Le sport au RAID

Le sport hors les clubs
Saison 2 | Épisode 1/4
AU RAID

Nouvelle saison, et l’on poursuit notre série consacrée au sport dans des lieux qui ne lui sont pas dédiés. Exit les club house et autres hangars à cross fit : après le centre Clemenceau, l’EPSAN, l’EHPAD et la prison, place à l’antenne strasbourgeoise du RAID.

Au grand registre des phrases toutes faites, « Le sport, c’est bon pour la santé » occupe une place de choix, assurément dans le trio de tête et peut-être tout juste devancée par « Un corps sain dans un esprit sain » et « Ok, j’te fais un mail dans l’aprèm’ », qui n’a rien à voir avec les deux autres mais quand même, si on pouvait tous s’accorder à l’abolir du langage courant, ça rendrait nos vies heureuses. Jacno, lui, chantait que « Le sport, c’est de la merde », mais comme il est mort à 52 ans, ça ne fait pas vraiment sa pub.
Le sport, c’est bon pour la santé et, en certains endroits, il offre même la vie sauve. Au RAID, par exemple. Pour chacun de ses hommes, le sport y est tout à la fois : une nécessité, un plaisir, un devoir. C’est parce que leur physique est sans failles qu’ils pourront, en toutes circonstances (et celles-ci vont de l’extrême à l’indicible), avoir la faculté de discernement, la capacité de faire le bon choix, dans un temps infiniment court. Les grands maîtres d’échecs ont un physique de haut niveau, ils s’entraînent assidûment, le parallèle peut surprendre mais il en va de même pour les opérateurs du RAID ; quand l’humain, l’intelligence et la technique se rencontrent, le physique doit être au diapason, pour en permettre la synergie. « Avec l’uniforme, l’armement et les protections, le poids moyen des opérateurs en fonction de leur gabarit de départ se situe entre 120 et 150 kilos. L’équipement est de plus en plus indispensable, ça génère des contraintes énormes. Le sport ici n’est pas une finalité, c’est la garantie
d’un maintien opérationnel », témoigne Séquoia*, capitaine adjoint de l’antenne RAID de Strasbourg. À chaque jour suffit sa séance de sport, ainsi va le quotidien de ses hommes (et le sien).

« Quand on pratique par nous-mêmes, ce n’est pas notre spécialité, donc on fait des erreurs et on risque des blessures ; d’où la séance du mercredi, avec Yann qui cadre ça. Ça change des tirages de chariots ou soulevé de pneus que l’on fait un peu en mode bourrin quand on est livré à nous-mêmes ! »
Yann Ouvrard, coach sportif chez proxycoach, suit le groupe du RAID depuis plus de dix ans. Il a acquis une précieuse expérience sur le chemin de l’excellence. « J’adapte les séances en fonction de leurs interventions ou des séances précédentes. L’objectif premier étant de les entraîner selon les mouvements fonctionnels du corps et selon les mouvements effectués dans les missions : travail sur la mobilité, le renforcement du CORE (tout le tronc abdominal). »
Dans les faits, cela se traduit par des grimaces, des corps qui puisent dans leurs réserves et le plaisir de se sentir résistant. Dans les faits encore, cela se traduit par un long échauffement, au cours duquel on apprendra que Cyprès* ne peut pas tout exécuter car « il n’a pas d’cou » et que Neflier* s’inquiète de savoir si Gingko* a bien pris ses Oméga-3 ce matin. Puis vient le temps d’une série d’ateliers bien musclés :
— Reproduire l’infini (∞) à l’infini avec deux grandes cordes lourdes comme deux packs de lait non bio.
— Faire des pompes sur le dos en se tenant à des anneaux (kama sutra ?).
— Porter un sac sur son épaule comme un enfant en bas-âge puis, contrairement à l’enfant en bas-âge, le jeter au sol.
— Prendre un ballon de 15 kilos à bout de bras puis le jeter, lui aussi, au sol, puis sauter sur une caisse un poil trop haute.
— Faire des va-et-vient en soulevant des boules de 16 kilos vers le ciel, bras tendus ou bras cassés mais bras tendus, c’est plus classe.
— Faire passer un ballon de basket de 8 kilos (qui rebondit !) entre ses jambes dans un sens puis dans l’autre. Ça paraît fastoche mais ça pique bien les adducteurs. 

