Success story alsacienne

Pierre Meyer n’a pas d’âge mais il a bel et bien mille et une vies. Son histoire, il l’a écrite à l’huile de coude, porté par l’ambition et la rage d’entreprendre. « On m’a pris pour un fou », annonce la couverture de son autobiographie. Il est certain qu’ouvrir le Royal Palace au beau milieu d’un village alsacien de 500 habitants pouvait interpeller et pourtant…

Aujourd’hui, le Royal Palace est le troisième plus grand cabaret de France. Pas à pas, Pierre Meyer a construit un empire à la renommée internationale, une success story alsacienne. Fidèle à ses racines et ses valeurs, il a créé à Kirrwiller le lieu de tous les possibles. Jack Kerouac écrivait : « Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent. » Pierre Meyer en est la preuve vivante. Nous l’avons rencontré à l’occasion des 40 ans du Royal Palace.

À l’époque, votre mère tenait une auberge qui faisait office de dancing le samedi soir…
Début 70, le dancing était en perte de vitesse avec l’apparition des discothèques. Lorsque je suis revenu de mon apprentissage en cuisine, j’ai proposé à mes parents qu’on relance l’entreprise en essayant les repas dansants. À l’époque, on a été les premiers à faire les buffets campagnards, puis les bœufs à la broche et j’ai commencé à lancer des soirées alsaciennes, du folklore. On a remarqué qu’il y avait de la demande. J’ai repris l’affaire très jeune, mes soeurs étaient hôtesses de l’air, maman était fatiguée et mon père était instit dans le village, l’auberge ce n’était pas son métier. Lorsqu’il y avait un repas à organiser, je m’en occupais !

Vous souvenez-vous de vos tous premiers spectacles ici ? Ça a dû être un accomplissement pour vous.
Oui, c’est vrai. Les premiers spectacles avec revue, c’était en 82. Avant, je n’avais qu’un orchestre à amortir : on proposait le menu plus l’orchestre, c’est seule- ment après qu’on a ajouté le spectacle. D’ailleurs c’était très tard à l’époque, le spectacle était vers minuit, puis les gens dansaient, s’amusaient, on fermait à 6 h du matin et on rouvrait à midi. On ne dormait pas beau- coup, c’était la fête ! Après, j’ai transformé l’hôtel familial en logement pour les artistes. J’ai arrêté les plats du jour et aussi le bistrot de ma grand-mère. C’était dur pour elle, elle ne comprenait pas pourquoi je le fermais, elle disait : « Après l’église, ils prennent l’apéritif! » mais je ne pouvais pas servir un verre de vin rouge à quelqu’un et rester discuter avec lui pendant une heure.

C’était primordial pour vous de sauver l’entreprise familiale ?
Absolument. Pour moi, le dancing ne devait pas disparaître, c’était le ciment de notre famille.

Quand vous décidez de vous lancer dans les repas dansants, votre mère y croit mais votre père est un peu plus sceptique.
C’est vrai. Mon père était l’instituteur du village et je n’étais pas son meilleur élève, alors il ne me faisait plus confiance. Il m’a envoyé en pensionnat chez les curés à Strasbourg, au collège St-Etienne. C’était des années difficiles pour moi. Partir de la maison alors que je n’allais déjà pas souvent en vacances avec mes parents, j’aurais préféré rester dans le village. Mais bon… Mon père a quand même vu l’évolution à un moment donné. À l’époque, quand il a voulu se retirer et que je reprenne l’affaire, il a construit une maison pour lui et ma mère et il a voulu que je vienne habiter dans l’auberge avec ma femme. J’avais des conditions pour venir ici, je voulais que le partage soit fait et que tout soit réglé avant. Et c’est ce qu’il a fait, à 28 ans j’étais PDG et là, il a fallu bosser !

Dans votre livre vous parlez de vos parents qui ont toujours travaillé dur, c’est quelque chose qu’ils vous ont transmis ?
Quand les bals se sont arrêtés, oui, j’étais au four et au moulin. En cuisine, il y avait ma grand-mère, ma mère et moi et ça marchait très bien. À un moment donné, on a ouvert les premières salles pour faire les dîners dansants, d’abord une fois jusqu’à trois fois par mois. On y allait petit à petit, avec toujours le restaurant en parallèle jusqu’au moment où le spectacle a pris le dessus.

Au final, avec la réussite de l’entreprise familiale, vous avez acquis la fierté de votre père.
Oui, c’est vrai! À mes débuts, je cuisinais avec le téléphone constamment collé derrière l’oreille pour prendre les réservations. Puis, je ne pouvais plus continuer ainsi, j’ai alors embauché une secrétaire et mon père restait parfois au bureau à la regarder parler au téléphone, il était content ! À l’époque, avoir une secrétaire c’était quelque chose. Il se mettait aussi au bar et il observait ce qui se passait autour, il était heureux comme ça.

Au départ, vous commandiez les spectacles et maintenant c’est vous qui les produisez ?
Au début, j’achetais les spectacles tout finis, mais il y avait 7 artistes, ça n’a rien à voir avec aujourd’hui. Actuellement, on en a 40 sur scène. À l’époque, c’était des petites troupes qui faisaient des galas. J’avais tissé des liens avec un cabaret parisien, L’Éléphant Bleu, tenu par M. Paulard qui possédait aussi l’Âne Rouge, La Belle Époque… Il me mettait en relation avec des artistes tahitiens et philippins qu’il me louait pour une semaine ou un week-end. On organisait des soirées sur différents thèmes, des soirées Pigalle, des soirées cabaret, mexicaines, brésiliennes, tout ce qu’on pouvait trouver en spectacles finis. C’étaient mes débuts et ça a duré jusqu’en 89. Ensuite, on a construit une vraie scène, car jusque-là les artistes se produisaient sur le même podium que l’orchestre. Seulement il y avait un hic, la production a un coût, pas seulement pour construire le bâtiment mais il y avait des décors, la machinerie de scène pour lever les décors… On avait déjà fait un gros investissement, et il fallait retourner en plus toute la scène. Mon père qui vivait encore m’a dit : « Mais tu es fou, tu as une affaire qui marche et là tu veux présenter le même spectacle pendant 6 mois, 5 fois par semaine et 300 personnes pour le point zéro ? ». Vous voyez un peu (rires).

 « Les artistes vivent dans la maison, c’est une grande famille »

Vous vouliez apporter un souffle nouveau à vos spectacles, afin que les spectateurs ne se lassent pas.
Exactement, si j’avais continué à reprendre la troupe des tahitiens comme on l’avait déjà fait pendant 9 ans, les gens ne seraient plus venus au bout d’un moment. Je suis donc allé à la recherche de grosses productions, pour créer un spectacle exceptionnel. On a eu des chefs d’œuvres avec, par exemple, le fantastic show du magicien Dani Lary. Christian Fechner, le producteur de cinéma, est venu avec les Germano-Américains Siegfried et Roy de Las Vegas, les deux monstres sacrés de l’illusionnisme qui se produisaient à l’époque avec les tigres. Ils sont venus à Kirrwiller et ils ne voulaient plus rentrer ! Ils nous ont invité ensuite une semaine à Las Vegas, ça a été magique pour nous ! À l’époque, on a doublé la clientèle en un an. Les gens étaient contents, ils en parlaient. Le bouche à oreille est important. On est dans un petit village de 500 habitants, comment faire pour que tout ce monde vienne à Kirrwiller? C’était difficile, il fallait faire quelque chose d’exceptionnel et encore aujourd’hui, on en est au même stade. Tout a évolué mais il faut faire fort pour que les gens reviennent. D’année en année, on a toujours investi dans le lieu, l’outil de travail et aussi dans la qualité du spectacle qui nous a permis de gagner une renommée dans le milieu.

Vous êtes souvent appelé à être dans le jury de festivals de cirque de renommée mondiale. Ce n’est pas trop difficile de donner un avis quand on a face à soi des numéros plus incroyables les uns que les autres ?
Ça l’est. J’ai notamment été dans le jury à Monte-Carlo, le plus grand festival de cirque au monde, la semaine prochaine je serai à Rome et on m’a récemment appelé pour être dans le jury d’un grand festival à Budapest. Voyager pour découvrir les numéros c’est très important, car ici, on signe les contrats deux ans à l’avance pour avoir les meilleurs, et les numéros d’exception sont rares.

Êtes-vous devenu de plus en plus exigeant avec les années ?
Absolument. La richesse d’un spectacle, ce sont les numéros d’attractions. Dans les cabarets en général, les revues ont deux à trois numéros, ici il y en a sept. Les chanteurs aussi, c’est important, cette année on en a quatre : Charlène, Jérémy Amelin qui était finaliste de la Star Ac’, Pierre-Etienne et David. C’est Jasmine Roy, l’ancienne coach de la Star Ac’ qui fait les castings des chanteurs, c’est plus long que pour les danseurs, il faut les écouter les uns après les autres.

« Le Royal Palace c’est Las Vegas en Alsace », c’est la chanson signature de votre music-hall. Elle ponctue chaque revue, et tous vos habitués l’entonnent au final comme s’il s’agissait d’un tube.
Oui c’est vrai, mais bon le Royal Palace ce n’est pas les casinos comme à Las Vegas (rires). Ça s’est monté dans un petit village en pleine campagne : quand je suis à l’accueil et que le public entre, je me demande d’où viennent tous ces gens. C’est quand même énorme, 200000 personnes par an. Et tous les ans, il y a un nouveau spectacle !

Chaque année, vous accueillez de nouveaux artistes venus du monde entier. Vous avez construit un lieu pour les loger ici…
Oui, les artistes vivent dans la maison, c’est une grande famille. C’est mieux que de les savoir dispersés dans des appartements aux alentours, ici ils sont ensemble. Le soir, ils font la fête, du Pilates, du yoga, ils ont leur véranda, leur jardin.

Ce n’est pas forcément facile d’être loin de ses proches. Vous avez connu ça aussi, au pensionnat vous avez vécu des années de grande solitude et ici vous avez formé une sorte de grande famille. Absolument, ce sont mes enfants (rires). Surtout les danseurs et les danseuses, quand ils ont un petit problème, ils viennent me voir comme un papa! Quand les artistes vont travailler ailleurs après un an, ils parlent d’ici et ça donne envie à d’autres artistes de venir !

Dans votre livre, vous racontez une très jolie anecdote à propos d’un Noël ici.
Dans le temps, on avait une semaine de vacances à Noël. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car on a désormais énormément de travail au mois de décembre. C’est un mois où on fait jusqu’à 55000 entrées avec notamment le spectacle Le Noël des Enfants, en plus du spectacle normal. Mais en effet, il y a quelques années, j’avais des artistes qui venaient de loin et qui n’ont pas pu rentrer à Noël, je les ai alors invités à la maison. Au début, il y en avait seulement trois ou quatre qui avaient accepté l’invitation et le soir de Noël, il y en a eu douze devant la porte (rires). On a fait un bon repas avec de bonnes bouteilles de vin, un vrai Noël. Et par la suite, j’ai refait une soirée réclamée par ceux qui étaient partis dans leur famille !

Le Royal Palace fête ses 40 ans, quel regard portez-vous sur ces quatre dernières décennies. J’imagine que vous ne vous attendiez pas à ce que le music-hall devienne aussi conséquent ?
Des fois, j’ai du mal à réaliser le succès qu’on a depuis des années et le fait que ça continue. Il faut tout simplement que les gens soient heureux, qu’ils aient passé un bon moment, que ce soit fort en émotions et qu’ils aient envie de revenir ! Il y en a qui viennent de Nancy, de Metz, de Reims…

Même d’autres pays, même de Las Vegas…
Oui aussi, et c’est mon obsession, réussir à avoir toujours du succès.

