Ça arrive de partout, les files d’attente s’étirent à toutes les portes, chacun veut « en être », peu importe où, juste baigner un instant dans cet incubateur à possibles qui vous oblige à rassembler toute votre intelligence pour renouer avec l’indien que vous vouliez être à 14 ans et en faire votre vie. « Je sais que nous sommes un moteur, même si on est roots et que de temps en temps on a l’air de gitans, quand on a des investisseurs qui viennent en costards douze pièces sur le site et qu’ils se posent la question de quelques millions, quand ils rentrent dans Motoco ils ont les yeux qui papillonnent, c’est presque ça le test d’entrée : t’as pas les papillons dans les yeux, t’as rien compris. »
« Mon premier rêve et c’est pour ça que je me bats avant tout c’est que l’activité artistique puisse continuer à bénéficier de conditions plus que favorables, je voudrais que Motoco soit un incubateur, un passage vertueux d’où les artistes ressortent grandis. »
La suite ? « Pour moi à terme on est sur un écosystème qui propulse des artistes, ils viennent dans cet espace qui permet le partage et la découverte d’autres visions, ils montent trois marches et ils partent. Mon premier rêve et c’est pour ça que je me bats avant tout c’est que l’activité artistique puisse continuer à bénéficier de conditions plus que favorables, je voudrais que Motoco soit un incubateur, un passage vertueux d’où les artistes ressortent grandis. La partie commerciale malgré tout est au-delà de l’équilibre financier de Motoco, elle me semble avoir un intérêt pour certains artistes, pas tous. Il y en a qui flirtent avec la scénographie, l’animation, le petit produit et ces déclinaisons peuvent apporter une valeur financière et une valeur d’expérience à des artistes… mais la gestion doit leur être épargnée sinon ils perdent ce qu’ils sont. Là il y a presque un rôle d’éditeur à jouer, pas financier, au-delà. La richesse des gens qui arrivent fait qu’on se réoriente en permanence, d’autres choses que j’ignore vont se générer, c’est ça la force du projet. J’aimerais que cette créativité, cette presque ambiance familiale que nous avons maintenant à 150, nous puissions l’avoir à 600, 700 personnes à l’échelle du site [l’ensemble de la friche fait plus de 100 000 m2, des projets divers y verront le jour, ndlr]. La chance c’est que ce patrimoine historique conditionne déjà ceux qui sont tentés d’y développer des activités. J’espère que ce quartier DMC vivra le jour, la nuit. J’aime ne pas avoir de vision, j’aime me dire que ce sont les gens qui viendront qui inventeront la suite de l’histoire. Il faut aussi être vigilant à la puissance de ce lieu qui t’absorbe, c’est comme un refuge, il faut toujours s’obliger à garder une ouverture vers l’extérieur, il m’est arrivé de ne pas en sortir pendant plusieurs jours à dormir sur les canapés. Mais il faut ouvrir, l’air doit y circuler. »
Il est tard, quelques résidents descendent, tourbillonnent, on parle technique, sérigraphie, des idées s’échangent, on rit, on débat, on s’apprend, ça vrille sur l’épilation intégrale, le vitalisme chez Bergson et le rêve d’être majorette. Quelqu’un réapparaît en costume improvisé, lancer de bâton impeccable, tu seras majorette mon fils. Et tous s’y mettent. Avec le seul vrai sérieux qui soit : celui des enfants de moins de sept ans. On fait des recherches, l’origine de la plume et de la botte blanche, on se dit qu’on ferait bien une petite formation du type Grumman F14 section d’assaut en majorette-attitude, on connait une ancienne championne majorette, on s’interroge sur la fermeture du body pour les garçons, c’est sûr on va le faire. Et on mènera à bien cinquante autres projets sérieux ou loufoques sans perdre de vue chacun son travail personnel qui occupe tout le terrain.
Ce soir il n’y a pas d’événement, le hall est vide, on est heureux, le rire de collégienne de Martine traverse l’espace.
La vie est belle.
Aidez motoco et ses 140 artistes et artisans d’art à garder de l’allant et à poursuivre la création en participant à la campagne de crowdfunding : www.kisskissbankbank.com/fr/projects/motoco
Par Anne-Sophie Tschiegg
Photos : Anne-Sophie Tschiegg
(Texte initialement paru dans le magazine Novo, n°51)