Le Parc de Sainte-Croix version Laurent Singer

« Il est tombé dedans quand il était petit » pourrait-on dire de Laurent Singer, désormais seul aux commandes du Parc animalier de Sainte-Croix. Ce lieu, il l’a vu naître et grandir grâce à un père visionnaire et passionné, un amoureux de la nature ayant pour ambition dans les années 1980 de transformer une exploitation agricole abandonnée en une école de la biodiversité. Si, à l’époque, la nécessité de respecter la faune et la flore n’était guère au centre des préoccupations, 40 ans plus tard avec force de détermination, Gérald Singer a réussi son pari. Accueillant plus de 350 000 visiteurs par an, le Parc animalier de Sainte-Croix est devenu une référence en France et en Europe pour la présentation de la faune européenne et des espèces mondiales menacées. Un but atteint au travers d’une épopée familiale, portée par la passion dévorante et les convictions transmises d’un père à ses fils. Aujourd’hui, Laurent Singer a pour ambition de développer le Parc animalier de Sainte-Croix en « une start-up de l’écologie au sens large ». 

Laurent Singer Parc Sainte Croix
Laurent Singer est désormais seul aux commandes du Parc animalier de Sainte-Croix, créé par son père il y a près de quarante ans. © Grégory Massat

Était-ce une évidence de porter et faire fructifier ce que votre père vous a légué ?
J’avais une dizaine d’années quand les premières idées de papa ont commencé à germer dans son esprit très créatif. En 1967, lorsqu’il est arrivé à Sainte-Croix, il s’agissait d’une exploitation agricole abandonnée depuis des décennies. Il a voulu y créer une école de la nature ouverte sur l’éducation et la sensibilisation mais avant cela, il fallait d’abord qu’il puisse vivre de sa terre. À l’origine, son projet était axé à Sainte-Croix car il était amoureux de ce lieu, mais il voulait également s’inscrire sur le territoire en partenariat avec le CNRS notamment. Malheureusement en 1976, quand le projet de mon père a été soumis à la création des Régions, il n’a pas été retenu. On était en plein choc pétrolier, il fallait gérer la sidérurgie, la fin du charbon, son projet n’était pas du tout au cœur des préoccupations. Enfant, je me voyais devenir agriculteur, j’allais sur les tracteurs, je participais aux récoltes. L’idée très avant-gardiste de mon père fut d’ailleurs considérée comme un peu foldingue par la majorité. Les écolos, qui étaient peu nombreux à l’époque, n’avaient pas tout à fait compris le concept et se disaient : « Qu’est-ce que c’est que cet agriculteur qui veut enfermer les animaux ? ». À l’inverse, en 1980, le grand public qui découvrait le site disait :  « Mais il n’y a que de la nature ici, il n’y a rien à voir, il y a des oiseaux qui volent, je les vois à la maison aussi. Et puis un cerf, je sais ce que c’est. »

Malgré ces avis mitigés, votre père n’a pas abandonné son rêve.
Lorsque j’avais 12-13 ans, je l’ai regardé avec mes yeux de gamin, acheter un vieux bulldozer, un tracteur, une pelle et commencer à Sainte-Croix les aménagements actuels. Il a créé une trentaine d’hectares de plans d’eau. D’abord destinés à la pisciculture, ces derniers ont apporté une telle biodiversité sur le site, qu’on est maintenant classé réserve de biosphère par l’UNESCO. C’est la preuve que l’homme peut avoir une action positive sur son environnement. Mon père s’est lancé dans son aventure, a ouvert son parc et a vécu une décennie très complexe où le public ne le comprenait pas. Pour ma part, je me suis éloigné de cette ferme et devenu juriste. En 1992,  je suis rentré et j’ai demandé à participer à cette aventure. Cela a été un sentiment de satisfaction pour mes parents même s’ils ne savaient pas comment ils allaient me payer. Pendant dix ans, il a été très difficile de trouver un équilibre économique. Mais je me suis pris au jeu et c’est devenu une passion dévorante. Éduquer et sensibiliser à tout ce qui nous entoure, c’était un message et un projet ambitieux à porter. Avec le temps, je me suis également découvert une nouvelle passion à travers l’aménagement durable. Sainte-Croix ne possède pas le décor scénographique d’un parc thématique. Au contraire, on a l’impression que les installations ont toujours été là.

