La cerise

Comme d’autres fruits rouges, la cerise annonce la plongée dans l’été. Après une année gâchée par une météo pour le moins capricieuse, le nouveau « millésime » ravit les producteurs alsaciens. Fruit emblématique de l’Alsace (particulièrement de Westhoffen mais pas que), elle est bien sûr la base du kirsch (nous, alcooliques ?) et se croque à loisir.

Photo : Alexis Delon/Preview
© Alexis Delon/Preview

Rubrique ouvrant le cahier gastronomique de Zut, Le produit nous sert à dresser des passerelles entre la cuisine, la culture, l’histoire et parfois à glisser nos propres obsessions et recherches. Jamais avares en malice et autres coquineries, on ne peut s’empêcher de voir dans le plaisir de la table des analogies avec le plaisir de la chair en général et donc, avec la sensualité et plus si affinités. Il suffit d’analyser le vocabulaire choisi pour évoquer la faim, la satiété ou l’ébullition des sens tous mis en émoi à l’approche d’un festin pour le constater.

Pour la cerise, que nous nous sommes longtemps amusés à porter en boucles d’oreille prêtes à déguster, tout a basculé à la lecture de Martin Eden de Jack London. Un passage semble-t-il anecdotique et relativement long qui a fini par faire voler en éclats toute l’innocence d’un goûter fruitier : « Ils avaient mangé des cerises, de grosses cerises noires et luisantes, au jus couleur de vin sombre. Et, plus tard, tandis qu’elle lui lisait un passage de La Princesse, il remarqua que les cerises avaient taché ses lèvres. À l’instant même, son essence divine disparut. Elle était faite d’argile, après tout – comme lui, comme tout le monde ! Ses lèvres étaient d’une chair pareille à la sienne, puisque le jus des cerises les tachait aussi. Elle était femme – femme tout entière, comme toutes les femmes ! Cette révélation l’abasourdit. Il lui sembla que le soleil mourait au ciel. » Soudain, croquer un fruit dans un verger a revêtu tout le caractère bucolique et romantique que ce geste mérite. Une chance que l’Alsace, des vallées jusqu’au Piémont vosgien en passant par la plaine du Grand Ried, en soit nimbée.

Le temps (et l’endroit) des cerises

Comme la Lorraine, qui a sa mirabelle, élevée au rang d’égérie régionale donnant naissance à d’innombrables fêtes et à l’élection de Miss Mirabelle, l’Alsace – c’est moins connu – fait la cour à la cerise chaque année (fête des cerises, élection Miss Cerises, marché Cerises & Terroir, etc.), en l’occurrence dans le village de Westhoffen qui regroupe une brouette de variétés (Burlat, Summit, Octavia, Kordia, etc.) chacune ayant sa couleur, sa chair plus ou moins juteuse et sucrée, mais surtout un verger conservatoire. Ce très bel endroit réunit 250 cerisiers (sur les 10 000 que compte Westhoffen). On y prend soin de variétés anciennes et nouvelles, on y inculque et transmet les bons gestes tout au long de l’année, que ce soit en direction des professionnels ou des amateurs. Fait intéressant : les cerisiers poussaient autrefois en forêt, étaient donc beaucoup plus hauts et en ont été sortis pour mieux maîtriser leur culture. Aucun producteur ne choie en revanche que des cerisiers (ça tombe bien, la monoculture est un désastre), ceux-ci étant souvent associés à d’autres arbres fruitiers pour favoriser la biodiversité. L’agroforesterie raffole d’ailleurs des cerisiers sur des sols sableux ou compacts. Mais passons sur la technique…

Quelles cerises ?

Les plus appréciées, à consommer sans transformation, restent les noires et en Suisse, Allemagne et Alsace, les noires de Bâle : pleines de goût et sucrées. Elles sont aussi utilisées pour l’inégalable Bettelman – mendiant aux cerises – préparé à base de pains au lait ou restes de brioche, de noisettes ou d’amandes. Les guignes, plus acides, sont utilisées pour la traditionnelle soupe aux cerises (eh oui…) alors mêlées à de la farine, du kirsch et du vin et bien sûr, pour la fabrication du kirsch. Celles-ci sont particulièrement associées aux plats de gibiers. Pour jouer sur le sucre et l’acidité et miser sur une salade pleine de fraîcheur et de caractère, on peut associer la cerise et fenouil et elle est tout aussi délicieuse s’adjoignant les services d’un ceviche. Bref, un fruit plein de relief, à préférer en début de saison pour éviter de s’inquiéter de la présence de vers…


Par Cécile Becker
Réalisation Myriam Commot-Delon
Photo Alexis Delon / Preview