Vous vous êtes investi corps et âme dans le travail au point de ne pas avoir vu votre fils unique grandir. Et aujourd’hui, Mathieu travaille à vos côtés.
Oui, ce n’était pas facile, avec les parents, on bossait. Ma mère était usée avant les 60 ans, quand elle a arrêté elle n’en pouvait plus. Aujourd’hui, la nouvelle génération, elle n’est plus aussi folle que la nôtre. Mais bon, chacun son époque.

Selon vous, pour réussir, il n’y a pas de secret, il faut travailler.
Oui et il faut aussi trouver les bonnes personnes, les chorégraphes, les metteurs en scène, les gens de la création. Je n’ai fait que travailler, si je pars une semaine en vacances, je m’ennuie au bout de trois jours. Mais j’aime ce que je fais, c’est une vocation. Aujourd’hui, je devrais être à la retraite, j’aurais dû laisser mon fils faire, mais pour l’instant je ne suis pas prêt. Gérer une entreprise, ce n’est pas juste organiser un spectacle, c’est tout le reste qui est autour, la restauration, la sécurité… Ce n’est pas facile, ce sont des énervements parfois aussi pour rien.

Dans le livre, vous dites que vous vous êtes toujours senti dans une sorte de dualité entre l’homme de la campagne et l’homme du spectacle qui aime viscéralement le show, les strass et les paillettes.
J’ai tellement de propositions pour aller ouvrir à gauche à droite, j’ai toujours dit non. Je ne veux pas courir deux lièvres à la fois, ce que j’ai me suffit. Je suis à 100%, je ne veux pas d’une deuxième affaire. Un jour, une comtesse allemande propriétaire d’un énorme théâtre au Neuschwanstein m’a fait venir et voulait absolument que je m’en occupe. Mais j’ai dit non. Je suis bien à Kirrwiller, c’est chez moi. Ce qui m’intéresse c’est le spectacle et mes animaux. J’adore les bêtes, j’ai mes chiens, il y en a un qui est toujours avec moi, Choco. J’ai neuf ânes dont une prénommée Lisette, comme l’ânesse de mon enfance.

Une vie comme la vôtre doit être remplie d’anecdotes, en avez-vous une à raconter ?
C’était à mes débuts lorsque je faisais les fameuses soirées Pigalle, il y avait une stripteaseuse dans la revue, ce sont les clients qui nous y avaient poussé, ils me taquinaient, me disaient : « Alors Pierre, il y a au moins quelque chose à voir ? ». C’était élégant, rien de vulgaire, c’était l’art de l’effeuillage et juste avant que la jeune femme ôte les pointes sur ses seins, nous plongions la salle dans le noir. Mais cette fois-ci, ça a été différent. Après le repas, je suis monté à la régie, j’étais à un pupitre pour faire les projecteurs, j’ai envoyé la musique, réglé les sons et là la fille commence à se déshabiller très vite, à prendre des positions vulgaires. Paniqué, je ne savais plus quoi faire, je suis allé en coulisse chercher la meneuse de revue pour qu’elle enchaîne immédiatement. On avait quand même des couples mariés, ce n’est pas un night-club !

Votre livre « On m’a pris pour un fou » vient de sortir, à quel moment l’idée d’écrire votre autobiographie a-t-elle germé ?
À l’occasion des 40 ans du Royal Palace, Fred Papet mon attaché de presse m’a parlé de cette idée. J’ai rencontré Isabelle Gaudon qui a réalisé beaucoup d’autobiographies de gens que je connais et Christian Riehl des Éditions du Signe. Ce livre permettra aux gens et même à mes proches, mon fils notamment, de découvrir une histoire qu’ils ne connaissent pas forcément, de comprendre certainement beaucoup mieux mes décisions, mes engagements, mes soucis, mes ambitions, mes empêchements. Et de faire davantage connaissance avec ce doux dingue que j’ai été et que je suis toujours.


Royal Palace International Music Hall
20, rue de Hochfelden à Kirrwiller

On m’a pris pour un fou aux Éditions du Signe


Par Emma Schneider
Photos Alexis Delon / Preview