Lalique en lumière #2

Hors période covid, Lalique recrute chaque année une quinzaine de personnes et trois ou quatre alternants. Sa présence dans les écoles d’apprentissage du verre, comme au lycée Labroise de Sarrebourg, ou ses recrutements, avec Alemploi, de jeunes sans qualification à la recherche d’une voie professionnelle, lui permettent de se constituer un vivier pour pérenniser ses savoir-faire. En interne, l’école Lalique propose un parcours professionnel attractif, qui permet de fidéliser les talents. Mentorés et tutorés par leurs ainés, ils deviendront peut-être de futurs Meilleurs Ouvriers de France (MOF). Lalique en compte sept dans ses rangs, un signe d’excellence rare. Rencontre avec deux d’entre eux : Jean-Claude et Mathieu.

Jean-Claude Hertrich, MOF dans la classe Verrerie Cristallerie (option verre chaud) en 2000.

Jean-Claude Hertrich, 42 ans de carrière, fait partie de cette génération où la passion du verre se transmettait en famille.
« Mon père était souffleur de verre et il était toujours dans son travail, même à la maison. À 9 ans, il m’a emmené en cachette à l’usine et j’ai eu le coup de foudre pour le verre en fusion. C’est ce métier que je voulais faire ! Avec trois de mes frères, qui sont aussi devenus verriers, nous nous entrainions à la maison avec du miel et une aiguille à tricoter pour reproduire les gestes du souffleur. J’ai commencé à 14 ans sur un rythme d’alternance entre école et manufacture. J’ai appris sur le tas, avec les verriers et j’apprends encore tous les jours ! »
Dans ce métier, tout est affaire de transmission. Même si la pénibilité du travail tend à s’alléger, la tâche reste physique et les rares femmes sont cantonnées aux pièces moins lourdes. Les gestes, eux, sont ancestraux, emprunts de grâce tandis que leur succession dessine un ballet, éclairé par le feu.
« C’est une vraie difficulté de remplacer ceux qui vont partir en retraite, car on ne peut mettre un jeune verrier à la place d’un autre qui a 40 ans d’expérience. Atteindre le rang de souffleur de verre ne s’acquiert qu’après de longues années et après avoir exercé tous les autres métiers. »
D’expérience, Jean-Claude
, sait détecter très vite un futur verrier. «Sa façon de regarder le verre, la précision de ses gestes, la persévérance sont des signes infaillibles. Mais c’est la passion qui fait tout », déclare celui qui a remporté en 2000 le concours de MOF dans la classe Verrerie Cristallerie (option verre chaud). «J’avais envie d’aller plus haut dans mon métier, de voir si j’étais capable de décrocher ce titre. Durant un an et demi, je n’ai pensé qu’à mon œuvre, c’était un engagement de tous les jours, week-ends compris. Cela m’a ouvert des portes pour évoluer au sein de la manufacture. Aujourd’hui, je suis technicien process verre chaud. Je travaille avec le Studio Design Lalique pour étudier la faisabilité des nouveaux modèles. J’ai un attachement fort à la marque et à son exigence de qualité. Elle correspond à ma vision de ce métier magnifique. D’une matière liquide, on crée des formes sublimes ! »

Matthieu Muller, 40 ans, a décroché son titre de MOF en 2015, dans la classe Verrerie Cristallerie (option gravure-sculpture).

Matthieu Muller, 40 ans, a décroché son titre de MOF en 2015, dans la classe Verrerie Cristallerie (option gravure-sculpture). Sa spécialité, c’est le verre froid et des pièces de cristal qui peuvent nécessiter jusqu’à 35 étapes. Pour lui aussi, ce métier est une histoire de famille. Son père était tailleur sur cristaux. Après son CAP arts et techniques du verre au lycée artisanal de Bitche, il est embauché chez Lalique en 1998, où il apprend le métier de sculpteur sur cristaux. « Pour exercer ce métier, il faut une bonne vision, une bonne projection en 3D, une gestuelle précise, de la concentration, mais surtout la passion pour cette matière vivante : ça sonne, ça résonne, ça vibre ! » Il a consacré 600 heures à son chef d’œuvre, pour transformer un bloc de cristal de 40 kg en une sculpture de renard de 4 kg.
Au quotidien, il interprète les patrons des designers Lalique. « Il faut être en osmose avec eux, comprendre et respecter leurs critères visuels, l’expression d’un visage, des formes très précises. Chaque pièce est unique et nécessite de choisir les bons outils. »
Sur son établi défilent des pièces d’art, des bijoux, des pieds de tables, des luminaires… Aucun jour ne se ressemble, d’autant que la maison Lalique se renouvelle sans cesse avec deux collections annuelles pour suivre les tendances en matière de formes et de couleurs et aller toujours plus loin pour se démarquer des autres cristalleries. « Il faut a minima 3 ans d’apprentissage pour être au niveau. L’époque où les écoles avaient des contrats avec les manufactures, qui assuraient un recrutement dès la sortie, n’est pas si éloignée. Mais aujourd’hui, on est aussi ouvert à des profils plus variés. Il n’y a pas d’âge ni de profil type pour faire un bon graveur et l’engouement actuel pour les métiers d’art, permet d’être optimiste sur le renouveau de la profession. »


Par Corinne Maix
Photos Christoph De Barry