Qu’est-ce qui vous a appelé dans ce scénario ?
François Cluzet : Je me rappelle que lorsque j’étais élève, j’aurais aimé regarder par le trou de la serrure, pour voir la vraie nature du prof : « Est-ce que ce prof que l’on voit si sévère s’amuse parfois ? Est-ce que cette enseignante est drôle alors qu’elle ne semble pas l’être ? » Ca m’intriguait beaucoup. J’ai trouvé l’axe d’écriture passionnant. Quant à Pierre et à la façon dont il se remet en question, je trouvais cela très beau. Il a cette honnêteté et beaucoup de gens ne l’ont pas.
Les questionnements et doutes de Pierre qui approche de la retraite et ceux de Benjamin interprété par Vincent Lacoste, qui débute tout juste dans le métier, se rejoignent malgré leur écart d’âge.
Thomas Lilti : Ce qui réunit les profs investis dans leur métier c’est la permanente culpabilité et la question de leur légitimité. « Est-ce que je suis légitime à enseigner ? Est-ce que je me comporte bien ? » Je pense que tous les profs se questionnent là-dessus et c’est pour ça que cela représente tant de souffrance quand ça se passe mal. On le voit dans le film avec le personnage de Benjamin (Vincent Lacoste) et l’élève renvoyé devant le Conseil de Discipline, c’est très douloureux pour lui. Ce sont des hommes et des femmes qui travaillent avec des êtres humains, avec des élèves donc tout prend des proportions énormes quand on rate quelque chose. C’est ce qui les réunit et c’est pour ça qu’ils ont besoin du collectif, de la solidarité entre eux pour supporter ces difficultés en plus des difficultés actuelles de ce métier qui s’est abîmé. Je n’ai pas de solution pour que cela se passe mieux pour les profs, elle est institutionnelle et beaucoup trop complexe, mais par contre je pense qu’à échelle humaine c’est au moins d’avoir une solidarité dans les équipes pédagogiques, car c’est un métier tellement solitaire qu’il faut essayer de trouver de la fraternité.
François Cluzet : Et tout ce que dit Thomas se retrouve dans sa façon d’être le leader du film, à double titre puisqu’il en est l’auteur aussi. Sur le plateau, on avait ce leader dans lequel on a confiance, pour qui on a de l’admiration et l’envie de se dépasser pour ses qualités. Dans ses films, Thomas réunit une armée d’amis, de gens qu’il aime, qu’il apprécie et pour lui c’est comme ça qu’on réussit un film. Ce qui m’a bluffé et rendu terriblement heureux c’est de collaborer avec ces acteurs qui ont gardé l’essentiel du partenaire, c’est-à-dire qui ont conscience que les choses ne se font pas seul. Ce qui est intéressant pour un cinéaste c’est de filmer l’échange et s’il n’y a pas de vérité dans l’échange, il n’y a pas de plan. Pour cela, il faut bien choisir son casting.
Dans votre film, vous montrez que les aptitudes des professeurs sont remises en question non seulement par les élèves mais aussi par leurs parents qui leur mettent sur le dos les échecs et les maux de leurs parents. Qu’est ce qu’il s’est passé en 50 ans ?
Thomas Lilti : C’est un courant qui est vrai dans la société et pas que pour les professeurs, il y a une remise en question de l’autorité, même des représentants politiques. C’est un mouvement profond, mais pour ce qui est des profs leur autorité est remise en question et notamment aussi par les parents d’élèves, c’est l’idée aussi, qu’on passe notre temps à expliquer aux profs comment ils devraient faire, à leur dire qu’ils font mal et qu’ils devraient faire différemment. Pourtant, on a beaucoup rigolé quand il y a eu le Covid et qu’il a fallu donner les cours à la maison à nos propres enfants, on s’est rendu compte que c’est un sacré métier. Dans le film, j’ai demandé à Vincent Lacoste de faire un cours de 40 minutes et il m’a dit : « Je me suis rendu compte de la difficulté d’intéresser 30 élèves, sauf que pour moi c’était des figurants et ils étaient payés.»
Quel genre d’élève avez-vous été ?
Thomas Lilti : Je pense que j’étais un assez bon élève mais je ne me vivais pas en tant que tel, parce que j’avais un grand frère qui était brillantissime et on m’a toujours fait sentir que j’étais moins bon.
François Cluzet : Pour ma part, j’étais insomniaque et de surcroît mon père voulait qu’on se lève le matin pour livrer les journaux. J’avais 8 ans, mon frère 10. Je dormais donc beaucoup en classe, mais je gardais toujours une oreille ouverte notamment parce que j’avais un prof qui disait sans arrêt « Qui plus est », et je pensais qu’il disait « Cluzet » et qu’il m’appelait pour que j’aille au tableau (rires). J’étais un élève roublard, copieur, toujours dans la moyenne pour ne pas me faire remarquer. Je n’ai pas aimé l’école car depuis tout petit je voulais être acteur, j’ai arrêté en première et je suis entré en pension. Ce que je garde en tête et c’est merveilleux, c’est que mon père avait fait des sacrifices pour éviter que l’on soit dans des collèges techniques mon frère et moi. J’étais au collège Stanislas dans le privé, donc cela nous changeait totalement de milieu social, ce qui était aussi une très bonne idée de sa part. Il y avait pendant trois années, un élève qui était le fils d’un acteur et qui un jour m’a proposé de me présenter son père. J’étais fou de joie. J’y suis allé et le père m’a dit : « Je vous déconseille de faire ce métier. » Mais ça ne m’a pas découragé, bien au contraire, je me suis dit qu’il n’y connaissait rien, que j’allais le faire quand même. Et je l’ai eu plus tard comme partenaire dans un film (rires).
Avez-vous eu un enseignant ou une enseignante qui vous a vraiment marqué ?
Thomas Lilti : J’avais une prof de maths au collège qui m’a énormément donné confiance en moi, je sentais qu’elle avait de la considération et de l’affection pour moi et c’est la première fois que j’ai senti qu’une prof m’aimait bien, au-delà de l’élève, comme un être humain.
François Cluzet : J’ai eu un prof absolument formidable. Il enseignait l’histoire géo et dès le début de l’année, il nous disait : « Si vous êtes attentifs, le cours que j’ai à vous faire sera terminé en une demie-heure et pendant la demie-heure suivante, on parlera cinéma.» Il sortait l’Officiel des spectacles, il regardait toutes les sorties de la semaine et les reprises, il nous parlait de Georges Cukor, de Johnny Guitare, c’était formidable. Un autre prof qui nous a beaucoup marqué c’était le prof de catéchisme. C’était un curé et pour éviter de n’avoir personne dans son cours, il permettait que l’on puisse fumer dans sa classe. On avait 13 ans, tout le monde fumait, il y avait un nuage (rires). Ça m’a beaucoup appris sur l’humain. J’ai compris qu’on avait un peu tous le sens de la roublardise.
Aujourd’hui, qu’est-ce que vous diriez à l’adolescent que vous avez été ?
François Cluzet : Un jour, alors que mon père avait 70 ans et moi 35, je lui ai dit : « Ça passe vite » et il m’a répondu : « Oui ça passe très vite, en 5 minutes. » A ce moment-là, je me suis dit qu’il me restait 2 minutes et demie à vivre. Aujourd’hui, que je me rapproche de très près de l’âge qu’avait mon père, je suis stupéfait de la vitesse à laquelle cela s’est passé. J’essaye d’être le plus simple, le plus vivant possible et surtout d’échanger avec des gens de qualité, c’est ce qui me semble le plus important.