Sainte-Croix est le premier parc animalier écolabellisé d’Europe pour son offre de séjours natures. Que représente ce label ?
L’écolabel, c’est une visibilité. Mais ce n’est qu’une petite brique dans tout ce qu’on fait et ce qu’on veut faire. Depuis toujours, respecter notre environnement fait partie de notre ADN. On est partis d’une exploitation de ferme traditionnelle pour la transformer et créer une biodiversité complètement folle. Pouvoir accueillir à la fois les animaux dans leurs grands espaces, mais aussi toute la faune sauvage, c’est quelque chose qu’on veut continuer à développer. On a passé beaucoup de messages de sensibilisation, d’éducation et aujourd’hui on veut être de plus en plus démonstratifs dans nos actions. On a, par exemple, une politique du tri des déchets pour essayer d’atteindre le zéro %. Notre désir est de devenir une sorte de boîte à idées, une start-up de l’écologie au sens large, d’aller au-delà du concept central. Sainte-Croix reste un parc animalier mais on veut avoir un spectre beaucoup plus large. 

Loups Parc Sainte-Croix
Le loup gris est l'emblème du Parc de Sainte-Croix. © Grégory Massat

Quel est le rôle du Parc animalier de Sainte-Croix dans les actions de conservation et les programmes de réintroduction ?
On a une mission d’éducation, de sensibilisation, de pédagogie avec notamment les groupes scolaires que nous accueillons. On a aussi une mission de recherche sur la biodiversité, le bien-être des animaux, mais surtout une mission de conservation. On a un certain nombre de programmes européens pour les espèces menacées. L’objectif est d’élever les animaux qui correspondent au bon ADN, à la bonne souche et à la bonne technique d’élevage pour leur donner toutes les chances de reconquérir le sauvage. Nous le faisons avec le bison d’Europe, les chevaux de Przewalski, les chouettes de l’Oural. Récemment, on a élevé huit vautours qui sont partis en Bulgarie. À Sainte-Croix, nous sommes les coordinateurs d’une petite tortue qui s’appelle la tortue cistude.

Afin d’offrir au public la possibilité d’agir concrètement, vous avez créé un fond de dotation intitulé Sainte-Croix Biodiversité. Comment fonctionne-t-il ?
Nous proposons symboliquement aux visiteurs de parrainer des animaux, l’objectif étant que les fonds aillent vers d’autres associations. On peut aussi bien participer à un programme sur le panda roux ou le gibbon que travailler avec le Conservatoire des sites pour réintroduire l’écrevisse des torrents au pays de Bitche. On met en place beaucoup d’actions de conservation, que ce soit en direct ou en soutien des associations. Par conviction, c’est quelque chose qu’on veut développer. 

Sous quelle forme se présente votre projet de développement ?
Mes parents ont aménagé ce site sur une trentaine d’hectares et lui ont donné son âme. Ensuite il y a eu, de 2010 à 2020, une phase  importante de consolidation dont tout un programme de développement avec l’arrivée des hébergements, l’amélioration des infrastructures pour les animaux, les visiteurs, les pôles de restauration, le Nouveau monde, l’Expédition sauvage, le Hameau des loups… On a fini ce plan qui consolide un de nos objectifs : être de plus en plus attractifs, pour être de plus en plus crédibles au niveau départemental, régional, national, jusqu’à une reconnaissance européenne. Notre nouvelle phase de développement intègre l’objectif de devenir une boîte à idées, une forme de start-up, d’avoir un coup d’avance comme mon père. C’est très difficile et ambitieux. Tout ce qu’on a créé jusqu’ici nous sert à voir plus loin et on est en train de décider le parc dans 5, 10, 20 ans.

