Monastère Ryumon-Ji – 7, rue du château d’eau à Weiterswiller

« Danser au milieu du chaos » de Kankyo Tannier aux Editions Flammarion
meditation-zen.org pour suivre des séances de méditation zazen et les informations sur les activités du monastère Ryumon-Ji
dailyzen.fr animé par Kankyo Tannier pour des ateliers, des vidéos et des podcasts
kibo-zen.org pour découvrir la ferme Kibo


Par Corinne Maix
Photos Estelle Hoffert