Nouvelle vague
Meisenthal

Nous pourrions parler de second nouveau souffle : le site de l’ancienne Verrerie de Meisenthal (1704-1969), réactivée en 1992 par le Centre International d’Art Verrier (CIAV), est aujourd’hui métamorphosé. Visite guidée d’un bijou patrimonial du Bitcherland qui sait valoriser son passé tout en fixant l’horizon et imaginant les possibles offerts par les créateurs contemporains.

© CloudyProd

Découvrir la nouvelle configuration du Site Verrier de Meisenthal, situé au plus profond du Parc naturel régional des Vosges du Nord, débute par la vision d’une sinueuse vague vraiment béton qui marque le lien entre l’histoire ouvrière du territoire et l’inventivité d’aujourd’hui. La gracieuse enveloppe créée l’union, la fusion du récent espace boutique-accueil-billetterie, du Musée du Verre revisité, du CIAV augmenté et de la Halle verrière rééquipée.
Un nouvel envol, après un chantier de quatre ans, qui n’aurait pas été possible sans l’investissement et l’engagement de la Communauté de Communes du Pays de Bitche et de la créativité dont fait preuve le CIAV. Yann Grienenberger, son directeur, insiste sur l’étendue des types de réalisations, qui ne laisse pas de place au ronronnement dans les ateliers de Meisenthal où les souffleurs sont amenés quotidiennement à changer de mode de travail, à se réinventer et réaliser les projets les plus fous. « Comme des musiciens, ils doivent bien connaître leurs instruments et les gammes avant d’improviser, expérimenter, changer de partition », par exemple lorsqu’ils accompagnent des artistes pour la création des inventives et attendues boules de Noël aux formes les plus insensées.

La tour de Pise
Au centre du site, dans la cour intérieure, nous sommes amusés par la « tour de Pise locale » – une cheminée penchée, mais renforcée, n’ayant visiblement pas apprécié tout le remue-ménage de ces dernières années –, puis séduits par le Jardin pour la Liberté faisant des clins d’œil végétaux à Émile Gallé et Antoine Maas, visionnaire ayant racheté la verrerie en 1936. Valérie Wagner, médiatrice, guide notre regard vers les « faux jumeaux », deux bâtisses récentes reprenant l’aspect de l’ancien portique dans le plus grand respect pour le bâti d’avant. Un des édifices siamois abrite la cantine et des bureaux administratifs tandis que l’autre est une extension de l’atelier des verriers. Passage obligé sous la vague, par « le poste d’aiguillage », comme l’appelle Anne Marchand, directrice de la billetterie du site faisant également office de boutique bien plus vaste que celle d’avant travaux.

Les ateliers du CIAV : attention, ça chauffe © Christoph de Barry

Souffler le chaud et le froid
Caroline Duchamp, récente directrice du Musée du Verre, est heureuse du rapprochement entre la structure dont elle se charge et le CIAV, sachant que depuis 2019, la collection constituée par l’association de passionnés qui la gérait a été transférée à la collectivité. Au troisième niveau du musée est reconstitué un atelier avec ses outils « identiques à ceux utilisés aujourd’hui ». Nous découvrons le travail à chaud – soufflage, façonnage… – et à froid – taille, gravure à la roue, satinage, argenture, émaillage… – avant de poursuivre la visite de cette structure totalement rénovée. Durant le parcours, Caroline Duchamp explique : « Le verre est une matière fascinante, voire magique, nécessitant une maîtrise technique exigeante, et pourtant malléable. » Nous voici au second niveau, consacré aux ustensiles de production industrielle (bouteilles, coquetiers…) ou pièces précieuses issues des nombreuses verreries régionales : Lemberg, Saint-Louis, Lalique (qui a récemment fêté ses 100 ans), Baccarat… La dernière salle expose des merveilles fabriquées à Meisenthal et conçues par des artistes d’hier et d’aujourd’hui : du mouvement Studio Glass des nineties à l’alphabet miniature en langage des signes de Michel Paysant (Handsigns). Après l’observation d’un bol « bullé » de Daum de 1925, nous contemplons un des joyaux historiques de la collection : le Vase à la carpe d’Émile Gallé qui œuvra ici de 1867 à 1894. La directrice du Musée décrit cette œuvre exceptionnelle de 1878, du maître de l’Art nouveau, où le « mouvement de l’eau est donné par la technique des côtes vénitiennes qui consiste à lacérer les bords de l’objet avant soufflage. Il s’agit d’un beau témoignage de la phase “recherche et expérimentation” de Gallé, avant ses envies de grande production et l’École de Nancy. »

© Christoph de Barry 
La nouvelle spacieuse boutique du CIAV © Christoph de Barry 

Un cordon ombilical
Il faut traverser 20 mètres sur une gracieuse passerelle, que Yann considère comme «un cordon ombilical», pour passer du Musée au CIAV. Au niveau de l’ancienne boutique (aujourd’hui située au creux de la vague), une salle d’exposition permanente dévoile tout ce qu’il est possible de réaliser, grâce à de multiples variations techniques, avec un seul moule. La Moulothèque (fermée au public) en conserve environ 2 000, en bois ou en métal ! Les artistes hôtes du CIAV sont régulièrement conviés à y puiser leur inspiration. Suite du parcours dans la Galerie qui présente Sillages (jusqu’au 23 octobre), ensemble de créations récentes de Nicolas Verschaeve à partir d’un moule qu’il a créé en compagnie des artisans verriers.
Le clou du spectacle ? Rassurez-vous, il demeure identique depuis 1997. La chaleur monte, les fours tournent à plein régime et la matière entre en fusion : nous voici sur la mezzanine de démonstration. Il suffit de baisser les yeux pour observer les verriers souffler et façonner des objets en commentant avec plaisir leurs faits et gestes précis. Curieux, nous osons nous aventurer en bas, là où ça chauffe ! Nathalie Nierengarten, directrice artistique du CIAV depuis 2020, nous présente les élèves de l’université HBKsaar de Sarrebruck, présents le jour de notre visite. Ils vivent une immersion au CIAV et s’apprêtent à présenter le fruit de leurs questionnements sur le thème Sweet Dreams : une ingénieuse coupe de glace ou un sextoy à la semblance d’une chenille. Nathalie pousse les jeunes créateurs dans leurs retranchements, leur implorant d’« essayer d’aller au-delà des limites. »

Une cathédrale industrielle
Après avoir traversé les « faux jumeaux », la visite se termine dans l’immense Halle verrière. Cette usine de 1813 à la charpente métallique, véritable « cathédrale industrielle », comme on la nomme avec révérence, accueille expositions (des œuvres monumentales des stars de l’art contemporain, Georges Rousse, Daniel Buren, Jan Fabre ou Stephan Balkenhol qui a son atelier à Meisenthal), événements circassiens, festivals ou concerts ayant lieu dans la Boîte noire (et son gradin rétractable) récemment installée ou dans la Halle elle-même pour des shows de plus grande envergure, grâce à sa capacité de 3 000 personnes. L’équipe du Cadhame qui gère le lieu de 2 400 m2 se réjouit bien sûr elle aussi de la vaste opération architecturale sur le site, aventure humaine hors du commun : « Nous avançons tous dans le même sens ! »

La Halle verrière : expos et concerts © Christoph de Barry

Réouverture du Site Verrier pour la saison hivernale : 17 novembre au 30 décembre.
puis à partir du 1er avril 2023
site-verrier-meisenthal.fr


Par Emmanuel Dosda