Lodges Parc de Sainte Croix
Le site propose 46 lodges sur plus de 100 hectares. © Grégory Massat

La permaculture, l’agroforesterie et le maraîchage sont des sujets qui vous intéressent pour les années à venir ?
L’animal reste central mais ce ne sera plus le seul sujet à Sainte-Croix. L’agriculture fait partie de nos projets ainsi que le fait d’avoir un rôle moteur dans la région. Le bien manger est essentiel. Nous commençons modestement notre premier potager sur 1 600 m2. Un pôle agriculture, au sens végétal, permaculture et production, verra le jour. Vu le nombre de visiteurs, le rêve absolu d’être autosuffisants est très difficile à tenir et ce n’est pas obligatoirement le but. Le but est, une nouvelle fois, d’essayer d’être exemplaires et de faire travailler l’ensemble du territoire dans cette direction. Créer une forme de qualité, de label de filière courte, comme peut le faire le Puy du Fou, et que tout ce qu’on consomme ici proviennent de producteurs locaux. On a appelé ce projet La ferme des vents en référence à Miyazaki. Nous nous sommes inspirés de la ferme du Bec Hellouin en Normandie. On a envie d’avoir notre propre miel, notre pain, nos légumes, nos œufs. 

La production du parc serait donc destinée à être utilisée sur le site, dans les différents pôles de restauration notamment ?
Globalement, cette production sera destinée aux gens qui dorment sur site ou qui viennent nous visiter à la journée. À la marge, les hébergés pourraient repartir avec un panier de légumes de saison à la fin de leur séjour. Nous voulons travailler les légumes anciens, les variétés rares… On a un étoilé juste à côté, c’est le genre de partenariat qu’on souhaite créer aussi pour apporter une plus-value à son restaurant. Nous souhaitons également continuer à organiser des rencontres autour de la biodiversité, être un lieu d’échanges à travers des conférences et du démonstratif sur le site. 

Comment expliquez-vous que le loup gris soit devenu l’animal emblématique du parc de Sainte-Croix ?
Depuis des décennies, le loup gris est ancré dans l’imaginaire humain. Dans les contes et les légendes, il exerce une fascination extraordinaire. Il va quelque part nous rappeler nos chiens, qui sont des animaux de compagnie exceptionnels, et puis il y a ce côté meute, organisation familiale, couple alpha. C’est un animal mythique qui a toujours fasciné les gens ou qui leur a inspiré une peur totalement disproportionnée. Dans la chaîne alimentaire, chaque animal a sa place mais c’est clair que le loup est une star absolue. À Beauval, c’est le panda. 

Comment sont choisies les espèces représentées au Parc de Sainte-Croix ?
Elles viennent systématiquement de parcs zoologiques, il n’y a jamais de prélèvement en milieu naturel. Malheureusement, il existe encore dans le monde entier des trafics concernant la faune exotique. Au Parc animalier de Sainte-Croix, notre premier critère est d’accueillir des animaux de la faune patrimoniale. Nous avons une petite zone de biodiversité mondiale qui comprend le gibbon, parce que c’est une espèce menacée à l’état sauvage et qui fait partie d’un programme européen dans lequel on s’inscrit. Un de nos autres critères est de nous intéresser aux animaux qui ont un besoin conservatoire, qui sont en voie de disparition, en danger. Après il a des espèces symboliques comme le loup, qui n’est plus en voie de disparition mais qui est pour nous un ambassadeur formidable de la biodiversité. Nous accueillons 30 000 scolaires par an, il est essentiel qu’ils puissent avoir une rencontre directe, les yeux dans les yeux, avec les animaux pour parler des problématiques de cette planète qui part en vrille.

Depuis 2010, le Parc propose à ses visiteurs des séjours immersifs. Au départ, quatre lodges ont été installés au sein du Parc, aujourd’hui ils sont dix fois plus.
Nous avons répartis 46 lodges sur plus de 100 hectares avec la volonté qu’ils soient intégrés dans la nature et qu’ils aient le moins d’impact possible. Nous avons cherché la meilleure cohabitation possible entre les animaux et les hébergements. Si vous dormez avec les loups, vous n’aurez pas la garantie de les voir car le territoire est vaste. Globalement, ils sont tellement curieux qu’ils viendront vous voir, mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut assurer. On fera encore quelques hébergements mais de façon modérée. 

Comment expliquez-vous ce succès ?
Nous avons eu la volonté de partager avec le public cette chance d’être sur site de nuit, à un moment où il se passe énormément de choses. Quand ils viennent ici, les visiteurs coupent de tout. Il n’y a pas de télé, c’est une reconnexion complète. La nuit, c’est tout juste si on ne se perd pas dans le parc pour retrouver son hébergement. On écoute les bruits, on observe les animaux et c’est un lieu unique pour le faire. On a eu envie de créer ces hébergements en adéquation avec l’environnement. Les gens ont tout de suite accroché.

Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat