Richard Sauer : le passeur

On dit de lui qu’il est le passeur des valeurs de l’entreprise. Qu’il lui a insufflé, après son père Paul, son esprit. Si Richard Sauer, 71 ans, délègue la majeure partie de ses responsabilités à ses fils, sa marque n’est pas prête de s’effacer.

Richard Sauer, président de l'entreprise KS groupe à Bischheim. Photo : Pascal Bastien

Le BTP  : une vocation  ?

«  Mon père me vantait les mérites du raisonnement, de la logique, en me poussant à me consacrer aux mathématiques. Il m’a sans doute fortement influencé dans mon choix de faire des études d’ingénieur alors même que j’avais des intérêts plus éclectiques. C’est ainsi que je me suis trouvé tout naturellement en math sup à Kléber, puis à l’ENSAIS en 1967 et chez KS  groupe dès ma sortie de l’école en 1971.  »

L’intellect et l’affect

«  C’est un principe que je me suis fixé très jeune, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle  : distinguer la réflexion de la réaction affective. L’affect qui nous fait vibrer, nous émouvoir, nous enthousiasmer, nous passionner, nous apaiser, nous déprimer, nous anéantir est certes le piment de la vie, mais sa composante principale est d’être aléatoire, capricieux, imprévisible. Je m’en suis toujours méfié pour mes choix personnels et plus encore pour définir ma ligne de conduite professionnelle. Qui peut imaginer piloter une entreprise, prendre les décisions majeures engageant son avenir mais aussi celui des collaborateurs sous l’emprise de ce qui serait un patron au-dessus du patron et qui prendrait des décisions imprévisibles à la place de ce dernier  ? Mon choix était fait dès 1971  : je prendrai mes décisions suivant les seules règles du raisonnement, du moins je m’y appliquerai avec fermeté. C’est ainsi que ma première décision a été de me fixer un principe qui était de considérer qu’une équipe fonctionne quand chaque équipier se plaît à son poste, y trouve épanouissement et fierté. Je dois dire que l’expérience issue de longues années de footballeur amateur m’avait confirmé les vertus de cette règle de conduite.

Je m’y suis tenu même si parfois les circonstances auraient pu me pousser à l’oublier. Ce crédo, dans mon esprit, s’applique de la même façon dans mes relations avec les tiers. Je ne pouvais pas m’imaginer avoir une attitude dans mes relations avec nos clients, partenaires ou fournisseurs, n’intégrant que l’intérêt financier immédiat au détriment d’une relation bâtie sur le long terme. J’ai toujours pensé que c’est de cette façon que chacun y trouverait son intérêt. Avec le recul, nos clients, nos partenaires, nos fournisseurs nous le rendent bien. Quelle belle satisfaction.  »

Du gros œuvre aux métiers périphériques

«  Mon père voulait une entreprise de gros œuvre qui soit la plus performante possible, en termes de qualité, de coût de production et de gestion. J’ai souhaité élargir le champ d’intervention à tout l’acte de bâtir. Cela n’a pas été simple. Il a d’abord fallu structurer les fonctionnements, peser les risques et surtout analyser  l’attitude du marché face à une telle offre en cherchant à distinguer entre les habitudes et les véritables aspirations des clients. J’avais en référence ce que certaines grandes entreprises avaient déjà entrepris  ; j’ai regardé ce qui se pratiquait Outre-Rhin  ; j’ai interrogé les assureurs et les banquiers dont j’étais proche, siégeant à divers conseils d’administration. Ma décision était prise, il fallait y aller mais en intégrant les services. Élargir nos compétences devait forcément améliorer notre produit et par ricochet devenir un argument commercial de taille. L’image de la voiture était très présente dans mon esprit  : personne n’imagine passer autant de commandes que de composants et de subir les conséquences des interfaces mal maîtrisées entre les uns et les autres. J’envisage le BTP de la même façon  : un service complet, une garantie complète.  »

Un management à double sens

«  Pour construire une nouvelle vision de l’entreprise, nous avons créé de nouvelles entreprises indépendantes. Il s’agissait d’additionner des unités à taille humaine et de donner leur chance à de jeunes cadres particulièrement compétents et motivés. La holding de tête est animatrice  : elle donne les directions essentielles mais les dirigeants ont toutes les libertés d’une gestion autonome, dans le seul respect des valeurs fondatrices. Par contre, ils profitent de leur intégration au groupe pour y puiser des ressources dans tous les domaines de ce que j’appelle la chaîne des services, à savoir les compétences administratives, comptables, financières, juridiques comme également l’ensemble des savoirs liés aux ressources humaines incluant les aspects de la formation, de l’hygiène, de la sécurité, de la gestion du handicap et des problématiques liées à l’écologie ainsi que le travail sur le bien-être des salariés sur leur lieu de travail. Ce qui est riche dans ce fonctionnement, c’est la confrontation constructive entre les uns et les autres, chacun s’étant libéré grâce au « plateau services », des innombrables contraintes qui n’améliorent en rien le produit. Cela s’applique aussi à la chaîne des métiers  : l’ingénieur met en musique, le technicien met en œuvre, le chef de chantier exécute, mais les trois sont autour de la table dès l’avant-projet et trouvent des solutions ensemble. Cette chaîne qui pousse à l’échange, en plus d’être créative, est très efficace par le fait qu’elle prend effet très en amont et oblige ainsi à anticiper. Outre cet échange vertical, cette structure d’entreprises de second œuvre intégrées permet un échange horizontal entre corps de métier  : le plâtrier, l’électricien, le chauffagiste, etc. … sont également dans la boucle en amont, apportant chacun son savoir-faire.  »

Transmission

«  Aujourd’hui, je me suis dégagé de beaucoup de mes activités  : les ressources humaines, l’opérationnel, les études, etc. Je m’occupe exclusivement de la stratégie générale du groupe et des aspects liés aux développements en cours ou à venir. J’ai même lâché la technique que les jeunes ingénieurs maîtrisent mieux que moi. En fait mon bureau est celui où l’on vient chercher des conseils, proposer une idée, où l’on vient se rassurer ou chercher telle ou telle mise en relation. Il y a une scène d’un film qui m’a beaucoup frappé, je la trouve extraordinaire. Dans Le Cercle des Poètes disparus, le professeur monte sur son bureau en disant que cette position doit permettre de toujours regarder les choses sous un autre angle et de plus haut. Cette phrase je l’ai dite à chacun, elle m’aura suivi toute ma vie  : toujours prendre de la hauteur. Et puis toujours mettre l’humain au centre  : toutes nos réflexions partent de l’humain d’une façon ou d’une autre. Mes fils Jérôme et Edouard se partagent la direction générale chacun dans son secteur et je ne peux que me réjouir de leur remarquable complémentarité. Ils s’appuient sur une équipe de direction dont chaque membre est essentiel. La transmission est faite, sans secousse, dans la continuité. Un bout de route a été fait, le plus long reste à faire.  »


KS groupe en quelques dates

1958   Reprise de la société Ketterer par Paul Sauer
1968   Reprise de la société Sultzer et naissance de Ketterer-Sultzer, spécialisée dans le gros œuvre
1971  Arrivée de Richard Sauer
1984  Départ de Paul Sauer
1997-2017  Création ou reprise de plus de 15 entreprises
2000  Arrivée de Jérôme Sauer
2008  Arrivée d’Édouard Sauer


KS groupe
10, rue de l’Atome à Bischheim
03 88 19 14 44


Portrait : Pascal Bastien