L'instant thé

Nikosan, artiste protéiforme strasbourgeois, tire son inspiration de l’univers du thé. Une passion qu’il a érigée en véritable art de vivre en la traduisant au quotidien par un amour des choses simples et imparfaites, hérité de la philosophie wabi-sabi.

Dans la maison de Nicolas Dupuis, alias Nikosan, artiste strasbourgeois passionné par l’univers du thé, on s’attendait à trouver dans un coin du salon une collection de théières soigneusement disposées sur une étagère minimaliste. Il faut dire qu’il en possède pas moins d’une vingtaine : en argile, émaillées ou non, mouchetées, tachetées, chinées sur Internet ou auprès de potiers locaux, de facture industrielle, raretés du xixe, créations contemporaines… Mais comme n’importe quelle vaisselle du quotidien, ses théières sont rangées dans un placard en bois, à côté de sa collection de tasses. « Je me suis même débarrassé de certaines pièces, car je n’aime pas que les choses ne soient pas utilisées », justifie-t-il simplement.

Méditation à infuser

Depuis une vingtaine d’années, Nikosan explore et déguste le thé, comme certains dégusteraient du vin. « Pour moi qui ne suis pas un grand voyageur, le thé est une manière de m’évader. » C’est aussi une esthétique qui inspire son art, qu’il soit plastique, illustratif ou photographique. Il pourrait en parler des heures, détailler les terroirs, les variétés, les différentes formes de feuilles, leur vieillissement, les temps d’infusion, la symbiose entre un thé et une théière ou l’osmose qui peut se faire avec la terre. Mais plutôt que des mots et des techniques, ce qu’il préfère partager, c’est la dégustation en elle-même : plonger avec ses hôtes dans une ambiance particulière. Car lorsque Nikosan prépare un thé, ce n’est pas une affaire de quelques minutes, c’est tout un rituel, influencé par le wabi-sabi*, cet art de vivre japonais. « Le wabi évoque quelque chose de simple, de brut, la nature, mais aussi une certaine mélancolie, tandis que le sabi permet d’apprécier le temps qui passe », essaye-t-il de simplifier. Un exemple pour l’illustrer : tandis qu’en Europe, on astique avec ardeur la ménagère de grand-mère pour lui rendre son lustre d’antan, au Japon, on apprécie au contraire la patine du temps et l’histoire qu’elle raconte.

Nicolas Dupuis s’inspire des sceaux (hanko) japonais, traditionnellement utilisés pour la signature, pour créer ses tampons aux motifs originaux.
Nicolas Dupuis s’inspire des sceaux (hanko) japonais, traditionnellement utilisés pour la signature, pour créer ses tampons aux motifs originaux.

Un moment à soi

Même s’il s’est rendu sur l’archipel japonais il y a une dizaine d’années, Nicolas Dupuis ne pratique pas le chanoyu, la cérémonie de thé traditionnelle nippone, très codifiée. « Moi ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir me réapproprier cette culture et m’en inspirer. » Selon son humeur, la météo, la saison, il sort donc sa « dinette » comme il l’appelle, une théière, une tasse, un bâton de bois pour remuer les feuilles de thé Sencha, Hojicha, ou encore Genmaicha, un carré de tissu pour tout disposer et il prend le temps de préparer son élixir. Attendre que l’eau chauffe, doucement, puis la verser sur le thé, voir la boisson se colorer ; un assemblage de petits détails qui permet d’apprécier pleinement ce fragment de temps qu’on a décidé de s’accorder.

Parmi la collection de théières et verseuses de Nikosan, on trouve des créations signées par David Louveau, céramiste d’art installé en Suède.
Parmi la collection de théières et verseuses de Nikosan, on trouve des créations signées par David Louveau, céramiste d’art installé en Suède.

Le wabi-sabi

Issu du bouddhisme japonais, le wabi-sabi est un concept esthétique et spirituel qui célèbre l’imperfection des choses. Cet art de vivre dans la simplicité apparaît au XIVe siècle, en opposition aux cérémonies du thé traditionnelles, devenues l’occasion pour l’élite de pavoiser grâce à leur vaisselle chinoise raffinée. À l’inverse de ce faste, le moine zen Murata Shuko choisit de servir son thé dans des ustensiles artisanaux locaux, jugés grossiers et dotés de défauts. Une approche reprise deux siècles plus tard par le maître de thé Sen No Rikyû, qui développe le concept de wabi-sabi et prône un retour au naturel et à la spontanéité.


@nikosan


Par Tatiana Geiselmann
Photos par Nikosan