Le tourbillon de la vie

Il s’est construit une réputation d’auteur à succès au théâtre, couronnée par le triomphe public et critique de la pièce Edmond, qui dévoilait les coulisses de la création de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Avec son deuxième long-métrage intitulé Une histoire d’amour, Alexis Michalik effectue sa première incursion dans le mélodrame. Entre Katia (Juliette Delacroix) et Justine (Marie-Camille Soyer), le coup de foudre frappe aussi fort qu’il blesse. Il bouleverse et surprend tous leurs proches, à commencer par elles-mêmes, puisque l’une a une peur phobique de l’engagement et l’autre se pensait jusque-là hétérosexuelle. Malgré tout, elles décident de faire un enfant, laissant le hasard décider de qui le portera. Mais alors que Katia tombe enceinte, Justine la quitte soudainement. Un enchevêtrement de destins croisés et d’histoires d’amour comme une ode à vivre vite avant qu’il ne soit trop tard. Rencontre avec le réalisateur et acteur Alexis Michalik et l’actrice Juliette Delacroix.

le réalisateur et acteur Alexis Michalik et l'actrice Juliette Delacroix
L'actrice Juliette Delacroix et le réalisateur Alexis Michalik lors de leur passage à Strasbourg. © Grégory Massat

Au même titre qu’Edmond, Une histoire d’amour est l’adaptation cinématographique de l’une de vos pièces de théâtre. Comment est née la volonté de la porter à l’écran ?
Alexis Michalik : La différence avec Edmond est que ma volonté était d’en faire un film. N’y arrivant pas, j’ai opté pour la pièce de théâtre qui m’a ensuite aidé à en faire une adaptation cinématographique. Avec Une histoire d’amour, j’avais le désir d’une pièce de théâtre. On a commencé à jouer et beaucoup de gens nous ont dit qu’on devrait en faire un film. Je me suis laissé convaincre et ai commencé à l’adapter en scénario. 

Quel travail avez-vous entrepris pour passer d’un objet théâtral à un objet cinématographique ?
Alexis Michalik :
Concrètement j’ai enlevé des dialogues et ajouté des décors. C’était les deux axes principaux de travail pour arriver à faire cette adaptation. Au théâtre, on raconte, au cinéma, on montre. Pour Une histoire d’amour, j’ai essayé de creuser des pistes que je n’ai pas pu approfondir au théâtre : utiliser plus de décors, suivre une chronologie différente, garder l’essentiel en le racontant de façon légèrement différente. 

Le titre de votre film est trompeur, ce n’est pas d’une histoire d’amour qu’il s’agit mais de plusieurs. Celle d’un homme pour sa femme, d’une mère pour sa fille, d’un frère pour sa sœur, d’un oncle pour sa nièce… Autant d’histoires d’amour qu’il existe de façon d’aimer.
Alexis Michalik : J’aime que les spectateurs soient surpris, mon obsession est de ne pas ennuyer le public. Ils vont voir le film en pensant découvrir une histoire d’amour et puis ils en découvrent une autre et encore une autre…

Juliette Delacroix
Juliette Delacroix : "Toute cette histoire tourne autour du fait de prendre des risques". © Grégory Massat

Votre film aborde les thématiques caractéristiques au drame, telles l’abandon, la rupture, l’alcoolisme, la maladie, le deuil, mais vous faites le choix de traiter ces sujets avec une pointe d’humour et de cynisme. Face au drame, l’humour comme manière de désamorcer les angoisses ?
Alexis Michalik :
Pour les personnages, oui. C’est un humour de résistance. Il y a des choses qu’on contrôle et d’autres non. Quand il arrive des événements tragiques à ce point, que peut-on faire sinon les accepter et en rire ? Il s’agit de fatalité, on ne peut rien changer, autant profiter du temps qu’il reste.

Comment avez-vous abordé le rôle de Katia ?
Juliette Delacroix : Avec beaucoup d’empathie et de bienveillance. Au début, elle est en totale résistance contre l’amour, en protection et le fait, qu’au fur et à mesure, ce personnage s’ouvre et accepte de baisser les armes, de dire oui à la vie, l’amour, la maternité et que tout se retourne finalement contre elle, je l’ai abordé avec beaucoup d’amour. Je me suis retrouvée sur plein de choses, comme le public peut se retrouver dans tous ces personnages.
Alexis Michalik : Comme tu le dis, ça se retourne contre elle, mais elle a vécu, aimé, vibré. Est-ce que souffrir, ce n’est pas aussi être vivant ?
Juliette Delacroix : Dans ce film, aucun des personnages n’est raisonnable et c’est ce qui les rend très touchants. À un moment donné, ils laissent la raison de côté pour foncer. Toute cette histoire tourne autour du fait de prendre des risques. 

Comment fait-on pour garder une distance avec un personnage aussi intense ?
Juliette Delacroix : Le temps des prises ou de la pièce, on enfile un masque, on joue un texte. Sinon ça peut-être très lourd à porter. J’ai joué le rôle de Katia près de 300 fois au théâtre et il y a des soirs où on joue avec nos malheurs, avec nos bonheurs. C’est presque cathartique, j’ai réglé beaucoup de choses en jouant ce rôle. J’y ai mis ma sensibilité et ma sincérité, je ne me suis pas toujours protégée, j’espère que c’est ce qui la rend touchante.

C’était une surprise pour vous qu’Alexis vous demande d’endosser ce rôle au cinéma après l’avoir joué au théâtre ?
Juliette Delacroix :
Une immense surprise. Avec Alexis, on est très amis dans la vie et, pendant le confinement, il m’a appelé pour me dire qu’il écrivait l’adaptation de la pièce pour le cinéma. C’est la première fois qu’on a à défendre de tels rôles au cinéma, ça a été un très beau challenge à relever par l’intensité du rôle, du tournage…
Alexis Michalik : 
Je n’avais pas particulièrement besoin du cinéma et de ses grands noms, la pièce existait, elle avait très bien marché et continue à marcher, on l’a jouée 400 fois. Je me suis dit que ce serait beau de monter le film avec les actrices de la pièce et de faire perdurer cette aventure.

William et Justine ont vécu une enfance difficile. Dans une scène, elle demande à son frère s’il pense que leur famille est maudite. Croyez-vous aux héritages transgénérationnels ?
Alexis Michalik : Cette pièce et maintenant ce film nous rapprochent. On parle de la mort, du deuil, de la séparation, de l’urgence de vivre… Il y a une résonance particulière sur ce qu’est la rupture, le temps qu’il nous reste et l’amour ? Ça nous a tous traversé. On est impacté par les personnages, souvent au point de dire des phrases de la pièce ou du film dans la vraie vie. C’est dingue et aussi assez joli parce qu’au cours du processus, même si Katia et William ont perdu l’amour, ils ont gagné un frère et une sœur. C’est le cas dans nos vies aussi. Une histoire d’amour, c’est des personnages attachants, des destins tragiques mais aussi superbes, à l’image du courage de Katia dans toute cette histoire. 

Vous portez à la fois la casquette d’acteur et de réalisateur. Jouer dans vos films, c’est une évidence pour vous ?
Alexis Michalik : C’est un plaisir. Réaliser comprend beaucoup de responsabilités. Jouer, c’est le côté cool. 


Une histoire d’amour d’Alexis Michalik, sortie en salles le 12 avril.
Propos recueillis le 28 février lors de l’avant-première au cinéma UGC Ciné Cité de Strasbourg.


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat