Mijoter le temps

Dans le dernier numéro de ZUT Strasbourg, nous nous sommes consacrés à la lenteur, nous avons voulu savoir ce qu’elle évoquait pour le milieu de la gastronomie, où tout va vite et lentement en même temps.

Jean Walch © Christophe Urbain

Jean Walch
Propriétaire et caviste

Au fil du vin libre, 26, quai des Bateliers à Strasbourg

Quel rapport avez-vous au temps dans votre travail ? Laisser le temps au temps pour avoir le recul suffisant.
En quoi la crise a-t-elle modifié votre rapport au temps ? J’ai la sensation de vouloir freiner mais de ne rien pouvoir ralentir. Cette frustration, je la mets sur le compte de ma volonté de rester dans le train et, dans le même temps, d’en sortir. J’essaye d’imposer ma nouvelle temporalité, je me tourne vers des gens qui veulent fonctionner comme moi. Mon métier me le permet : je travaille avec des vignerons qui, impérativement, fonctionnent avec la nature et les saisons. Ils ne peuvent pas aller plus vite que le temps.
Que faites-vous quand vous avez du temps ? J’essaye de retrouver un bref rapport à la nature, de lever les yeux, d’écouter, de toucher.
Quel serait le plus grand luxe ? Apprendre à avoir du temps. Tout est lié à l’économie : vendre, fabriquer, produire, le système a créé une fuite en avant constante. Je tire mon chapeau aux jeunes que je vois arriver et qui arrivent à ralentir.
Avec quoi associez-vous le temps ? À l’apaisement, à quelque chose qui dépasse la destruction, au vivant.
Un symbole de lenteur ? Un raisin qui mûrit. Pour ça, il faut du temps.

Carole Eckert © Dorian Rollin

Carole Eckert
Propriétaire et sommelière

Enfin , 2, chemin du Château d’Andlau à Barr

— Quel rapport avez-vous au temps dans votre travail ? On est contraints par le temps : il faut être prêt à 12h et à 19h. Il est plutôt générateur de stress.
Qu’est-ce qui va trop vite ? Dans le monde, tout va trop vite à cause d’Internet. Les gens ne sont plus patients. La question de la performance est très lourde à porter : on n’a plus le droit d’essayer, il faut que tout soit abouti immédiatement.
Qu’est-ce qui vous prend trop de temps ? Le restaurant ! [Rires] Je ne peux pas être dans l’instant, il faut toujours penser à la suite, pour l’équipe. Toute la paperasse, évidemment. Et les petits problèmes qui se règlent les jours de repos.
— Est-ce qu’on se bonifie avec le temps ? Oui, comme un bon vin ! Je suis beaucoup plus se- reine qu’il y a quelques années. J’ai même hâte d’avoir 50 ans : j’aime l’idée de vieillir et la sa- gesse qui y est associée.
— Est-on plus créatif lorsqu’on a le temps ou lorsqu’on en manque ? Les non-temps sont des temps précieux quand on est dans la création. J’ai 1 000 idées quand je peux voyager et aller au restaurant. On ne peut pas penser et être dans le faire en même temps.


Par Cécile Becker
Photos Christophe Urbain et Dorian Rollin