Journées de l’architecture
La 24e édition des Journées de l’architecture, du 4 au 31 octobre, se tiendra dans une trentaine de villes dans la région transfrontalière du Rhin supérieur pour y présenter plus de 150 manifestations en deux langues.
En bordure de forêt, à la lisière du village d’Obersteinbach, apprécié des randonneurs, nous avons rencontré un éducateur de chevaux presque unique en son genre. Mieux vaut compter sur le bouche-à-oreille que sur son GPS pour atteindre le centre équestre, mais dans la joyeuse cacophonie des poules apeurées, des braiments d’âne et du chien qui arrive au galop, Johan Hofmans nous attend pour une démonstration fascinante.
La vie de Johan Hofmans s’est construite autour de rencontres. Avec le cheval d’abord, à l’âge de sept ans, en Hollande. Il est loin de se douter alors qu’il lui consacrera sa vie. Après son diplôme d’ingénieur agronome, il travaille un temps dans une banque agricole, où il s’ennuie ferme jusqu’à ce qu’une annonce dans un journal de Rotterdam déclenche un déclic. Un de ses compatriotes cherche un associé pour développer une affaire touristique en Ardèche. En 1984, il plaque tout et part à l’aventure, avec l’idée de proposer des activités autour des chevaux Fjord. Hélas, il a misé sur le mauvais cheval et il découvre vite que son associé est un escroc. « J’ai retiré mes billes de l’affaire, mais je me retrouvais SDF avec deux chevaux sur les bras, dans un pays étranger dont je parlais encore très mal la langue », se souvient Johan. Son salut vient d’une nouvelle rencontre après un coup de fil au président de l’association française du poney Fjord, qui le mène à Lembach, en Alsace. On lui propose même un job, des poulains de trois ans pour développer le tourisme équestre dans ce coin idyllique et un petit logement au-dessus de la mairie d’Obersteinbach.
Nouveau coup du destin, il y fait la connaissance de sa future femme, Sylvie-Anne, qui occupe un job de secrétaire de mairie. En 1991, le couple achète ce terrain vierge à l’orée du village, où Johan construit de ses mains une écurie et un premier manège pour créer son centre équestre. L’activité de pension pour chevaux, les cours d’équitation et les colonies de vacances sur le thème du cheval prennent de l’essor. Au point que Sylvie-Anne se forme, elle aussi, comme monitrice. C’est à cette époque que Johan fait à nouveau deux rencontres importantes. « À l’issue d’une colonie, les services sociaux nous ont demandé de garder quelques jours une fillette qui connaissait des difficultés familiales. C’est comme ça que nous sommes devenus famille d’accueil ! » Quelque temps plus tard, un reportage de la BBC sur le chuchoteur de chevaux, Monty Roberts, interprété par Robert Redford au cinéma, lui inspire un formidable déclic. « J’ai dit à ma femme, il faut que je rencontre ce type, qui prône une nouvelle façon d’éduquer les chevaux, sans aucune violence. »
À force de persévérance, il obtient de la « star » américaine une immersion dans son centre de formation en Californie. En l’espace de trois mois, il apprend le langage des chevaux, leur psychologie et s’initie à l’éducation ou rééducation douce des équidés. « Tout ce qu’on demande au cheval va contre sa nature, regrette-il. C’est un grand peureux, un animal de proie qui considère tout ce qu’il ne connaît pas comme un prédateur. Rien de plus effrayant qu’une selle qu’on pose sur son dos pour la première fois ou la montée dans un van de transport, car il est claustrophobe et ses yeux s’adaptent assez mal aux changements de luminosité », explique Johan. Dans un groupe, le cheval obéit à une hiérarchie et tout l’apprentissage de Monty Roberts repose sur cette connaissance fine du comportement et de la psychologie de l’animal. Pas question de le forcer ou de le brusquer, c’est déjà de la maltraitance. Les gestes sont doux et le matériel utilisé ne cause aucune douleur… L’éduquer, c’est simplement l’habituer à l’humain. À force d’observer son comportement naturel, l’éducateur décrypte son langage corporel et adapte le sien pour parler la même langue. Pas question, par exemple, d’avancer vers lui de façon frontale (comme le ferait un prédateur) mais toujours par de longues courbes pour ne pas le surprendre.
