Le Tour des Potiers

C’est l’histoire d’un art séculaire, qui trouve ses origines dans la terre argileuse d’Alsace du Nord. C’est l’histoire de dynasties de potiers qui gardent des savoir-faire traditionnels précieux. Ce sont deux villages voisins, Betschdorf et Soufflenheim, dont l’histoire de la poterie pourrait toucher à sa fin, si l’on n’y prenait pas garde…

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Musée de la Poterie à Betschdorf — Photos : Alexis Delon / Preview

Durant toute une journée, on a rencontré ces irréductibles artisans, qui nous ont parlé de leur art avec passion. J’ai admiré leurs créations, écouté leurs difficultés et je suis revenue avec cette conviction : ne suffirait-il pas que les Alsaciens retrouvent le chemin des échoppes de potiers pour perpétuer ce savoir-faire en voie de disparition ? Alors nous avons eu envie de partager ces rencontres avec des personnages hauts en couleur, l’ambiance de ces ateliers hors du temps et la beauté de ces deux villages pour raviver le feu de la poterie made in Alsace !

Une terre grise et bleue

Une immense poterie grise et bleue plantée au milieu du rond-point indique l’entrée de Betschdorf. Si vous cherchez un village de carte postale où admirer de belles maisons à colombages du XVIIIe siècle, vous êtes sur la bonne voie.

Mais pour rentrer dans notre sujet du jour, une visite au Musée de la Poterie s’impose. C’est une ancienne ferme avec ses dépendances, qui abrite ce musée attachant, où nous attend un couple de bénévoles passionnés. Astrid Wolfer et son mari, sont tombés dans la poterie, par amour de leur village. « Le premier potier de grès, venu de Rhénanie, s’est sans doute installé à Betschdorf en 1717, conquis par les gisements d’argile le long de la Sauer. Il a si bien dispensé son savoir-faire qu’autour de 1850, il y avait plus d’une soixantaine d’ateliers dans le village et quelque 600 potiers ! » Autour d’un vieux tour de potier, Astrid m’explique ce qui fait toute la différence entre les poteries de grès au sel de ce village et celles de Soufflenheim. « Les techniques de cuisson sont différentes. À Betschdorf, les potiers cuisent leurs pièces à 1250° et ajoutent du sel en fin de cuisson. C’est cette vapeur de sodium, mélangé à la silice, qui donne naturellement l’aspect vernis de ces poteries destinées à la conservation des aliments. »

Au fil des 9 salles du musée, on découvre des pièces historiques, des pièces rares données par des collectionneurs ou des habitants du village, et aussi comme un écomusée de la vie au siècle dernier. Quand la conservation des œufs, du vinaigre, de la bière ou l’égouttage du fromage se faisaient dans ces superbes poteries, simplement utilitaires, puis de plus en plus richement décorées de motifs au bleu de cobalt. Des initiales dans un cœur, tout un bestiaire symbole de fécondité, de délicats motifs floraux… les décors au bleu de cobalt sont dessinés avant la cuisson et révèlent ensuite tout leur éclat.
Une dernière salle du musée consacrée aux potiers en activité dans le village nous convainc de l’urgence d’aller voir sur place ces derniers des Mohicans. Difficile de croire qu’ils ne sont plus que 5, tant le village respire la poterie par tous ses pots.

 


À Betschdorf


—Vincent Remmy : un pot extraordinaire

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Vincent Remmy — Photos : Vincent Remmy

« La poterie à Betschdorf, c’est mort ! » nous assène d’emblée Vincent Remmy, fils de potiers depuis 1594. « C’est pas du défaitisme, c’est un constat ! Il y a de l’intérêt pour cet artisanat unique en son genre, mais toute la difficulté c’est aujourd’hui d’en vivre ! Le grès au sel, c’est tellement compliqué que plus personne ne va là-dedans. » Vincent est d’ailleurs l’un des derniers à fabriquer sa propre argile, à l’ancienne, avec un filtre presse. C’est aussi un de ceux qui ont multiplié les initiatives pour rendre visible son art : un magasin à Kaysersberg sur la route des vins pendant 5 ans ou des ateliers tous publics sur la technique du raki, menés par Marie-Line, sa femme, qui produit, elle, des sculptures plus artistiques et des crèches originales.

Mais c’est la rencontre d’un scientifique, chef de projet du chercheur japonais Masuru Emoto qui allait lui ouvrir de nouvelles perspectives. « Cet homme cherchait un potier fabricant son argile pour y intégrer quelques grammes d’une préparation à base de plantes et de minéraux pour produire des poteries dotées de super pouvoirs. Quelques expériences ont achevé de me convaincre que cela apportait un taux vibratoire hors du commun aux céramiques. Pour faire simple, ça fonctionne sur le même principe que l’homéopathie pour produire une eau parfaite qui vous donne de l’énergie et une sensation de bien-être. »

Depuis cette rencontre, cette agnicéramique de bien-être lui a ouvert un nouveau marché, bien au-delà des frontières. Gobelets, cruches, fontaines, bols et même médailles en céramique et or pour soulager les douleurs composent une large part de sa production actuelle. Cette aventure a ouvert à Vincent les portes d’un nouveau talent, puisqu’il s’est aujourd’hui formé au magnétisme…
Un personnage étonnant, ce potier qui se réinvente perpétuellement, qui a de l’or dans les mains, qui ne cherche pas à convaincre… Quoique après avoir passé de petits tests de réceptivité à cette poterie, me voici toute disposée à ouvrir mes chakras !

Les grès de Remmy
8, route de Soufflenheim


—Loys Ruhlmann : 50 nuances de bleu

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Loys Ruhlmann — Photos : Alexis Delon / Preview

Stimulés par cette belle rencontre, nous osons sonner à l’improviste à la porte de Loys Ruhlmann, figure locale de la poterie de Betschdorf. Les extérieurs sont charmants, aménagés avec goût par sa femme Martine. Mais c’est l’atelier historique qui me souffle carrément. Ici le temps s’est arrêté, chaque pan de mur raconte une histoire, les poteries décorées en attente de cuisson révèlent un style très personnel, à mi-chemin entre l’art et l’artisanat.
Loys, barbe et cheveux en bataille, cigarette au coin des lèvres, prend la pause pour la photo, mais se livre peu. Ce fils de maître verrier est tombé dans la poterie par amour. « Je venais voir Martine, et puis j’ai été pris par le truc, par hasard et par nécessité. » Alors que sa belle-mère et son fils tentent de sauver la poterie familiale, il apprend à tourner. « J’aime toucher à tous les éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. » Ainsi depuis 1971, il produit des pièces uniques, gravées et peintes avec talent et finesse. Son inspiration lui vient des poteries anciennes, issues de collections privées ou de musées. Selon l’emplacement dans le four, avec des combinaisons d’atmosphères réductrices et oxydantes, ses poteries obtiennent des nuances différentes.
Bientôt l’activité s’arrêtera, faute de repreneurs. Un crève-cœur pour sa femme qui redoute de voir s’éteindre le dernier four à bois de Betschdorf. Là où on cuisait encore au début des années 2000, durant 3 jours et 3 nuits, une production qui se nourrit de feu et de sel pour une esthétique unique, dont les Japonais et les Américains raffolent, mais pas toujours aux goûts des jeunes générations d’Alsaciens.

Poterie Loys Ruhlmann
39, rue des Potiers


—Fortuné Schmitter : Jusqu’au bout du monde

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Poterie Fortuné Schmitter — Photos : Alexis Delon / Preview

Chez Fortuné Schmitter, la poterie voisine, les bus de touristes font pourtant le détour, « souvent après un spectacle à Kirrwiller », au Royal Palace.
Maurice, qui a appris à tourner à 14 ans, comme 6 générations de potiers avant lui, a su s’adapter à la demande, créer des pièces plus petites que l’on achète vite fait comme souvenirs d’Alsace. « C’est plus facile de ramener une tasse qu’une belle lampe en poterie », constate Maurice qui vend aussi beaucoup de pichets personnalisés et de pots à condiments aux restaurateurs alsaciens. « Une belle vitrine ! Tout comme le marché de Noël de Strasbourg, place de la Cathédrale. Cela nous amène des clients toute l’année, qui viennent nous voir jusqu’ici. »
D’autres commandent du bout du monde ou de la France de belles pièces uniques ou personnalisées, comme le Prince Albert de Monaco qui lui commande ses choppes de bière ! « Les deux villages attirent mutuellement une clientèle qui cherche à voir les artisans travailler dans leurs ateliers. On aime expliquer notre savoir-faire » explique, les yeux pétillants, celui qui aime aussi accueillir des classes d’écoliers.
« L’obtention d’une Indication Géographique Protégée (IGP) est indispensable et on y travaille depuis des années. Ce serait une belle reconnaissance, une façon de lutter contre les produits d’importation à bas prix. On vend au bout du monde et certains Alsaciens ne savent même pas qu’on existe ! » À bons entendeurs…

Poterie Fortuné Schmitter
47, rue des Potiers

 


À Soufflenheim


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Poterie Friedmann — Photos : Alexis Delon / Preview

—Friedmann : Afficher la couleur

À Soufflenheim, la situation semble un peu moins tendue. Il faut dire que la fabrication est moins complexe (cuisson à 950/1000 degrés) et qu’il y a ici une génération d’artisans, qui, en reprenant les affaires familiales, n’ont pas hésité à renouveler le style de leurs productions qui gardent toute leur place dans le quotidien des familles qui aiment les plats mijotés et les belles tables.

