Un musée vintage dans une grange,
la Cour de Marie

De la collection de poupées Raynal au vélo de Poulidor, en passant par le salon de coiffure et l’épicerie d’époque, ce lieu unique en son genre est une ode à la nostalgie, un voyage dans le temps opéré par deux fous de brocante.

Il y a ceux qui connaissent le village de Hatten pour son passé marqué par la Seconde Guerre mondiale, ses vestiges de la ligne Maginot et son musée de l’Abri. C’est ici que s’est déroulée la dernière bataille entre chars américains et allemands sur le territoire français. Et puis il y a ceux qui prennent la direction de Hatten pour replonger dans une enfance autrement plus joyeuse et plus colorée : celle des Trente Glorieuses. La Cour de Marie, le musée du Couple Freyermuth, est dédié à leur fille Marie, partie trop tôt, et à tous les nostalgiques de ces années 1945-1975 de croissance, de plein emploi, de baby-boom et d’inventions industrielles en tous genres, qui allaient débrider la consommation et les envies de vacances au bout de la Nationale 7.

Nathalie et Jean-Claude Freyermuth, propriétaires du musée ©Alexis Delon

Le coup de la panne

Natalie et Jean-Claude Freyermuth auraient pu se rencontrer tout jeunes, à Saverne, quand l’adolescente allait chez sa grand-mère et qu’elle avait déjà flashé pour la mobylette du bel apprenti mécanicien du garage voisin… mais c’est vingt ans plus tard, grâce au hasard d’une panne de voiture, qu’a eu lieu le coup de foudre. Natalie revenait alors du Canada, avec sa fille, après une petite dizaine d’années en Nouvelle-Écosse. Jean-Claude, passionné de courses automobiles et meilleur sportif alsacien de l’année 1995, tenait un garage à Schwenheim… Le couple passe alors ses week-ends à sillonner les routes d’Alsace pour dévaliser les marchés aux puces. « Qu’on parte en vacances ou à côté de la maison, notre Opel Break débordait toujours de nos trouvailles », se souvient Natalie, amusée. À force de stocker toutes sortes d’objets dans des cartons, la famille se trouve vite à l’étroit et rêve d’une ferme à rénover pour abriter et partager ses trésors. « C’était l’époque du feuilleton Louis la Brocante, ça a fait germer comme une envie… mais aussi un sérieux problème : on aime chiner, retaper, partager la passion de nos objets, mais pas les revendre ! » Le business model du musée supplante naturellement celui de la boutique.

Musée de la nostalgie ©Alexis Delon

A bicyclette

L’achat de cette ancienne ferme de Hatten, envahie par les ronces et joliment rénovée depuis, sonne le coup d’envoi d’un petit musée de vieux objets, qui ouvre ses portes en 2013. D’abord consacrées au matériel agricole ancien, après le don initial d’un Petit Gris Ferguson, les collections retracent quelques pages de l’histoire industrielle alsacienne, dont celle des Frères Kuhn de Saverne. Très vite, l’espace s’agrandit pour laisser de la place à diverses thématiques chères au couple. Jean-Claude, champion accompli de Formule 2 et courses de côte, se prend de passion pour l’univers du vélo. Une aubaine pour les nombreux cyclistes qui parcourent la région à la recherche d’une halte de charme. Ses pépites ? Le vélo de Poulidor du Tour de France 1969 et le vélo Gitane de Charly Mottet qui fit six étapes en jaune. « Je prépare une rétrospective vélo pour l’année prochaine, avec en vedettes les deux coureurs alsaciens, Charlie Grosskost et Roger Hassenforder », confie Jean-Claude, avec l’œil qui frise. Mais pour ce fou de moteurs, il convenait aussi de trouver une belle place aux deux-roues – Solex, Motobécane et compagnie – sans oublier les pompes à essence et les bidons colorés, qui rappellent le passé pétrolifère de ce bout d’Alsace du Nord.

La caravane Eriba de 1971 ©Alexis Delon

Bienvenue au camping

Une fois franchie la barrière du camping, les nostalgiques retrouvent l’ambiance de leurs premières vacances : d’un côté la tente Trigano, les bikinis et les serviettes à fleurs psychédéliques ; de l’autre la caravane Eriba de 1971 pour les amoureux de confort et de vaisselle en plastique coloré. Sans doute les mêmes que l’on aimait voir se contorsionner sous une ingénieuse cabine de plage en tissu pour enfiler leur maillot de bain. Les cadeaux gonflables Fina – matelas pneumatique, ballon, canoë – nous ramènent directement en enfance et aux premiers films Super 8 qui immortalisaient ces bulles de bonheur, aux couleurs des glaces Miko et des Pouss-Pouss à l’orange.