La douceur, son cheval de bataille
Direction le manège pour assister à la séance de travail du matin en compagnie de Jalna, une jument de trois ans aux réactions parfois imprévisibles. Sa propriétaire l’a confiée aux bons soins de Johan, qui a déjà passé trois séances avec elle. Avant de la conduire dans le manège pour les exercices, il nous décrit les étapes et les réactions annoncées de l’animal durant ce « join-up », qui vise à obtenir le respect et la confiance mutuels entre l’homme et le cheval. Dans le rond de longe, elle va tourner à son rythme en pointant progressivement son oreille intérieure vers l’éducateur, car elle sait que c’est lui qui contrôle la direction. Elle va ensuite réduire le cercle pour économiser son énergie. Après quelques tours, elle fera des mouvements de langue, signe de décontraction et de soumission. Enfin elle baissera la tête pour dire « j’aimerais qu’on fasse équipe ensemble et tu peux être le chef ». Johan se tournera alors vers elle à 45 degrés – comme le font les animaux dominants à l’état sauvage – pour l’inviter à se rapprocher. De la théorie à la pratique, il aura suffi de quelques foulées pour que Jalna respecte à la lettre ce scénario. Comme par magie, d’un seul geste, d’un claquement de langue ou en échangeant un regard, ces deux-là se comprennent, ils parlent la même langue, le même langage corporel.
Mais cet apprentissage ne serait pas complet sans familiariser Jalna avec le tapis de selle, la selle et le licol qui permettront plus tard à sa cavalière de la monter sans crainte. Une caresse entre les deux yeux ponctue chaque étape et chaque progrès. La belle se laisse faire, elle enchaîne les tours de manège, puis se cabre un instant, apeurée par l’étrier qui lui a battu le flanc. Encore quelques tours de piste avant qu’elle ne semble trouver plus naturel cet harnachement. Reste pour elle à accepter le lourd cavalier en peluche qui simule un humain sur son dos. « Je vais reproduire ces exercices chaque jour. J’envoie les vidéos à sa propriétaire pour l’aider à adopter à son tour les bons gestes. Parfois, il faut revenir en arrière pour que l’animal comprenne. » Ici pas de cravache, tout est affaire de timing et de feeling. Johan parle à l’intelligence du cheval et, comme les enfants, certains apprennent plus vite que d’autres, mais jamais par la force, toujours en cherchant l’adhésion. La plupart des demandes des propriétaires de chevaux concernent le débourrage de jeunes montures, peu habituées à l’humain ou l’acceptation de monter dans un van. D’autres animaux ont été mal traités, le plus souvent de façon involontaire, et il faut leur réapprendre la confiance, les « désensibiliser ». Marcher sur une bâche en plastique, être frôlé par un objet, passer sous un parapluie peut être très effrayant pour un cheval. À l’aide de quelques objets, il habitue la jument à ces différents contacts. Du petit poney à l’étalon, du cheval de loisir au pur-sang de compétition, tous ont droit au même traitement de patience et de douceur.
Transmettre son art
Casquette toujours vissée sur la tête, Johan nous entraîne dans la visite de la ferme. Depuis deux ans, le centre équestre a recentré ses activités autour des stages de dressage. Ses clients viennent de Lyon, de Suisse, de Belgique et de toute la région, mais cela n’affecte pas la grande humilité de ce dresseur rare. Père de trois enfants et famille d’accueil pour une centaine d’autres, il compare les chevaux à de grands enfants : les timides, les effrontés, les agressifs, ceux qui manquent de confiance, les cabossés… et prône une seule recette : l’adaptation ! « J’accepte chaque cheval, comme il se présente à moi ! » Une grande qualité humaine qu’il partage avec sa femme Sylvie-Anne, qui a épousé les chevaux en même temps que son homme. Aujourd’hui, c’est elle qui dirige le centre, mais elle pratique aussi une activité de médiation animale, comme au Mont des Oiseaux, à Wissembourg, à destination de jeunes adultes polyhandicapés. « Le cheval est un formidable medium pour déclencher des relations et des réactions, pour apprendre l’équilibre ou gagner en tonicité. Sur un cheval, on peut aller là où un fauteuil roulant ne le permet pas. Parfois, un simple contact, tel que la caresse du ventre d’un poney peut procurer un réel plaisir et ramener une personne vers le monde », s’enthousiasme Sylvie-Anne. Aucun de leurs grands enfants ne reprendra les rennes du centre équestre, même s’ils sont des cavaliers acharnés amoureux du lieu. Le couple a trouvé d’autres voies pour transmettre ses savoirs. Johan intervient régulièrement dans des lycées agricoles en section équitation pour former des élèves moniteurs à l’éthologie et à sa discipline non violente. Sylvie-Anne s’investit dans des centres d’accueil ou de soins qui misent sur la médiation animale pour apporter du bien-être et des progrès. Pour faire découvrir ce petit monde, le centre propose aussi aux Alsaciens sans monture l’expérience d’une balade en calèche, sur les sentiers sauvages d’Obersteinbach.
À découvrir
Balades en calèche tous les jours sur réservation (par téléphone ou via Facebook).
-> À partir de 65 € pour 1 à 4 personnes.
Centre Équestre d’Obersteinbach
Rue Rohrmatt à Obersteinbach
03 88 09 56 84
Facebook : Centre Équestre d’Obersteinbach
Par Corinne Maix
Photos Christoph de Barry