Zut, v’là Dosda chez Marie Linden,
directrice de l’Orchestre philharmonique

Si le minimalisme est de mise chez la directrice de l’Orchestre philharmonique (depuis 2017), c’est que sa vie se joue professionnellement à Strasbourg et familialement à Paris. Deux foyers, donc, dont un appartement jugé « trop mal investi », situé à quelques pas de la gare centrale. Peu d’éléments de décor, du mobilier « fonctionnel », mais beaucoup de souvenirs glanés partout autour du monde et, surtout, au mur du salon, une partition de Boulez, « véritable maître à penser » pour Marie Linden.

Marie Linden. © Christophe Urbain
Marie Linden. © Christophe Urbain

Marie Linden nous interdit de regarder, photographier, voire fouler des pieds le sol de son entrée, qu’elle trouve trop gris, trop triste. Ce qui nous semble un rien exagéré… Sinon, tout est permis : nous avons même pu ouvrir les pots et goûter aux confitures « maison » rhubarbe / citron vues dans les placards de la cuisine.

Pour le moment, nous avançons, paupières fermées, vers le salon et ouvrons enfin grand les yeux face à une affiche accrochée au mur, dédicacée par Bruno Mantovani. Le compositeur y a calligraphié ceci : « Pensée dans les rues de NY. Jouée dans les rues de Milan. Hommage multicolore aux sons de la rue, et au pull de Marie ! » Sous ce touchant message, un autre autographe, la précieuse griffe de Pierre Boulez, qui signe, affectueusement « Le Grand’ père ! ». L’affiche annonce le programme de ce giovedi 9 novembre 2006, Teatro alla Scala, Milan : L’Histoire du soldat de Stravinski, Streets de Mantovani et Dérive 2 de Boulez, fondateur de L’Ensemble intercontemporain où travaillait alors Marie Linden – comme responsable de la coordination artistique –, visiblement déjà amatrice de dress-code flashy. « J’ai beaucoup d’admiration pour Boulez, l’homme, le chef, le compositeur, le pédagogue, le polémiste… Son intelligence hors-norme m’a toujours fascinée. » De l’autre côté de la pièce, une partition du maître de la musique sérielle, une oeuvre d’art en elle-même. Coincés au fond d’un trop moelleux fauteuil défraichi qui nous happe, nous écoutons la directrice de l’Orchestre qui, attentive à proposer aux musiciens « toujours partants » des projets d’une grande diversité artistique, a convié Bruno Mantovani à une résidence à l’OPS pour la saison 22/23.

« J’ai beaucoup d’admiration pour Boulez, l’homme, le chef, le compositeur, le pédagogue, le polémiste… »

© Christophe Urbain
© Christophe Urbain

Tout envoyer Boulez !

Elle garde toujours les préceptes de son grand-père spirituel, prêt à tout envoyer Boulez, en proposant aux 110 musiciennes et musiciens de l’Orchestre qu’elle « aime passionnément », des collaborations originales, notamment avec des chefs venus d’horizons artistiques différents. Aussi, pour faire bouger les lignes, ouvrir le spectre des possibles, elle sollicite les spectateurs grâce à « de nouveaux formats, variés, toujours ambitieux ». Marie fait notamment référence aux rendez-vous de musique de chambre « à toute heure de la journée, y compris le matin à 8h15 », aux concerts symphoniques d’une heure chrono, aux spectacles à vivre en famille (dès trois ans), aux ateliers découverte des instruments ou encore, depuis trois ans, aux actions de médiation menées à Hautepierre, avec le CSC Le Galet. Enfin, l’OPS « multiplie des dispositifs pour l’accueil des spectateurs en situation de handicap psychique, sourds et malentendants, au public déficient visuel et aveugle… » Pour elle, la notion de « diversification des publics » et surtout « d’inclusion » est un engagement quotidien.

Chez Marie Lenden. © Christophe Urbain
© Christophe Urbain

No limit

« La musique est un terrain d’expérimentations sans limite. On dit “ jouer” d’un instrument et je suis convaincue qu’il est nécessaire de s’amuser, de traverser les frontières. » Cet esprit joueur et voyageur est l’héritage de toute une vie, à commencer par ses débuts de stagiaire au sein de la compagnie de Nika Kossenkova. Debout sur un étrange tapis – en réalité une tenture de yourte, souvenir du Kazakhstan –, Marie (dont le – vrai – grand-père paternel est né en Russie) se rappelle avec émotion : « Nous allions dans les campagnes moscovites pour présenter le travail de Nika. » Son goût pour le globetrotting ne la quittera pas, comme en attestent tous les objets présents ici : un petit cheval en bois suédois, un tabouret nigérien, un fauteuil abidjanais, un service à thé vietnamien ou… un élan canadien PLAYMOBIL®, relique de l’enfance de ses trois rejetons.

« C’est le matin. Pétronille boit son thé au gruyère… »

« … Pendant la nuit, des champignons ont poussé. Il va faire beau. » Marie nous fait la lecture de Pétronille et ses 120 petits de Claude Ponti qui se trouve parmi d’autres trésors ayant appartenu à sa progéniture. Nous sommes attirés par la tranche vive des Fables de La Fontaine illustrées par Benjamin Rabier ou la typo sanguinolente du Fantôme qui pète de Wiaz. Un plateau alsacien pourpre, un coffre à la polychromie ardente de la fin du XIXe siècle, une lampe de chevet écarlate, un moulin à poivre grenat ou même une bouteille de Campari : partout dans l’appartement, des touches colorées donnent le ton rouge « peps » de la maîtresse de maison pour laquelle « il est impossible de faire bouger les choses sans énergie ni pugnacité ! »


Prochainement au Palais de la Musique et des Congrès :

10.05 / 17h Pierre et le loup de Serge Prokofiev, avec Victor Julien-Laferrière, direction et Mélody Pini, récitante (spectacle jeune public à partir de 5/6 ans)

15.05 / 18h15 Apéritif en musique, Fascinantes percussions

22 + 23.05 / 20h Symphonie n°2 de Gustav Mahler, dirigée par Aziz Shokakhimov (directeur musical de l’OPS), avec Valentina Farcas (soprano), Anna Kissjudit (mezzo), le Choeur de l’Opéra national du Rhin et le Choeur philharmonique de Strasbourg

4.06 / 20h Concert de présentation de saison dirigé par Aziz Shokakhimov

philharmonique.strasbourg.eu


Par Emmanuel Dosda
Photos Christophe Urbain