Balle au centre

Avec Mineur non accompagné, Yoann Thommerel et Sonia Chiambretto mettent en scène les paroles d’un jeune déraciné et du directeur d’un centre spécialisé. Le duo nous éclaire quant à son théâtre documentaire, second volet de La trilogie des frontières invisibles.

Mineur non accompagné
"Mineur non accompagné" est le second volet de La trilogie des frontières invisibles. © Alban van Wassenhove

Je viens de remettre la main sur un ouvrage collectif nommé Décamper, ensemble de témoignages et récits sur les camps de réfugiés français. Parmi les intervenant·es, Marie Darrieussecq interroge le mot « migrant, ce participe présent qui n’en finit pas, comme si migrer était un état pour toujours. C’est une identité qui n’en est pas une : il faudrait la noblesse du mot voyageur, la poésie du mot exilé. » Que vous évoque cette pensée ?
Disons que si la France était peuplée d’accueillants, on pourrait tolérer ce mot « migrant », mais l’hospitalité telle qu’elle se pratique aujourd’hui dans notre pays est trop frileuse, précaire dans le meilleur des cas, excluante la plupart du temps. On a rencontré ces derniers mois de nombreux jeunes qui, parce que leur minorité n’était pas attestée, se retrouvaient en situation irrégulière sur le sol français. « Migrant », c’est une appellation qui a tendance à dépersonnaliser, à déshumaniser. C’est un concept. Nous avons rencontré des jeunes gens dont on donne la liste des prénoms dans le spectacle. Les nommer, c’est leur rendre quelque chose qui a à voir avec leur individualité.

Tous les textes de Mineur non accompagné dits au plateau sont-ils des propos archivés par vous et votre Groupe d’Information sur les Ghettos ? Y a-t-il réécriture, glissement d’éléments fictionnels ?
On aime dire qu’on poétise les documents qu’on convoque dans notre écriture, dans nos mises en récit. Les poétiser, c’est les mettre en souffle, c’est une manière de les revitaliser et de les rendre à nouveau audible.

Vous « jouez » au milieu d’une scénographie (signée Marine Brosse) aux allures de terrain de foot bricolé avec des bouts de carton, comme le feraient des ados. Au-delà de la place qu’occupe ce sport dans la vie des jeunes, tout un champ lexical nous parvient : occupation de terrain, surface de réparation… Les jeunes exilé·es sont-il·elles des personnes « hors-jeu » ? Comment notre engagement – encore une expression footballistique – peut les aider ?
Le football est un motif récurrent dans la pièce, le football joue un rôle important dans la vie de pas mal de jeunes garçons qu’on a rencontrés. Ils regardent les matchs à la télé, ils jouent dans des petits clubs en France, ils sont appréciés par les entraîneurs parce qu’ils marquent des buts. Le football est un moteur d’intégration dont on a pu observer de nos propres yeux les effets en allant les supporter sur le terrain lors des matchs. Après, le terrain, c’est aussi un espace où les frontières invisibles peuvent se révéler. Les garçons nous ont raconté comment ça marchait, on les fait jouer  pour marquer un ou deux buts et après on les remet sur le banc de touche. C’est d’abord les enfants du cru qui doivent occuper le terrain, même s’ils sont nuls.

Avez-vous choisi l’endroit où vous vivez actuellement ?
Depuis qu’on fait du théâtre, on habite surtout dans le train et dans des Airbnb. Cette question qu’on a écrit en lien avec le Groupe d’Information sur les Ghettos pointe en creux l’une des frontières invisibles sur lesquelles on travaille. Quand on interroge les mineurs non accompagnés sur leur choix de vivre ici, en France, ils mettent tous en avant leur volonté de faire des études, d’apprendre un métier. Quel accueil décidons-nous de leur réserver ?


Du vendredi 17 au samedi 25 mars
Salle Gignoux au TNS, 1 avenue de la Marseillaise à  Strasbourg.


Par Emmanuel Dosda
Photo Alban van Wassenhove