C’est un circuit fonctionnel qui, résumé ainsi et avec pas mal de mauvaise foi, ne rend pas hommage à la précision des mouvements qu’il implique. « Les évolutions importantes ont été en premier l’amélioration de leur mobilité. Puis cela a aussi réduit les blessures de dos et d’épaules », se réjouit Yann. Chacun des opérateurs le concède : « On apprend à mieux bouger, à mieux travailler, plus en précision, et cela se ressent autant dans notre pratique quotidienne du sport que lors des interventions. »
Alors que l’enceinte crache une improbable version du Last Christmas de Wham! par Robert Miles (« Ils sont payés pour ça ? / Non, ils devraient même nous donner des sous pour les écouter. »), Yann balance, taquin : « On s’fait un bonus ? » Ben non, penserait-on, sauf que eux, si. Le bonus, c’est du squat et des pompes pratiquées sur des Kettlebell (sympathique boule de fonte allant de 12 à 24 kilos à laquelle est fixée une poignée, en fonte elle aussi). Le tout en alterné, rythme frénétique et sans pause. Puis des frogs, sur les cuisses façon grenouilles, et on se propulse vers l’avant ; c’est chaud la vie des amphibiens. Fin de séance.

Et au menu du jour il y a boxe anglaise et judo. L’enceinte qui la veille faisait de grands écarts jusqu’aux Red Hot Chili Peppers, démarre ici avec Eye of the Tiger, de circonstance. « Dans le groupe, on a des gars qui ont un très bon niveau dans les deux disciplines, surtout en judo, c’est eux qui pilotent les séances. » Ça démarre par la boxe, sous les ordres de Libocèdre*. Passé l’échauffement, rigoureux mais plus court que la veille, les assauts peuvent commencer. Là encore, les exercices sont pensés en fonction de situations possibles en intervention. Par exemple, un type acculé contre le mur et qui doit encaisser les coups portés à tour de rôle par trois autres types qui se relaient toutes les trente secondes. « On peut se retrouver acculé dans une pièce, par un individu que l’on n’avait pas vu et là il faut pouvoir résister et le tenir à distance en attendant le renfort des copains », confie le coach du jour. Les coups sont portés avec respect et attention, mais ils sont portés. Vraiment. Au son, c’est éloquent. « J’ai dit trois passages chacun les mecs, vous écoutez rien ! »
Place au judo. « On ne travaille qu’au sol, debout il y a trop de risques de blessures. En intervention, c’est quasiment que du sol, ça commence par de la boxe mais très vite ça va au sol, il faut pouvoir immobiliser l’individu. Et n’importe qui de la colonne d’assaut peut-être sollicité ! » Au RAID, il faut Servir sans faillir, et cela a le prix de l’effort. « Entraînement difficile, guerre facile », synthétise Oxycèdre*. Fin de séance.

“ Notre travail physique et sportif quotidien nous permet de ne pas subir les événements. De ne pas être dans le rouge pendant l’intervention. ”

