Potiers d'Alsace : L'Art et la Matière #1

Bénéficiant de ses gisements d’argile locaux, l’Alsace a vu prospérer des générations de potiers. Aujourd’hui, ce sont seulement 12 entreprises qui subsistent face à l’industrialisation et aux contrefaçons. Avec une créativité jamais démentie et en multipliant les circuits de vente, ces artisans font perdurer les modèles traditionnels et s’engagent avec la création de l’IGP Poteries d’Alsace pour la reconnaissance de ce patrimoine régional.

Musée de Betschdorf © Alexis Delon / Preview — Atelier © Cyrille Fleckinger
Musée de Betschdorf © Alexis Delon / Preview — Atelier © Cyrille Fleckinger

Une terre argileuse, un pionnier venu de Rhénanie et des générations de potiers ont fait naître en Alsace un savoir-faire ancré dans les villages de Betschdorf et Soufflenheim. « Les potiers ont longtemps exploité les gisements d’argile le long de la Sauer et dans le village de Soufflenheim », explique Astrid Wolfer, conteuse de l’épopée des potiers en Alsace, au Musée de Betschdorf. Des 60 ateliers d’antan, ne subsistent plus que 12 entreprises de poterie, qui emploient une centaine de salariés et produisent 600 000 pièces par an. Parmi ces irréductibles potiers, on trouve aujourd’hui des artisans assez différents. Les plus traditionnels tournent encore l’argile locale et travaillent, seul ou à deux, de petites séries. D’autres ont parfois plus de quinze salariés et ont donné un tour plus industriel à leur production, tout en restant fidèles aux modèles traditionnels. « Il y a de la place pour tout le monde. Chacun doit avoir sa propre identité et son expression », martèle Pierre Siegfried, président des Potiers d’Alsace.

Peggy Wehrling © Cyrille Fleckinger
Peggy Wehrling © Cyrille Fleckinger

Courts circuits

Pour écouler leur production, les potiers mixent le plus souvent plusieurs circuits de vente : directement dans leur atelier, chez des revendeurs, parfois en grande distribution. Les produits les plus qualitatifs sont plébiscités par les plus grands chefs du monde. Jean-Louis Ernewein-Haas est fier de travailler pour 25 étoilés, amoureux de ses poteries qui durent une vie. Certains potiers écoulent sur les salons des gammes dédiées à la restauration ou aux amoureux de beaux objets. L’exportation, elle, est plutôt en berne et nécessiterait de chasser en meute, ce qui n’est pas dans la pratique des potiers. Tous ont trouvé une planche de salut dans la vente en ligne, surtout pendant la crise Covid, et un surplus de visibilité sur les réseaux sociaux.

« Après le premier confinement, je me suis sentie très isolée et j’ai compris la nécessité d’investir dans une boutique en ligne », confie Peggy Wehrling, qui produit une poterie très inspirée de l’art populaire. « C’est comme gérer une deuxième boutique, mais je ne reviendrais pas en arrière. Du travail de la boule de terre, en passant par les photos, jusqu’au dernier bout de scotch sur le colis, je suis sur tous les fronts. » Active sur les réseaux sociaux, elle rajeunit sa clientèle, à coup de publications soignées sur Instagram. « Cela me donne de la visibilité, génère des réservations et redonne même l’habitude à certains clients de venir sur place. » Les sœurs Lehmann, elles, ont fait le choix d’ouvrir leur propre boutique à Strasbourg. Elles y vendent leurs créations ornées de pois ou cerclées de décors floraux, mais aussi les poteries d’autres artisans des deux villages, qui proposent un style différent. « Nous avons repris la boutique de la rue des Frères il y a 3 ans. En termes de visibilité, c’est important de sortir de nos ateliers ! »

Enfin, une IGP pour les potiers d’Alsace

Un peu piégée par les goûts des touristes, la poterie alsacienne s’est parfois enfermée dans une production qui s’est banalisée. Cigognes, bretzels, alsaciens en costumes décorent de nombreuses terrines, pas toujours fabriquées localement. Le « Made in Alsace » a beaucoup souffert de la contrefaçon asiatique, évaluée à quelque 50 millions d’euros par an. « Certains revendeurs et grossistes ont sali notre image et cassé notre marché, en vendant à prix très bas de piètres contrefaçons », se révolte le président des Potiers d’Alsace. Depuis 2015, il a porté la réflexion engagée avec Alsace Qualité sur une protection de ce patrimoine. Ils ont toqué à toutes les portes : les douanes, la répression des fraudes, l’INPI, les politiques… « En mars, nous avons enfin obtenu gain de cause, avec la nouvelle indication géographique « Poteries d’Alsace Soufflenheim / Betschdorf. » Désormais, les Chinois ne pourront plus produire les motifs emblématiques de l’Alsace. « Ce qui est protégé ne peut être importé. Sinon, les produits seront retirés de la vente et l’infraction sanctionnée ! »

Pierre Siegrid, potier et président des Potiers d'Alsace, et ses terrines labellisées IGP.
Pierre Siegrid, potier et président de Potiers d'Alsace, et ses terrines labellisées IGP © Cyrille Fleckinger

Pierre Siegfried siegriedburger.fr
Poterie G. Wehrling & Fille poterie-wehrling.alsace
Poterie d’Alsace (sœurs Lehmann) 3 rue des Frères à Strasbourg
Poterie Ernewein-Hass alsace-poterie.fr
L’association potiers-alsace.com


Par Corinne Maix
Photos Cyrille Fleckinger et Alexis Delon / Preview