Journées de l’architecture
La 24e édition des Journées de l’architecture, du 4 au 31 octobre, se tiendra dans une trentaine de villes dans la région transfrontalière du Rhin supérieur pour y présenter plus de 150 manifestations en deux langues.
Le Pôle Konzett de Lutzelbourg réunit artisans et entrepreneurs en un lieu animé et ouvert au public. Meubles déconstruits, architecture et menuiserie, atelier de stickers muraux ou verrier, on vous propose un petit aperçu des nombreux espaces à y découvrir.
À l’orée de la forêt où chante une rivière, une ancienne usine d’agrafes devenue Pôle Konzett a été réinvestie par une vingtaine d’artisans et d’entrepreneurs. Le lieu, situé en Moselle à deux pas du Parc naturel des Vosges du Nord, a tapé dans l’œil de plusieurs créateurs strasbourgeois ces dernières années. Si les arguments furent d’abord sonnants et trébuchants – des locaux trois fois moins chers que dans la capitale alsacienne –, l’écrin de nature et la dynamique locale ont fini de convaincre les jeunes entreprises venues y poser leurs valises. Le Pôle Konzett tire son nom du patron autrichien qui avait choisi d’installer son usine dans le village de Lutzelbourg. « Dans les années 1830, il y a eu une savonnerie, puis une manufacture d’allumettes. Et après, une fonderie durant une cinquantaine d’année », raconte Daniel Pazdej, le nouveau maître des lieux. Ce n’est qu’en 1936 que l’usine se convertit en fabrique d’agrafes. L’activité cesse en 2012 et les bâtiments sont progressivement investis en espace de stockage pour les entreprises.
Daniel, qui souhaitait redonner vie au lieu, « retrouver l’âme d’une usine, sentir l’odeur du bois, de la graisse », s’est également donné pour mission de créer des interactions entre les locataires. « C’est important ! Je ne prendrai jamais de concurrent à une activité déjà implantée. » Et encore mieux si c’est complémentaire. « Chacun va piocher dans les savoir-faire de l’autre. » À midi, plusieurs artisans déjeunent ensemble autour d’une table à roulettes bricolée maison. On y cause de la prochaine sortie escalade ou du cours de Pilates qui se tient juste au-dessus des ateliers. L’étage du bâtiment accueille un autre type d’activités : sophrologie, yoga, peinture, salle d’événements… Amateurs d’histoire industrielle, chineurs de meubles déconstruits, amoureux de belles matières, il y en a pour tous les goûts au Pôle Konzett.
02.06 / 10 h – 17 h
Prochaines portes-ouvertes
(jour du vide-grenier annuel à Lutzelbourg)
11, rue Konzett à Lutzelbourg
Facebook : POLEKONZETT
S’Glàs
Ado, elle se rêvait mosaïste ou vitrailliste. Maya Thomas a pourtant débuté sa carrière dans la logistique du côté de l’humanitaire. Des années et un changement de cap plus tard, la voilà dans son atelier, entourée de bouteilles de vin d’Alsace. Non, elle n’est pas devenue vigneronne mais artisane vitrailliste. Et les bouteilles ? Elles sont le point de départ et la matière première de ses créations. Une manière de valoriser cet objet (qui n’est pas consigné) et son identité alsacienne. Celle qui se présente comme mi-bretonne, mi-canadienne, précise qu’elle a grandi en Afrique avant de venir s’installer avec ses parents en Alsace. Cette terre d’accueil, elle la revendique dans le nom donné à sa marque. Puisque « S’gelt », expression que l’on lance en trinquant, était déjà pris, ce sera finalement « S’glàs », qui signifie « verre » en alsacien.
Si Maya a commencé son activité en récupérant des bouteilles de vin d’Alsace chez les restaurateurs, ce sont maintenant les vignerons qui lui fournissent directement des palettes. Ses verres ont la couleur des arrivages de bouteilles : vert, la plus classique, jaune « feuille morte », brun, blanc et, plus rarement, bleu. Côté format, elle produit des verres à eau et des carafes avec les bouteilles de 75 cl, des bocaux avec les bouteilles de crémant, et depuis peu, des tasses à café à base de bouteilles de bière de 33 cl fournies par des particuliers. Vertueuse, la créatrice donne une nouvelle vie à ces objets échappés de la benne et porte une attention écologique à la production : « L’eau nécessaire au travail du verre est filtrée puis réutilisée, les cols en aluminium, bouchons et étiquettes rejoignent, eux, leurs circuits respectifs de recyclage. » Dans la bouteille, tout est bon : le bas est transformé en verres tandis que le haut est décourbé et devient la matière première à de futurs vitraux.