Un tour à la Coopé ©Alexis Delon

La ménagère de plus de 50 ans

Chaque année, les deux passionnés poussent un peu plus loin leur douce folie et se mettent en tête de créer une nouvelle pièce dédiée à leurs pépites. Formidable conteuse, très documentée, Natalie poursuit la visite guidée de son domaine, plus féminin, à l’étage. Un salon de coiffure d’époque (cédé tel quel par l’ancien coiffeur de Soultz) rappellera des souvenirs à certaines, tout comme la cuisine en formica, top modèle des fifties, avec son frigidaire Arthur Martin et sa batterie d’arts ménagers. Ne manque plus qu’un tour à la Coopé pour acheter du Poil de Carotte et de la saucisse à tartiner. « Raconter l’histoire de cette coopérative alsacienne nous tenait vraiment à cœur, explique Nathalie, conquise par ce modèle social tellement innovant. Toutes nos mères collectionnaient les timbres Coop pour offrir des cadeaux à Noël ou équiper leurs maisons d’accessoires repérés dans le catalogue ! En 1975, c’était le premier employeur de la région. »

Poupées
La Collection de poupées Raynal ©Alexis Delon

Une poupée aux yeux vivants

Mais c’est sa collection de poupées Raynal qui rend la « petite » Natalie encore plus volubile. En lui offrant pour ses cinq ans la poupée Isabelle de 67 centimètres, qui marche et parle, sa grand-mère pouvait-elle imaginer la collection de 300 poupées aujourd’hui réunies sous ce toit ? « Il existe 350 modèles de cette marque créée par l’alsacien Édouard Raynal en 1926. Il voulait créer la plus belle poupée du monde et ses yeux riboulants en sulfure de verre la rendaient bien vivante ! » Des premiers poupons en feutrine, bourrés de copeaux de bois, aux poupées de salon maquillées et habillées de tenues haute couture… jusqu’aux poupées offertes par René Coty aux pupilles de la nation, la belle histoire durera jusqu’à l’arrivée de la poupée Barbie.

Le petit bistrot vintage ©Alexis Delon

Retour vers le futur

Après deux heures de déambulation et d’anecdotes savoureuses, le petit bistrot vintage, ouvert depuis cette année, nous offre une dernière bouffée de nostalgie. Les papiers peints, dénichés à Berlin, la mode vintage et l’ambiance sonore d’époque illustrent le sens du détail inné des deux complices. Comme tous les visiteurs, nous nous prêtons, amusés, au jeu de la photo souvenir, installés sur nos chaises tulipes en dégustant un café à la chicorée et une tarte au fromage blanc maison dans des assiettes Arcopal. Je m’étonne, en reprenant la route, de ne pas avoir retrouvé mes couettes et le photographe son Polaroid pour immortaliser la beauté de ces objets qui racontent, à leur façon, notre petite histoire.

Pour prolonger la visite

Musée mémorial de Walbourg 1870-1945
L’histoire locale racontée à travers plus de 4 200 objets et témoignages provenant d’Alsace-Moselle, et plus particulièrement d’Alsace du Nord. Une collection qui prend vie dans ce musée sensoriel équipé de onze pôles sonores et deux salles de projection.

Hunspach
Une promenade hors du temps à l’est du Parc régional des Vosges du Nord. Élu Village préféré des Français en 2020, Hunspach s’anime au son des musiques folkloriques à la belle saison. Le 9 juillet, la Fête d’été sera célébrée avec l’Harmonie de Hunspach.

Seebach
Juste à côté de Hunspach et tout aussi authen-tique avec ses façades blanches à colombages et ses jardinets fleuris. À ne pas manquer : la Summerzeit qui mettra à l’honneur les traditions alsaciennes dans une ambiance fête de village, du 22 au 23 juillet.

Restaurant de la Poste à Schwabwiller
Une affaire qui marche depuis cinq générations. Dans l’assiette, menus alsaciens, menus de fête ou de banquets, dont la majorité des produits proviennent des propres cultures de la famille Frison, également membre de la Confrérie du Véritable Flammekueche d’Alsace.

La Cour de Marie
49, rue Principale à Hatten
lacourdemarie.fr

Ouvert d’avril à octobre
Jeu. + ven. + dim. — 14h – 18h et Sam. — 10h – 12h / 13h30 – 18h


Par Corinne Maix
Photo Alexis Delon