Chez Friedmann, la plus ancienne poterie de Soufflenheim, Joseph Pfister a appris son métier au côté de son beau-père, Ignace. C’est jour de livraison de l’argile, directement extraite de Soufflenheim. « 30 tonnes brutes sont déversées en cave pour être malaxées avec de l’eau puis tamisées avant d’être travaillées par les potiers. Cela correspond à 3 ou 4 mois de production ».
Ici, les quantités produites sont plus industrielles, mais les 20 étapes de fabrication sont encore réalisées à la main. Un tourneur, qui se partage à mi-temps avec un potier voisin, tourne les pièces rondes, tandis que les terrines, assiettes et plats sont modelés dans une calibreuse qui leur donne l’épaisseur souhaitée. Une technique ancienne qui autorise la production de 100 à 150 pièces par jour.
À l’étage, des dizaines de mètres d’étagères croulent sous les poteries prêtes à enfourner. C’est après cuisson et vernissage que les poteries afficheront leurs couleurs lumineuses. « On crée 4 ou 5 nouveaux décors par an, explique Sabine, sa femme, qui règne sur la pimpante petite boutique. Certains nouveaux décors, comme ce moucheté bleu, sont en fait nés au XIXe siècle ! » L’engobe (le pigment) est toujours déposé artisanalement grâce à un barolet (sorte de pinceau poire) sur ces pièces artisanales. La dernière nouveauté qui cartonne : un petit four à pain en poterie qui remet la fabrication de son pain, au goût du jour. Chiche !

Poterie Friedmann
3, rue de Haguenau


—Peggy Wehrling : La relève potière

ZUT-Haguenau-et-alentours—Peggy Wehrling -©Alexis-Delon/Preview
Peggy Wehrling — Photos : Alexis Delon / Preview

La coquette boutique de Peggy Wehrling, 200m plus loin, attire l’œil avec ses poteries et objets hauts en couleurs. Depuis 2001, Peggy a repris la poterie de son père, Gérard, qui l’aide encore quand il ne bichonne pas son jardin, véritable petit coin de paradis à l’arrière de l’atelier. Ce dernier, très lumineux et féminin, est habité de chats câlins ou curieux qui viennent se frotter à vos jambes. « J’aime travailler en fonction des saisons et fabriquer des objets qui racontent une histoire, explique la potière. Je m’inspire beaucoup des traditions… par exemple mes moules en forme de cœur rappellent que d’antan, on offrait des poteries de mariage. Avec un père passionné d’histoire, j’ai écumé beaucoup de musées dont les décors m’inspirent encore au quotidien ! »
Les superbes moules à kougelhopf, pots à baeckeoffe et terrines colorées ont fait la renommée de la maison, mais Peggy a aussi su attirer une nouvelle clientèle. « En postant mon actualité sur les réseaux sociaux, je donne envie aux gens de venir sur place. À chaque publication, il y a un vrai engouement, des questions et des visites. Cela me permet de conserver une logique de production confidentielle, mais de vivre de mon artisanat. » Un vrai challenge quand on a traversé une crise et des licenciements, comme presque toutes les familles de potiers.

Poterie G. Wehrling et fille
64, route de Haguenau


À Strasbourg


ZUT-Haguenau-et-alentours—Catherine Remmy -©Alexis-Delon/Preview
Catherine Remmy — Photos : Alexis Delon / Preview

—Catherine Remmy : un nouveau souffle

Catherine Remmy est la fille de Vincent. Héritière de la plus ancienne famille de potiers de Betschdorf. Après un joli détour par la photo, Catherine est revenue à ses premières amours : la poterie.
« J’avais envie de m’exprimer différemment, de produire quelque chose de plus créatif », explique la jeune potière, dans le jardin partagé de son nouvel atelier, au Port du Rhin. Entre expérimentations et recherches sur les techniques oubliées et les décors anciens, elle mène un travail à la croisée de l’art et de l’artisanat. Peu soucieuse d’écouler sa production, elle travaille plus volontiers sous forme de collaborations artistiques ou associatives. D’ailleurs, elle me parle de cette montagne en céramique de plus de 1,40m à laquelle elle a travaillé durant toute une année pour réaliser le décor essentiel d’une pièce de théâtre.
Passionnée par ce métier en péril, elle met aussi ses recherches au service d’une exposition qu’elle prépare spécialement pour le Musée de la Poterie de Bestchdorf, où elle exposera cet été à partir du 11 août, sur la symbolique des décors. Prospérité, fécondité, renouvellement infini… autant de vœux qu’on rêve de formuler pour la poterie alsacienne !

Catherine Remmy
10, rue du Port du Rhin


Par Corinne Maix
Photos Alexis Delon/Preview