Panorama de l’image populaire

Au XIXe siècle, c’est sous forme d’images peintes à la main que les souvenirs étaient conservés, des archives précieusement gardées au Musée de l’Image populaire de Pfaffenhoffen. Visite guidée en compagnie de Carole Michel-Merckling, sa directrice passionnée. 

musée de l'image populaire Pfaffenhoffen
Souhait de baptême, technique du canivet

« Dans notre musée, il n’y a rien de sexy. Enfin ça, il ne faut pas le mettre dans l’article, hein. » Oups, finalement, je l’ai mis, mais c’est pour mieux démentir les propos de Carole Michel-Merckling, la directrice dudit musée. Alors oui, quand j’ai franchi le seuil du Musée de l’Image populaire de Pfaffenhoffen, je n’ai pas poussé d’immenses cris d’émerveillement. Face à moi, des rangées de tableaux, pas plus grands qu’une feuille A4, accrochés sur des panneaux de bois sombre. Malgré l’escalier vitré qui mène aux deux étages supérieurs, le bâtiment n’est pas très lumineux. « C’est pour des raisons de conservation, explique la maîtresse des lieux, tout est contrôlé, la température ne doit pas dépasser les 21 °C, le taux d’humidité doit être maintenu à 50 % et la luminosité ne doit pas excéder 50 lux. » Un cahier des charges très exigeant lié à la nature des oeuvres exposées : de simples feuilles de papier découpées, parfois rehaussées de touches d’aquarelle ; un support modeste, bien moins résistant aux affres du temps qu’une toile de peintre. Mais c’est bien là que réside le charme du lieu : les pièces présentées ici n’étaient pas destinées à finir dans un musée. Si elles s’y trouvent aujourd’hui, c’est grâce à la passion d’un homme : François Lotz, ancien notaire de Pfaffenhoffen, qui a commencé à collectionner ces images dès son installation dans la commune dans les années 60. Alors que nombre de familles considéraient ces souvenirs comme des vieilleries inutiles, lui y a vu un témoin de la culture régionale qu’il était important de préserver. 

Dentelles de papier

Avant de poursuivre notre visite et pour mieux comprendre le cheminement de ces oeuvres, une définition s’impose : celle de l’image populaire. « Pour qu’une image soit qualifiée d’image populaire, elle doit remplir deux conditions : d’une part, il faut que ce soit une personne de la classe populaire qui en fasse la commande et d’autre part, il faut qu’elle soit offerte à quelqu’un de la classe populaire. » Une pratique qui a vu son essor au XIXe siècle, où on avait coutume, dans les milieux ruraux, d’offrir ce genre d’images pour marquer les moments forts de la vie d’antan : le baptême, le mariage, la conscription et la mort. Une sorte de dessin-souvenir, « là où aujourd’hui on prendrait une photo ». Et (déjà) à l’époque, la classe populaire n’avait pas toujours les moyens de faire appel à des professionnels. « Parfois ces images étaient faites par le cousin, le curé ou le charron du village, qui savait un peu peindre. C’est pour ça qu’on retrouve un côté très naïf sur certaines créations », précise Carole Michel-Merckling en m’entrainant devant un tableau qui, de loin, rappelle ces dentelles de papier blanc sur lesquelles reposaient les pâtisseries. « C’est un canivet, m’éclaire en souriant la spécialiste de culture alsacienne. Un carré de papier que l’on va plier jusqu’à obtenir un petit triangle, dans lequel on va découper des motifs qui vont se répéter partout une fois qu’on aura redéplié le papier. » Et comme les choses sont bien faites, j’aperçois, dans la vitrine postée juste en-dessous, l’instrument utilisé à l’époque pour réaliser ces découpages : le canif (qui a donné son nom au canivet), sorte de manche en bois surmonté d’une lame métallique, un scalpel version XIXe. Pour le papier, on prenait ce qu’on avait sous la main.

musée de l'image populaire Pfaffenhoffen
Souvenir de mariage.

Le langage des fleurs
« Je trouve impressionnant de voir le détail et l’application qu’on mettait dans ces réalisations, ça prenait des heures à faire », glisse Carole Michel-Merckling, qui sait transmettre l’émotion que lui procurent ces dentelles de papier. En l’occurrence, nous sommes devant un souhait de baptême. « Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle, les parrains et marraines avaient un rôle très important: c’est eux qui devaient s’occuper de leur filleul en cas de décès des parents. Dès la naissance, ils offraient déjà une pièce à l’enfant, pour le mettre à l’abri financièrement. Et c’est pour envelopper cette pièce qu’ils commandaient ces canivets. » Une sorte de papier cadeau personnalisé, sur lequel étaient inscrits le nom du parrain/de la marraine, celui de l’enfant et sa date de naissance. « Puis on a commencé à ajouter des décorations florales. À l’époque, tout le monde ne savait pas forcément lire, donc la symbolique des fleurs permettait de faire passer le message. » Pour illustrer ses propos, la maîtresse des lieux me conduit face à un autre tableau, là encore un souhait de baptême, mais cette fois très coloré, semblable aux anciennes bibles enluminées avec ses arabesques, ses fleurs et ses couleurs franches (du rouge, du jaune, du rose, du vert et du bleu).

« Pour dire à la personne qu’on pense à elle, on dessinait une fleur de pensée, la rose symbolise l’amour, le myosotis, “vergiss mich nicht” en allemand, veut dire “ je ne t’oublie pas”. » Des motifs floraux que l’on retrouve également sur le tableau juste derrière nous, un souvenir de mariage, lui aussi très gai, avec son explosion de couleurs et son écriture stylisée. « Ce ne sont que des fleurs qui poussent dans nos prairies et nos forêts, souligne la directrice, car ces canivets et ces souvenirs de mariage sont des traditions locales, qui existaient surtout sur la partie nord de l’Alsace. Dès que l’on sort de la région, c’est quelque chose de très peu connu. »

musée de l'image populaire Pfaffenhoffen
Couronne mortuaire en cheveux © Christoph de Barry

L’or et le noir
Étant originaire de Pfaffenhoffen, et même si elle n’a que 40 ans, Carole Michel-Merckling a grandi avec ces images au charme désuet, qui étaient parfois encore accrochées aux pans de mur d’anciens corps de ferme ou d’anciennes auberges. « Ce qui fait la particularité de notre musée, c’est que ce sont vraiment les souvenirs personnels des gens qui sont exposés ici, c’est un peu comme si on entrait dans leur vie. » Et dans leur mort aussi, car au premier étage, la passionnée attire mon attention sur un églomisé. « C’est une technique qui date du XVIIe siècle et qui consiste à appliquer de la gomme arabique puis de la suie sur une plaque de verre. Ensuite on vient gratter, sur l’envers, les motifs et les lettres que l’on veut voir apparaître et on les recouvre de feuilles d’or. » Le rendu est impressionnant : une écriture gothique extrêmement appliquée qui ressort en transparence sur fond noir. « Les souvenirs de baptême étaient pliés puis rangés au fond des armoires ou glissés dans les bibles, les souvenirs de mariage étaient accrochés au-dessus du lit conjugal, mais les souvenirs de décès, eux, étaient suspendus dans les couloirs des maisons. On passait tous les jours devant, ce qui permettait de se rappeler du défunt », détaille ma guide, qui me montre ensuite une autre oeuvre, elle aussi réalisée en hommage à une personne décédée, une certaine Sophie, comme me l’indique l’inscription centrale. « Celle-ci me donne la chair de poule, je la trouve tellement émouvante », souffle-t-elle. En m’approchant, je comprends que la grande couronne de fleurs tressée en relief qui entoure l’inscription est faite de cheveux ! « Le cheveu est le seul organe qui ne pourrit pas et qui peut être conservé après la mort. Donc en 1890, quand Sophie est décédée, sa famille a récupéré ses cheveux pour en faire une magnifique couronne de fleurs. »

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Peinture sur verre, fin du XVIe siècle © Christoph de Barry

Se prendre pour Monet
Pour la dernière étape de ma visite, la directrice me présente des tableaux de saints et des images plus contemporaines, réalisées grâce à la technique de la peinture sur verre. C’est la troisième technique (avec le canivet et l’églomisé) qu’utilisaient les imagiers-peintres du XIXe siècle pour réaliser les commandes qu’on leur passait. Là encore, on retrouve ce côté naïf, presque candide qui caractérisait les canivets du début du parcours. « C’est le principe de l’image populaire, ce sont des choses que l’on serait presque capable de faire nous-mêmes, confirme Carole Michel- Merckling. Ici, c’est le musée de tout le monde, on n’a pas besoin d’être un grand artiste, un Matisse ou un Monet pour être exposé, on pourrait tous y avoir notre place. » C’est d’ailleurs le message que cette quadragénaire pleine d’énergie souhaite faire passer aux nombreux groupes scolaires qu’elle accueille dans son écrin tamisé. Leur prouver qu’eux aussi sont capables de peindre, de dessiner, de créer de petites oeuvres d’art. Plutôt que de leur faire un historique des pièces de son musée, elle leur prépare donc des ateliers. En écho aux couronnes de fleurs colorées peintes sur les souvenirs de mariage, les petits partent dans les champs collecter pâquerettes, myosotis et pensées, qui leur serviront à réaliser des couronnes de fleurs coupées. Plutôt que d’emballer une pièce de baptême dans un canivet découpé, ce sera un papier cadeau fait main pour empaqueter le pain d’épices du goûter. Carole Michel-Merckling déborde d’idées et son enthousiasme est contagieux. En repartant de Pfaffenhoffen, je me dis que moi aussi je vais ressortir mes feuilles et mes pinceaux, pour faire, pourquoi pas, des cartes personnalisées. Qui sait, peut-être qu’un jour elles aussi seront affichées sur les panneaux de bois sombre d’un musée, bien plus sexy qu’il n’y paraît. 


Musée de l’Image populaire de Pfaffenhoffen
24, rue du Docteur-Albert-Schweitzer à Val-de-Moder
03 88 07 80 05
Ouvert mercredi et dimanche de 
14 h à 17 h (18h en période estivale)


Par Tatiana Geiselmann
Photos Christoph de Barry