Trop beau pour y cloître

En cette perle gothique du XIVe siècle, la ville de Saverne accueille six artistes en résidence. Un tour s’impose pour découvrir la démarche, parfois farfelue, toujours inventive, des artistes qui travaillent au cloître des Récollets. Ils participent aux Ateliers Ouverts, les 17, 18, 14 et 15 mai ! 

Furtif, le spectacle son et lumière de Julien Voarick du 1er aout au 7 septembre
Furtif, le spectacle son et lumière de Julien Voarick du 1er aout au 7 septembre

Ce cloître est censé être l’un des plus beaux d’Alsace, mais nul besoin de concourir à un quelconque prix patrimonial : son charme subjugue. Couvent, école, lieu commercial ou d’accueil de troupes de passage, il est devenu lieu de résidence pour six artistes aux talents bigarrés. Les créatrices et créateurs ont un mandat de deux ans, renouvelable, à loyer riquiqui. Grâce à sa vision transversale, Denis Woelffel, directeur des Affaires culturelles, converse régulièrement avec les résidentes et résidents qui travaillent d’ailleurs actuellement et collégialement sur un projet plastique d’alpaga bleu XXL à l’occasion du festival éponyme. Compte tenu des énergumènes, on s’attend au meilleur…

Émilie Picard : avec le temps

Nous toquons chez Émilie qui nous reçoit les mains peinturlurées. Ancienne du Bastion XIV et des Ateliers bois de le Ville de Strasbourg, elle apprécie particulièrement son nouveau cadre de travail, pour sa luminosité, la dimension de son espace et l’esprit (saint) qui souffle ici, faisant écho à sa pratique picturale. Sous les arcs du cloître, en effet, les peintures murales religieuses – avec chimères, squelettes et sirènes – semblent dialoguer avec ses propres toiles. « Souvent, je reprends des motifs, des citations de fresques abîmées par le temps. Lorsque j’ai découvert ce lieu, je me suis dit qu’il me tendait les bras ! » Ses très grands formats interrogent le fragment, ce qui se délite, « la conjuration du vide », dit Émilie, se référant « aux restaurations spéculatives en art », « à la manière dont les images se font et se défont ». Elle introduit volontairement des « lacunes », des lignes blanches (laissées en réserve sur la toile) qui sont autant de craquelures. Au premier regard, on pense observer de doux paysages floraux pastel, même si : ses modèles sont des bouquets de fleurs artificielles qu’on trouve dans des cimetières, ses couleurs sont « sales », voire « agressives », et son travail tout en trompe-l’oeil traite de destruction, d’obsolescence, de désintégration.

Julien Voarick : bien dans son assiette

Alors que ses collègues profitent pleinement de la lumière offerte par les ateliers du cloître, Julien a obstrué les fenêtres. Il travaille essentiellement sur des dispositifs multimédias dans un espace (avec coquette kitchenette) qu’il a entièrement aménagé et fabriqué « de toutes pièces, avec des matériaux de récupération, planches déclouées ou portes orphelines ». Ce maître ébéniste, cuisinier, taxidermiste, menuisier du futur et programmateur/codeur émérite, travaille actuellement sur une nouvelle édition de ses dîners Opus (du 5 décembre au 23 décembre, lieu prochainement divulgué). Il s’agit de repas immersifs avec projection d’univers vidéo, plats en plusieurs actes et mapping sur table. Ambiance cosmique lorsque les météorites de chèvre sont servies et atmosphère exotique au moment des sablés mangue-passion. Il ne faudra pas s’étonner de trouver des gambas à ailes de papillons voleter dans son assiette… Cet hyperactif revendiqué qui a organisé un son et lumière dans le cloître l’été dernier (et réitéré cette année !), finalise sa « curieuse exposition » MECANIMA qui mêle rêveries mécaniques, poésie théâtrale et furtives illusions.


MECANIMA 
Du 17 mai au 1er juin au cloïtre des Récollets 
Furtif, son et lumière
Du 9 août au 7 septembre au cloître des Récollets 

Pierre Mallo : le vrai du faux

Ex-tourneur-fraiseur, à la fin des années 80, Pierre travaille dans le décor de théâtre : Opéra national du Rhin, TnS… Il se souvient notamment de la réalisation d’un immense Canaletto de 17 mètres. Un défi pas si difficile pour celui qui s’est formé aux Beaux-Arts de Mulhouse : « J’avais le bagage pour une belle carrière de restaurateur d’oeuvres », dit celui qui oeuvra durant une trentaine d’années dans la réalisation de trompe-l’oeil : le célèbre ciel nuageux du plafond de la Bourse à Strasbourg, des têtes de lit d’hôtels, des piscines ou une (fausse) bibliothèque idéale, d’Homère à Bob Dylan. Facétieux, il s’amuse parfois à glisser des clins d’oeil dans ses réalisations… Actuellement, Pierre travaille avec des jeunes d’un centre éducatif fermé sur une fresque… dans une des salles du tribunal de Saverne. « Ces projets de vivre ensemble me permettent de sortir de ma zone de confort » affirme Pierre qui ne cesse d’observer « tout ce qui nous entoure » : la nature (humaine) en premier lieu.

pierre-mallo-saverne.com


Les artistes du cloître des Récollets participent aux ateliers ouverts
17-18 & 24-25 mai 2025 (14h à 19h)


Par Emmanuel Dosda
Photo Paulo Viana