Né à Fontainebleau d’une mère bibliothécaire et d’un père banquier pas cuisiniers pour un sou, c’est d’abord la gourmandise qui le guide, puis la passion des beaux produits ramenés par ses parents qui, dès qu’ils partent en voyage, n’hésitent pas à visiter les productrices et les producteurs croisés sur leur chemin. La cuisine, il n’en est pas question avant que l’ennui ne le guette sur les bancs de l’école. « J’ai fait mon premier stage de découverte à 13 ans dans un restaurant et j’ai rapidement pris conscience que la cuisine était le lieu où je m’accomplissais le plus. »
La suite n’est que de la logique : l’apprentissage à 14 ans, l’ennui, toujours, qui le rattrape et le pousse à changer de crémerie tous les ans, le BEP, le Baccalauréat et petit à petit, l’envie de finesse, de haut vol et de « pousser la porte de belles tables ». Il commence par un hôtel-restaurant 5 étoiles en Seine-et-Marne, puis “monte ” à Paris. Après une grande brasserie parisienne de 300 couverts pour se faire la main, le voilà aux côtés de Jean-Pierre Vigoto officiant chez l’impressionnant et impressionniste Apicius. Il commence demi-chef de partie et finit second. Au-delà de la folie d’une brigade de 25 en cuisine qui lui inculque forcément la rigueur, il garde surtout de ce passage « une vision de la cuisine », une sensibilité aux produits, à la saisonnalité et à leur provenance. Déjà et peut-être sans vraiment le savoir, il affirme son goût pour le terroir, mais pas seulement : « Ce qui m’a beaucoup plu chez ce grand monsieur, c’est son souci de la lisibilité. La cuisine, je l’imaginais comme ça mais je ne pensais pas qu’on pouvait faire de très grands plats à partir de classiques en jouant simplement sur les associations et les assaisonnements. En travaillant sur ces deux éléments, on peut amener le plat vers d’autres directions, en ne dénaturant jamais le produit. »
Racine : le goût des bonnes choses
Mais les allers-retours Fontainebleau-Paris et ses trois heures de sommeil par nuit, puis la chambre de bonne, les horaires à rallonge et le rythme soutenu finissent par le mater. Il se met sur pause et crée un statut d’auto-entrepreneur ; son téléphone ne s’arrête plus de sonner : conseiller les restaurants, élaborer des cartes, penser les équipes, remplacer les chefs. L’éleveur et boucher Alexandre Polmard le contacte alors et lui demande de donner un second souffle à son restaurant parisien. Martin Debuiche le prévient : « Je savais déjà que je voulais ouvrir mon restaurant, je lui ai dit que je continuerai jusqu’à ce que je trouve un local. » Il le trouvera, à Nancy, où il se rend régulièrement pour travailler sur la carte du même restaurant lorrain, accolé à Polmard. Ça ne s’invente pas. Les deux hommes s’associent pour monter Racine en prenant garde de ne pas mettre les deux adresses en concurrence. « Je travaille très peu la viande rouge et me tourne plutôt vers le cochon, l’agneau ou le porc. Ne pas être sur le même créneau me pose des contraintes avec lesquelles je dois constamment jouer. »
Et le résultat tranche avec ce qu’on peut trouver à Nancy. À une heure estivale, nous aurons goûté un gazpacho de tomates anciennes accompagné d’un sorbet moutarde superbement équilibré, puis à une poitrine de porc fondante et ce qu’il faut de croustillance, relevée d’une sauce soja et de petits pois crus. Pour faire simple, c’est une cuisine brute mais élégante (comme le décor), toujours créative, ancrée de pieds fermes dans son terroir. Le chef ne s’arrête jamais de compléter son carnet de belles adresses alentours : La Ferme des salines pour les lapins, les vaches limousines et les porcs, La Forestière du champignon à Golbey, le Poulailler du Moulnot ou les pigeons de Thierry Laurent… « Ça n’en finit jamais. » Mais forcément cette exigence a un prix qu’il s’emploie à défendre auprès de client·e·s pas toujours sensibilisé·e·s : « Le juste prix, c’est surtout celui qui permet de faire bosser les petvits : les petits producteurs, les artisans du coin. Nous, il ne nous reste plus qu’à mettre à l’honneur le produit, explique-t-il avant d’ajouter, rêveur : Si je pouvais avoir mon potager devant le restaurant, la biquette à côté et être en autosuffisance, ce serait chouette… » Tout pour le goût, toujours. Ce fameux goût des bonnes choses.
Racine
9, rue Stanislas à Nancy
09 86 33 24 20
Par Cécile Becker
Photos William Henrion