Sequoia

Un grand véhicule « équipé pour faire la guerre », précise Gingko, et deux autres véhicules d’appoint conduisent le groupe pour une séance tactique, c’est-à-dire une simulation d’intervention dans un bâtiment désaffecté, qu’ils sécurisent pour assurer une discrétion totale. Le bâtiment étant voué à être détruit, ils peuvent s’y livrer sans retenue. Un des capitaines a préparé un scénario et les opérateurs du RAID vont devoir intervenir, in situ. « On adapte les thèmes à l’actualité, aux dernières interventions. Ici, ils ne connaissent pas la config’ des lieux, on a un fil conducteur sur le mois, pour travailler des thèmes précis, on essaye de changer à chaque fois pour travailler notre adaptabilité. On reçoit aussi le retour des autres antennes, voir où sont les problèmes et trouver des solutions », explique Sequoia.
Oxycèdre construit sa colonne en fonction des besoins, de la spécificité du thème proposé : cordes (accès aux étages, descente en rappel), tirs haute précision, effraction (passer les portes), la technique (utilisation fibre optique, robot, drone) et négociation (avec le forcené, preneur d’otages et autres) sont les différentes spécialités du groupe. Sequoia : « Tous les opérateurs ont les premiers niveaux dans chaque discipline. Ils ont le même tronc commun dispensé à tous les fonctionnaires, c’est seulement quand ils intègrent l’unité qu’ils travaillent plus spécifiquement leur spécialité. » La colonne est constituée, les hommes se sont mis en sécurité (enlever tout ce qui est létal au niveau de l’armement) et ont enfilé leur lourd équipement. Avec le poids de celui-ci, il faut penser son corps différemment. Cette charge est aussi symbolique : « Mettre son uniforme c’est enfiler le code pénal et le code de procédure pénale », expliquait Jean-Michel Fauvergue quand il était, de 2013 à 2017, le chef du RAID.
Pour cette séance tactique, ils vont devoir appréhender deux (faux) terroristes, l’un expérimenté, l’autre jeune converti. L’ensemble du matériel d’armement, sidérant, peut être utilisé, à l’exception de tout ce qui est létal, évidemment. Les balles sont de peinture et servent à signifier les impacts. Le Ramsès, grand bouclier sur trois pans, que l’on bouge sur un chariot à roulettes puisqu’il « pèse un âne mort », est en première ligne. « C’est bon pour vous les gars ? On passe à l’assaut. » Plus d’une heure plus tard, les deux terroristes ont été appréhendés, quelques portes ont cédé, plusieurs balles ont été tirées. Oxycèdre s’assure : « C’est bon les gars ? Pas de blessés ? » Les opérateurs peuvent faire relâche, il est temps de débriefer.
« Notre travail physique et sportif quotidien nous permet de ne pas subir les événements. De ne pas être dans le rouge pendant l’intervention. C’est aussi le rôle des chefs d’équipe de constater l’état de forme des hommes pendant l’intervention, car si tu demandes à un homme, il ne lâchera jamais, c’est au capitaine de gérer les énergies », confie Sequoia. La réalité d’une intervention peut contraindre les opérateurs à attendre plusieurs heures, avec la charge de leur matériel et l’exigence d’une concentration constante. Car quel que soit l’état d’usure ou de fatigue, il faut être prêt à intervenir à chaque seconde, dans des conditions de danger extrême. La force physique est de ce fait indispensable, même salutaire, mais elle ne suffit pas. « Lors des concours d’entrée au RAID, beaucoup sont au point physiquement, mais échouent sur la volonté. Ce n’est pas la performance physique qui prime. Il n’y a aucun intérêt à faire 150 pompes plutôt que 80 si devant une prise d’otage vous faites le mauvais choix. Cette maîtrise physique doit être le socle d’un parfait discernement. » Et sans maîtrise, la puissance n’est rien.

*à la demande du RAID, le nom des officiers et des opérateurs a été changé afin de préserver leur anonymat. Il en va de même pour le traitement photographique.

Le RAID, qu’est ce que c’est ?

C’est l’ex-GIPN. RAID, ce sont quatre initiales pour Recherche Assistance Intervention Dissuasion. Leur slogan est : Servir sans faillir. Aujourd’hui, il y a 10 antennes en France et l’unité centrale est à Bièvres, en banlieue parisienne. Il y a également 3 antennes en Outre-Mer qui, elles, portent encore le nom de GIPN. Le RAID intervient lors de prises d’otages, d’actes terroristes, de forcenés retranchés, d’interpellations à risque, mais aussi en soutien lors de déplacement du Président de la République, du Premier Ministre ou du Ministre de l’intérieur.

L’effectif est généralement composé ainsi : 1 chef antenne (commandant de police), 1 chef adjoint (capitaine de police), 1 autre adjoint (brigadier chef) et 2 chef d’équipes. Eux, ce sont les officiers. Les autres membres du groupe se nomment les opérateurs. Tous sont distingués sur leurs uniformes par les mentions S (pour la ville de l’antenne, ici Strasbourg) et un chiffre qui atteste de leur rang dans la hiérarchie (par exemple : S08). Actuellement à Strasbourg, ils sont 14 hommes au total. 8 d’entre eux, par roulement, sont d’astreintes H/24.

La sélection pour le RAID est longue et redoutable. Il y a d’abord une phase de présélection qui fonctionne comme un écrémage physique. Puis vient le temps de la sélection faite d’épreuves physiques, où capacités d’adaptation et de discernement sont scrutées, pour savoir si en situation de souffrance physique les candidats sont capables de discernement. Il y a aussi des tests psychologiques, exécutés de jour et de nuit où, poussé dans vos retranchements, « vous ne pouvez plus jouer un rôle », dixit Sequoia. Ensuite, c’est la formation, elle aussi éliminatoire. Les élus passent tous les premiers niveaux du tronc commun d’intervention. Chaque échec à un module est éliminatoire. Les rescapés sont ensuite affectés à une antenne, pour six mois en période probatoire, à l’issue de laquelle ils seront validés ou éliminés. L’exigence d’un même niveau, sans discrimination, est requis pour les hommes et les femmes. En cas d’échec, il faut une dérogation pour pouvoir tenter sa chance une 2e fois.


Par Romain Sublon
Photos Pascal Bastien