Restaurateurs, hôteliers, mais aussi entreprises la sollicitent régulièrement pour des verres personnalisés, gravés de leur logo. Si c’est la partie art de la table qui fait vivre Maya, c’est la création de vitraux qui la fait vibrer. Son projet en cours ? une cloison pour un hôtel à Colmar. L’atelier de métal voisin conçoit la structure et elle travaille le vitrail. Les collaborations avec les autres résidents du Pôle Konzett sont nombreuses : avec Lafon atelier, elle réfléchit à des aménagements verre et bois, avec l’Atelier des curieux, elle a réalisé des luminaires à base de récup’ et produit des boutons de tiroirs pour les meubles rénovés. Enfin et pas des moindres, le robot qui coupe les bouteilles au format des verres à boissons a été conçu sur mesure par Renaud Uhl, ingénieur et gérant de E-Glue, fabricant de stickers à l’autre bout du bâtiment. Prochainement, Maya se lancera, avec les offices du tourisme de la région, dans la création d’une série de verres sablés sur mesure à l’image des paysages d’Alsace et de Lorraine. Vous avez dit local ?
https://www.sglas.fr/
Où trouver S’Glàs à Strasbourg ?
Curieux 6a, quai Kellermann
Berthel 36, rue des Juifs
Le Bazar de Suzanne et Émile 115, route du Polygone
Lafon atelier
Avec leur atelier d’architecture et de menuiserie installé depuis 2023 au Pôle Konzett, Marie Schwartz et Antoine Lafon partagent ce projet professionnel et leur vie privée. Ils viennent de quitter Strasbourg pour vivre à Saverne et apprécient autant la ville qu’être « aux pieds des arbres ». Comme pour appuyer ces dires, la vue de leur atelier donne sur la forêt et sur des pins, qui font échos aux caissons et étagères en cours de fabrication dans la partie menuiserie. « On sent l’influence du Parc des Vosges du Nord, affirme Marie. Il y a de bonnes dynamiques locales », complète Antoine. Une baie vitrée sépare et rassemble la partie bureau de l’atelier de menuiserie. Chacun garde ainsi un œil sur l’autre moitié du binôme et quand ils expliquent leur projet, l’un finit les phrases de l’autre.
Une belle complicité qui ne date pas d’hier, puisque les deux se sont connus sur les bancs de l’école d’architecture de Strasbourg, en 2010. Son diplôme en poche, Antoine poursuit ses études chez les Compagnons du devoir en menuiserie avant de s’envoler, avec Marie, pour le Québec. Là, il travaille comme charpentier-menuisier tandis qu’elle rejoint un grand cabinet d’architecture. Après trois ans sur place, ils reviennent avec l’envie de produire à petite échelle et la notion de « design-build » anglo-saxonne dans la tête, soit l’ambition de proposer à la fois conception et fabrication. Lafon atelier nait douze ans après leur rencontre.
Pour produire de beaux espaces, fonctionnels et contemporains avec des matériaux de qualité et principalement locaux, ils privilégient le bois, venu d’Alsace, de Lorraine, ou encore d’Allemagne, et travaillent avec les « métaleux » voisins pour les petits éléments. Ils sont « les petits derniers arrivés ici » mais les synergies avec les autres artisans du Pôle Konzett n’ont pas tardé à se développer. Avec Fabien de l’Atelier des curieux, la brocante à deux pas de leur local, ils aimeraient remettre au goût de l’époque des plaques de marbre récupérées sur des meubles anciens.
Des projets qui les ont particulièrement animés ? L’agencement sur mesure tout en bois de pin qu’ils sont en train de finir pour le salon d’un appartement en rénovation. Et la création de mobilier pour une nouvelle librairie à Saverne, à base de meubles chinés par l’Atelier des curieux. Une manière de participer à la vie locale. Pour le couple qui aime par-dessus tout le côté concret, voir se réaliser dans l’atelier les dessins conçus en amont, la prochaine étape sera l’ouverture l’été prochain d’un showroom à côté de leur atelier.
Atelier des curieux
Tous les chemins mènent à l’Atelier des curieux. Il y a d’abord celui qui amène le public, nombreux, jusqu’aux portes de cette brocante située au milieu du bâtiment, chaque dimanche, et, depuis peu, durant la semaine aussi. Ses portes s’ouvrent en grand sur une riche mise en scène de meubles chinés ; vaisselles et bibelots en tout genre incitent à la flânerie. On y croise des créations d’artisans voisins, comme les verres de S’Glàs et bientôt du mobilier de Lafon atelier. Après une matinée passée dans le lieu, force est de constater que tous les résidents collaborent d’une façon ou d’une autre avec cette brocante augmentée ! « On était les premiers arrivés ici et on souhaite valoriser les entreprises du lieu, souligne Fabien Troussieux. Notre rôle, c’est d’essayer de créer des ponts. »
Fabien aime les matériaux, le bois, le métal, et est persuadé que les vieux marbres ont un avenir dans nos intérieurs. Avec L’Atelier des curieux, il promet de sauver de l’oubli des meubles sur lesquels les regards ne se posaient plus. « On propose aussi de l’aménagement d’espace et du mobilier sur mesure à partir de mobilier déconstruit. » Déconstruit ? L’entrepreneur précise : « Lorsqu’un meuble ne peut pas être vendu en l’état, ou on fait un don à une association ou on décide de le revaloriser. » D’un buffet à double corps esquinté, la fine équipe fait trois meubles design : une enfilade, un meuble télé et un secrétaire ! Le bois est décapé par aérogommage par Léo Largorceix, le plus jeune des trois associés, dans la partie de l’atelier jouxtant la boutique. Les éléments sont séparés et recomposés avec des structures de métal conçues par la métallerie d’à côté. En bonne entente avec les voisins, des chutes de stickers de l’entreprise E-Glue permettent d’ajouter des touches de couleurs sur une partie du meuble, et bientôt des boutons de porte en verre fabriqués par l’artisane de S’Glàs agrémenteront ces créations.
