Vous avez beaucoup milité lors de votre campagne en faveur d’une « université solidaire et inclusive ». Qu’avez-vous pu mettre en place depuis votre arrivée ?
« Inclusive » est une allusion au fait que notre université a un label, celui d’université « d’excellence ». Pour beaucoup de gens, ce terme « d’excellence » a une connotation négative, puisqu’il signifierait qu’il y a quelques « excellents », à qui l’on va donner de l’argent et des moyens au détriment des autres. Et puis, l’excellence est souvent comprise comme concernant la recherche de pointe. Pour moi et mon équipe, l’idée d’inclusivité signifie que l’excellence strasbourgeoise inclut tout le monde. Parmi les universités d’excellence, nous sommes celle qui met le plus d’argent dans la formation et l’enseignement. Il y a bien sûr la recherche de pointe que nous devons soutenir et développer. Mais parlons d’innovation pédagogique : l’argent que nous recevons bénéficie aussi à l’achat d’outils pédagogiques qui permettent l’innovation dans l’enseignement et dans la formation. Et nous avons de plus en plus d’apprentis ou d’alternants : ce sont de nouveaux publics.
Vous faites une différence importante entre les questions de « solidarité » et de « charité ». Pourquoi est-il important de tracer cette ligne ?
Souvent, nous avons une conception charitable de la solidarité : il faut partager parce que c’est « bien ». Alors que la solidarité, c’est d’avoir une conscience aiguë que les intérêts personnels doivent se conjuguer avec les intérêts collectifs. Nous avons 35 facultés, instituts et écoles. Chaque directeur que je rencontre a le souci, très positivement, de son école ou de sa faculté. Mais ils sont membres d’une université, et que ce soit sur les ressources humaines ou sur les finances, la solidarité doit jouer, les partages de moyens être équitables. Il faut donc une gouvernance centrale forte pour arbitrer. Ce n’est pas une sinécure. Parfois on tranche en ne faisant que des mécontents.
Avez-vous pu ouvrir un centre de soins universitaires comme vous aviez prévu de le faire ?
Ce centre était à l’étude, mais la nouvelle loi d’orientation de Mme Vidal va bouleverser un peu la donne. Tout le monde est dans l’expectative et nous attendons les cadres légaux. Quelle que soit l’évolution, je reste à titre personnel favorable à l’ouverture d’un centre. Nous sommes préoccupés par la massification de l’Université et la paupérisation des nouvelles cohortes d’étudiants. Le voyant est au rouge. Psychologues, médecins, le Crous nous alertent sur la précarité de beaucoup d’étudiants. Nous ne pouvons pas rester les bras ballants. Cela concerne, par exemple, l’alimentation, mais aussi les étudiants qui travaillent à notre avis au-delà du raisonnable pour financer leurs études. Et ils sont plus de 35% !
Comment voyez-vous l’Université de Strasbourg dans 10 ans ?
Je souhaite que l’Université de Strasbourg reste au minimum au niveau de formation et de recherche où elle est aujourd’hui, c’est-à-dire une Université de rang mondial, ouverte sur la cité, impliquée dans les débats sociétaux, mais aussi, je l’espère, mieux intégrée encore dans un campus européen. Je souhaite qu’il y ait une vraie citoyenneté étudiante Eucor. J’espère que dans 10 ans l’étudiant de Strasbourg, de Karlsruhe, Bâle, Fribourg ou Mulhouse, aura les mêmes reconnaissances de diplômes, les mêmes enseignants : une grande université du Rhin supérieur où les barrières auront vraiment disparu.
Glossaire
Plan Campus
Lancé en 2008 par Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le gouvernement Fillon, le Plan Campus tend à développer 12 pôles universitaires d’excellence au niveau national et international grâce à des fonds spécifiques. L’Université de Strasbourg est l’un de ces 12 pôles.
Eucor
Eucor (Campus Européen) regroupe cinq universités (l’Université de Bâle, l’Université de Freiburg, l’Université de Haute-Alsace, l’Université de Strasbourg et l’Institut de technologie de Karlsruhe) et 3 pays (France, Allemagne et Suisse). Ce campus européen a pour objectif de partager, et donc de renforcer, les travaux de recherche et les enseignements.
Par Marie Bohner
Photos Henri Vogt