Le metteur en scène Geoffrey Rouge-Carrassat
en résidence à l’université

À l’aube de juin 2023, le metteur en scène Geoffrey Rouge-Carrassat achèvera sa première année de résidence à l’université de Strasbourg. Entre recherche, expérimentation, jeu et créativité, c’est une année riche en expériences qui aboutit sur son spectacle Gilgamesh Variations. 

Le metteur en scène Geoffrey Rouge-Carrassat à La Pokop à Strasbourg. © Teona Goreci
Le metteur en scène Geoffrey Rouge-Carrassat à La Pokop à Strasbourg. Photo : Teona Goreci

Comment votre résidence vous permet-elle d’explorer votre créativité ?
Durant la résidence, concevoir mon action est déjà un exercice de créativité. On m’a laissé une grande liberté sur le programme. Mon cahier des charges comptait uniquement cinq mots : création, programmation, diffusion, médiation et formation. Imaginer ce que je voulais était donc, déjà, un exercice de créativité. L’université est idéale pour faire mes recherches : elle est le lieu propice pour tester de nouvelles formes et proposer des formats moins conventionnels au public.

Les deux mots qui semblent vous caractériser en tant que metteur en scène sont le jeu / la jouabilité et l’expérimentation…
Cela fait trois ans que je fais un doctorat recherche-création, qui mêle théorie et pratique : je travaille en m’inspirant de la démarche scientifique. J’imagine mes spectacles en fonction de mes lectures théoriques, en sociologie, anthropologie du jeu, game design. J’emprunte aussi le processus que je suis à la démarche scientifique. Ma réflexion me mène vers une hypothèse qui peut se réaliser ou non. Je la teste sur scène, ce qui me conduit à une conclusion qui peut ouvrir vers d’autres expérimentations. J’expérimente de nouvelles pratiques de l’acteur et de mise en scène. La première année de résidence, nous avons privilégié les invitations d’artistes en recherche et nous sommes partis de la thématique du jeu. Tout tourne autour du jeu, de la jouabilité et de l’expérimentation, mais l’année prochaine je me concentrerai sur la peur à la fois comme émotion chez l’acteur, comme émotion suscitée chez le public et comme thématique.

Pourriez-vous m’en dire plus ?
Nous avons déjà fait un premier laboratoire autour de ces questions, en réfléchissant aux nouvelles figures de l’horreur aujourd’hui : comment la jouer, en parler et la susciter chez le public ? Nous allons inviter trois metteuses en scène qui travailleront chacune sur un spectacle. L’un sera centré sur les figures grotesques, le deuxième sur la grossophobie et le dernier sur les espaces abandonnés, les villes détruites ou ravagées. Je travaillerai sur une enquête policière intime et un cabaret monstrueux avec des artistes de différentes disciplines qui répondent à une commande autour de la peur grâce à leur art.

La pièce Gilgamesh Variations est une métaphore de votre résidence ?
Je ne l’aurais pas vu comme ça, mais si vous l’avez interprété comme ça, il y a de bonnes raisons. Je pense plutôt que c’est l’adaptabilité des acteurs avec l’éternel renouvellement de la mise en scène, leur grande inventivité et leur adaptation. Si l’on n’est pas poreux aux rencontres, aux espaces, aux personnalités de l’université, la résidence ne peut se faire. L’université est un espace riche, en mouvement et l’artiste doit s’y adapter.

Deux acteurs en pleine représentation de Gilgamesh Variations. © : Louise Guillaume
Deux acteurs en pleine représentation de Gilgamesh Variations. Photo : Louise Guillaume

Vous avez d’autres projets ?
Tout se fait sous forme de cycles. Avant Gilgamesh Variations, il y a eu un premier cycle, où j’ai beaucoup travaillé sur l’écriture personnelle et l’écriture de soi, qui sont des thèmes qui me touchaient personnellement. J’ai amené ces thèmes avec mon corps et mon esprit sur le plateau. La jouabilité est le deuxième cycle. Cela risque d’influer sur mon travail par la suite mais il est aussi possible que je travaille sur des choses plus écrites, plus figées. Il est aussi possible que j’utilise l’improvisation, pas comme un outil dans le jeu de l’acteur, mais comme un outil d’écriture scénique et textuelle.

Quel serait le prochain cycle ?
Après Gilgamesh Variations, je travaillerai sur l’écriture du spectacle La Personne en novembre 2023 à la Manufacture de Nancy. Ce spectacle sera joué en février 2024 à La Pokop de Strasbourg. Il traite du mystère, mais aussi de l’attrait et de la répulsion simultanés que l’on éprouve pour l’inconnu et le mystère. Je pars de l’hypothèse d’un jeune homme qui rencontre une situation inquiétante : plutôt que d’appeler la police, il continue à vivre comme si c’était normal. Ce projet raconte l’enquête intime sur une personne à la réaction non conventionnelle face à l’inconnu. Mon autre projet est le spectacle de cabaret. Je ne me suis pas encore décidé sur le titre : « Cabaret monstrueux » et « Cabaret fantôme » ne me plaisent pas. Je vais réunir des artistes de différentes disciplines : des circassiens et circassiennes, des danseurs et danseuses, des peintres, des fakirs afin qu’ils répondent à une commande autour de la peur. Ils vont utiliser leur art pour susciter la peur chez le public. Je vais les superviser dans ce cheminement en les aiguillant un peu. Ils seront tous auteurs et autrices autonomes et je vais créer un spectacle autour de leurs créations. Sa création se fera en mai 2024 à La Pokop de Strasbourg.

Le processus expérimental présenté par Gilgamesh Variations semble presque être un retour à la narration des épopées antiques par les aèdes comme Homère, où l’auteur décide des variations qu’il fait subir à son histoire, à partir d’un texte canevas…
Cela fait des années que je relis l’épopée de Gilgamesh pour comprendre pourquoi elle me fascine. J’essaie de trouver la clé de ce texte. J’estime que la jouabilité des esthétiques dans Gilgamesh Variations est une manière de requestionner le passé, pas d’y revenir. Le passé est le fondement de notre société qui repose sur ce texte, source d’inspiration de nombreuses religions.

Ou est-ce, à votre avis, le futur du théâtre contemporain?
Beaucoup de théoriciens ont créé des méthodes de jeu à suivre, supposément. Moi, je crée un chemin possible. La jouabilité s’inscrit dans les réalités sociale, économique et écologique. Je cherche à procurer au spectateur une expérience différente. La nouveauté, c’est l’étrange. Avec Gilgamesh Variations et mon travail de recherche, je ne vise pas à inventer le théâtre de demain mais un théâtre singulier. Je cherche à créer quelque chose qui me dépasse, qui m’étonne de moi-même et des autres. L’expérimentation, c’est accepter que le résultat nous échappe…

Gilgamesh Variations
25 → 27 mai 2023
La Pokop à Strasbourg


Par Laure Villard
Photos Teona Goreci & Louise Guillaume