Vertueux, le projet est né d’un constat : celui de Bruno Lagorceix, l’associé de Fabien, qui travaillait dans le vidage de maisons et ne se voyait pas jeter des meubles et objets en bon état. Il avait déjà un petit espace de stockage dans cette ancienne usine et y déposait certaines pièces rescapées. Les deux hommes, qui partageaient un intérêt pour le réemploi, se lancent dans l’aventure en 2020. Au commencement sous forme de boutique en ligne, puis dans ces lieux à partir de 2021. Les lundis et mardis, c’est jour de collecte. « Haut-Rhin, Bas-Rhin, Moselle… J’essaye de rester dans un rayon de 200 km autour de l’atelier. C’est important qu’il y ait une cohérence, on essaye de garder le contact avec nos clients, de rester à proximité », explique Fabien. Meubles en bois, en formica, vaisselle de Sarreguemines, pichets de Betschdorf, objets curieux pour collectionneurs ou nostalgiques, le visiteur a l’embarras du choix et, en prime, les prix sont abordables. « Des habitués viennent tous les dimanches matin. Souvent le parking est plein et les gens font la queue à la caisse », se réjouit Fabien. Il nous glisse que c’est bien plus calme en semaine… On prend note !
E-Glue
E-Glue, c’est l’atelier qui va faire rêver les enfants et leurs parents. Les stickers muraux pour décorer les murs, on connait. Mais les stickers format XXL, vraiment géants, c’est plus rare et c’est la spécialité de la marque alsacienne E-Glue, fondée en 2006 par un couple de designers, Marielle Baldelli et Sébastien Messerschmidt, tous deux anciens élèves des Arts décoratifs. À la disparition de Sébastien, en 2021, l’activité est suspendue un temps avant de repartir avec un nouveau binôme, le directeur artistique Emmanuel Somot et l’ingénieur et consultant en innovation Renaud Uhl, jusqu’à l’installation de l’atelier au Pôle Konzett l’année dernière.
À travers la baie vitrée de l’atelier, on aperçoit des rouleaux colorés et une grande table sur laquelle Renaud est en train de décoller des fragments d’adhésifs avec une sorte de scalpel. Le sticker ressemble encore à une grande plaque plastifiée bleue. Peu à peu le geste de l’artisan fait naître le motif… un joyeux singe qui égayera la chambre d’un bambin. « J’échenille », précise notre hôte. L’opération consiste à retirer la matière superflue pour faire apparaître le visuel. Au préalable, la forme a été découpée par un laser dans un pan de vinyle autocollant teinté dans la masse. « Cela leur donne une grande longévité aux UV, précise Renaud. Il y a 42 coloris disponibles et comme tout se fait sur commande, il est possible de composer 1 600 combinaisons de couleur. » Les stickers sont bicolores, tous réalisés à la demande et livrés avec un kit de pose. 80 % de la production part aux États-Unis, où la marque a percé grâce à une série télé.
Le modèle le plus grand fait 1,90 m de haut et présentement, la tendance est aux dinosaures. Si c’est votre truc, ou plutôt celui de votre bambin, il y a l’embarras du choix ! Mais E-Glue fait aussi la part belle aux voitures, robots, pirates, animaux en tout genre. Leurs créations se sont fait une place dans des chambres d’enfants, mais aussi sur les murs de crèches, de cabinet de pédiatrie ou encore d’hôpitaux comme à Roubaix. L’entreprise propose un service d’aménagement d’espace pour les professionnels. Leur ligne conductrice ? « Développer l’imaginaire des enfants tout en proposant des dessins pas trop clichés. Les lignes sont épurées. » Le prochain modèle qui va faire fureur selon Renaud : un grand van aménagé avec ses trois lapins à bord. Une invitation au voyage et à la rêverie. L’atelier peut produire entre six à huit stickers par jour et songe à s’agrandir. « Il y a des chances que la suite soit sur textile », annonce Renaud. À suivre !
Par Fanny Laemmel
Photos Pascal Bastien