Zut, v’la Dosda !
chez Stéphane Sauzedde, directeur de la HEAR

En compagnie de mon compagnon photographe, à l’heure du thé sencha, je me suis invité chez Stéphane Sauzedde pour étudier l’intérieur – temporaire, mais chargé de souvenirs – du nouveau directeur de la HEAR. On en profitera, accessoirement, pour évoquer le projet pédagogique de ce « diplomate jardinier », même s’il n’a pour l’heure que « trois plantes vertes » chez lui… 

Stéphane Sauzedde, directeur de la HEAR. © Christophe Urbain
Stéphane Sauzedde, directeur de la HEAR. Photo : Christophe Urbain

Mauvais départ !

À peine arrivés dans le petit mais coquet studio de Stéphane Sauzedde, j’arrache le porte-manteau à l’entrée. Mon lourd pardessus en laine a eu raison du système d’attache, laissant des trous béants dans un poudreux nuage de plâtre blanc. Le nouveau directeur de la Haute École des arts du Rhin (HEAR), ancien DG de l’ESAAA – École supérieure d’art Annecy Alpes, ne semble pas offusqué : il nous propose une boisson chaude et nous installe dans de moelleux fauteuils rapatriés de Grenoble en son « pied-à-terre strasbourgeois ». Les sièges suédois sont des copies conformes de ceux du Centre éducatif des Marquisats construit en 1963 par André Wogenscky, bras droit du Corbusier. La MJC aux allures de Cité radieuse deviendra l’école d’art d’Annecy où officia Stéphane avant de se trouver en « la modestie des m2 de [s]on appartement ».

Irriguer l’école

Il jette un œil pensif par la fenêtre. « L’eau était omniprésente à la Krutenau : il y avait beaucoup de canaux qui menaient au Rhin. Je propose d’ailleurs d’insister sur la HEAR en tant que Haute École des arts du fleuve » avec tout l’imaginaire que cela peut charrier. « À la Manufacture des tabacs, où nous allons installer une partie de l’école, nous partagerons les lieux avec l’ENGEES, une école d’ingénieurs dédiée à l’eau et à l’environnement, des thématiques essentielles aujourd’hui et que nous pourrons aborder ensemble. » Stéphane Sauzedde songe à la création d’ateliers de création flottants sur le Rhin… Le directeur ne nous mène pas en bateau lorsqu’il affirme avoir pour projet de se procurer une embarcation qui puisse, « comme dans Les Furtifs de Damasio, devenir espace de travail mais aussi un lieu onirique et mental. » Il rêve déjà de jeter une barque dans l’Ill, à proximité de chez lui et de l’école, pour organiser des convois entre Strasbourg et le site mulhousien de la HEAR, « le plus expérimental ». « We are water ! Nos corps sont constitués à 80 % d’eau », aime à rappeler celui qui se sent très proche de la nature et sensible aux questions écologiques, à la « surchauffe climatique » actuelle. Cette dernière est notamment responsable de l’« Effondrement des Alpes », titre de l’exposition qu’il a commissionnée en 2021 au macLYON, transformé pour l’occasion en « camp de base » par les artistes participants qui savent pertinemment, qu’hélas, les montagnes vont inexorablement se détériorer, mais que « des gestes, des formes, des mots apparaissent pour nous aider à vivre, à mourir, (se) décentrer et célébrer – la puissance de ce que nous appelons communément art est intacte », écrit Stéphane Sauzedde dans le catalogue, son manifeste.

Revue Eclat de la section Illustration de la HEAR. © Christophe Urbain
Le troisième numéro d'Éclat conçu par les élèves de l'atelier Illustration de la HEAR et diffusé par les Éditions 2024, interroge la question du genre en images.
Photo : Christophe Urbain

L’utopie de la douceur

En son cocon temporaire, parmi toutes « les choses qui habitent positivement les yeux », des objets ramenés à Strasbourg – un 33 tours moscovite, des coquillages ancestraux « de 100 millions d’années », des mini-chaussons biélorusses (offerts par des artistes exilés dans le cadre d’un dispositif d’accueil à réitérer à la HEAR) – il y a des bouts de plâtre, de chaux ou de béton placés dans un bocal étiqueté « Prélèvement volume ». Nous remarquons également un bob en wax, relique bariolée issue de l’expo « Effondrement des Alpes » : c’est un des éléments de l’installation/performance de Toma Muteba Luntumbue (professeur de textile en Belgique) autour d’un rituel collectif inspiré du Bobongo, une cérémonie évolutive des Ekonda du Congo, durant laquelle les hommes et leur environnement fusionnent et relancent les forces de vie après un décès ou un drame. « Comme l’artiste SMITH, actuellement à la Filature à Mulhouse, je pense qu’il faut arrêter de penser de manière dialectique, en finir avec les logiques de centre et de périphérie ! »

L’institution, la complexité et la permaculture

Le nouveau directeur cherche à donner des impulsions, pas des ordres. « Il faut inventer un mode de gouvernance collégiale, pour en finir avec la vision technocratique de l’école en tant qu’institution. Je ne suis pas naïf ou angélique et je connais bien les rouages administratifs de ce type d’établissement », affirme Stéphane qui nous tend un livre posé près de son lit, sur une table de nuit de fortune (normal pour celui qui défend le recyclage et les modes de production écolo au sein de l’école) : Le conflit n’est pas une agression, calligraphié en majuscules or sur fond noir. Cet ouvrage de Sarah Schulman « théorise et autorise le fait qu’on ne soit pas toujours d’accord – même esthétiquement – sur un sujet. Il faut en débattre, vivement, si c’est nécessaire. J’ai une approche permaculturelle de la différence et je refuse d’être un idéologue avec 800 étudiants et autant de voix discordantes. » La biodiversité ? Obligée, aux yeux de Stéphane, qui laisse de la place à toutes les pensées, même s’il y a des moments de friction et que « ça fighte ».

L’affaire du porte-manteau

Le lendemain de notre visite, je reçois ce message : « J’ai réparé mon porte-manteau, juste après que vous m’ayez quitté, en environ une minute trente : deux chevilles, un coup de tournevis et hop ! » Les Alpes s’effondrent, les glaciers fondent, le peuple gronde, les missiles tombent, mais Stéphane Sauzedde garde la foi et met tout en œuvre pour soigner. Réinterprétant Félix Guattari, il revendique « une utopie de la douceur, une écologie politique, avec des organes de construction, de discussions et de décisions collégiales au sein de l’école que je vois comme un endroit de fabrique, où l’on apprend des méthodes à appliquer plus tard dans la vie professionnelle. » Pour lui, « l’intime est plus que jamais politique. C’est la raison pour laquelle je vous ai invité ce samedi matin, chez moi. » Des mots, rien que des mots ? Après débriefing, nous y croyons. Selon notre sondage, non validé par l’Ifop, le nouveau directeur ferait l’unanimité à l’école.
Bon départ !

Le week-end des diplômes a lieu du vendredi 30 juin au dimanche 2 juillet 2023.
Le festival Psssst (diplômes de latelier Scénographie) se déroulera en divers lieux du quartier de la HEAR, à la Krutenau.
Haute École des arts du Rhin
1 rue de l’Académie à Strasbourg
hear.fr


Par Emmanuel Dosda.
Photos Christophe Urbain.