« Le théâtre, ça reste un comédien sur un plateau. Tout peut disparaître, sauf ça. Quand le cinéma, la télévision, internet sont arrivés, à chaque fois on pense qu’il va périr, et pourtant il est toujours là.
Cette fragilité c’est sa force. »
Jean-Jacques Monier, directeur technique
Parfois, ça change parce que c’est une question de mode. Elisabeth Kinderstuth regrette ainsi de faire moins de costumes historiques, elle qui était venue au théâtre pour ça. « C’est quand même magique, le volume de tissu et ces étoffes qu’on n’utilise pas tous les jours. » Elle en a bien créé pour Les Liaisons dangereuses mises en scène par Christine Letailleur en 2015, mais les metteurs en scène privilégient, même pour des textes du répertoire, des costumes moins connotés, voire contemporains. Au-delà de ce regret personnel, le costume est moins important qu’à une époque, constate-t-elle. Les scénographes, et parfois les comédiens eux-mêmes, récupèrent beaucoup de vêtements de ville. « En fait, il faudrait éduquer les metteurs en scène à ce que représente le costume. Jean-Pierre Vincent, Jacques Lasalle, Alain Françon travaillaient tous avec des costumiers. Certains comédiens disent que ça leur sert, qu’ils trouvent une posture dans leur costume. »
Il est clair que l’époque est à la frugalité, pour des questions esthétiques et éthiques certainement, mais aussi financières. Même dans une maison comme le TNS. « Les budgets sont beaucoup plus serrés, confirme Philippe Berthomé, et on n’a presque plus de temps pour la recherche. Faire de la lumière, c’est beaucoup chercher. Quand on n’a plus le temps de se retourner, le résultat peut en pâtir. On rend des choses de routine, on sélectionne les mêmes projecteurs, les mêmes couleurs… » « Avant on faisait un devis à l’administration, précise Élisabeth Kinderstuth, maintenant l’administration nous donne une somme sans savoir ce qu’il y a à faire. Et parfois ça ne colle pas toujours avec ce que veut le metteur en scène. » Et de conclure : « Aujourd’hui, c’est la compta qui gère le théâtre. » Alain Storck, le tapissier-décorateur, se souvient qu’en 1988, quand il a commencé, il y avait sept créations maison par an. « On était trois, un au plateau et deux à l’atelier. Là, ça fait depuis 2004 que je suis tout seul.» Et à la fin de l’année, lorsqu’il partira à la retraite, il ne sait pas s’il sera remplacé, puisque personne n’est encore arrivé à l’atelier pour être formé.
Ces compétences-là, que chacun se forge au fur et à mesure de sa carrière puisqu’il n’existe pas de formation aux décors de théâtre, risquent d’être perdues. Jean-François Michel, le menuisier, a la même inquiétude. Lui aussi pourrait partir à la retraite dès à présent, et pourtant, personne dans l’atelier pour prendre le relais. Celui qui lui succèdera devra repartir de 0. Économies de bout de chandelle, nous laisse-t-on entendre, en évoquant encore une fois le chantier de Notre-Dame de Paris (visiblement un sujet de conversation prégnant), où les charpentiers formés à ce type de structure manquent cruellement, la faute à une absence de transmission. « C’est ça quand on gère un état comme on gère une épicerie », lâche Jean-François Michel. Comme beaucoup de ses collègues, il est particulièrement heureux de travailler avec les élèves de l’école : « Ils ont envie de découvrir, et on est obligé de découvrir avec eux. Ils n’ont pas peur, et pour moi c’est primordial. » Parce qu’ils croient encore à la possibilité de construire collectivement. Nous aussi.
Par Sylvia Dubost
Photos Pascal Bastien (ateliers costumes) et Christophe Urbain (atelier décors)